Scribay mis en abyme
Gustave, Gustave !
Je me sens de méchante humeur : non seulement mon père me réveille au milieu d’un doux rêve (vaguement érotique), mais encore, cerise sur le gâteau, il fait un froid glacial, dans ce préfa.
Je lance l’offensive :
— Ras le bol de cette glacière !
— Début avril à mille mètres, c’est normal.
— Et tu veux remercier Monsieur le Maire ?
— Voyons Gustave, partout ailleurs on nous chasse. Il nous prête gratuitement ce luxueux appart ! Et, en plus, il est vraiment sympa ce bonhomme.
— On aurait pu se payer une location.
— Non à la société de consommation !
— Tu radotes.
— Et tu devrais te raser : c’est moche cette barbe de deux jours sur un beau gars, comme toi.
Je soupire : à 28 ans, il me traite comme un gamin. Mais je prends plaisir à regarder ce beau brun, aux longs cheveux bouclés, au visage fin et doux, aux yeux rêveurs qui se rase dans le miroir.
Le soleil pointe et je sens ma mauvaise humeur s’évanouir.
Jovial, mon père me lance :
— Je vais chercher le pain.
— Tu es bien impatient !
— Si tu voyais la boulangère, tu ferais comme moi.
— Les filles c’est fini !
— Dans la vie, rien n’est jamais fini…
Je hausse les épaules et il prend la porte.
Le sourire d’Anne-Sophie, son parfum, sa poitrine généreuse, tout remonte à la surface.
Je chasse cette pensée et j’accueille mon premier haïku de la journée :
Titre : Tu es seul
Et le soleil perce
enfin brume épaisse de
tes doux souvenirs
Doux et amer, mais on verra cela dans un autre poème.
Je commence à rédiger mon prochain texte pour Scribay : mon père comprendra la réponse.
Je suis tombé amoureux des haïkus.
Au départ, je ne m’en suis pas rendu compte, de fait c’est toujours ainsi l’amour fou.
Avant de le trouver, on ne peut qu’errer, s’attacher, se détacher, et chercher sans même avoir conscience de chercher. Quand l’être aimé est là, on le sait, c’est lui, uniquement lui qui était recherché.
Au départ, je n’avais qu’indifférence pour la poésie, mon projet avait un nom : philofiction, un obscur mélange de philosophie et de science –fiction.
Mais, dès que j’ai commencé à écrire mon premier roman, la poésie s’est invitée, belle séductrice qui m’a persuadé, que tout écrit devait chanter.
Mais, rapidement, j’ai ressenti un malaise croissant, un immense décalage entre mon projet et mes réalisations.
La poésie est venue, je l’ai aimée, follement, passionnément, écrivant des centaines de poèmes, des dizaines de recueil, en quelques mois.
J’ai aussi goûté à l’étrange et orgiaque parfum de la création collective.
Mais, de nouveau, j’ai senti s’installer cette lassitude, cette froideur du cœur.
J’ai croisé son chemin, honnêtement, cette forme poétique avait fort mauvaise réputation !
Encore une mode pseudo-japonisante, un truc court et facile, bref... une amourette !
Curieux, j’ai essayé :
Iris en beauté
Parfumé et élégant
Prince du printemps
Dès les premiers poèmes, une voix intérieure m’a interpellé ; « c’est moi, moi que tu as toujours cherché. »
Chaque jour je laisse venir l’haïku, en moi, car au sein d’un triste quotidien, il introduit une faille : l’éternité.
Suivre l’haïku
pour retrouver l’éternel
dans le temporel
Oui : je suis tombé amoureux des haïkus !
Ma folie :
Tomber amoureux
des haïkus oui brûler
d un trop tendre feu
Je relis le texte et j’appuie sur la touche « envoyer ».
Annotations
Versions