5. L'Autre

6 minutes de lecture

Jed ouvrit la bouche, mais un bruit sourd le fit sursauter. Un battement profond, un tambour caverneux qui résonnait à travers le monde.Thomas sentit une pression étrange dans l’air. Lespace autour d’eux venait de se contracter.

Le petit homme blêmit.

— Trop tard, souffla-t-il.

Thomas fut pris d'un frisson d'angoisse. Il pivota lentement et vit une ombre grandir au loin

Un être immense, gigantesque, avançait d’un pas lent mais inéluctable. Son corps était tissé de cauchemars. Sa peau mouvante évoquait une matière en constante mutation. Elle ondulait entre ténèbres et éclats fantomatiques.

Ses yeux. Deux abîmes. Noirs, privés de lumière. Chaque pas qu’il faisait résonnait comme un glas funèbre, une note sinistre qui vibrait dans l’air. Mais ce ne fut pas sa taille ni son apparence monstrueuse qui terrifièrent Thomas.

Non. Ce fut son visage. Un visage familier, tordu, déchiré par la haine et le mépris.

Un frisson d’effroi s’empara de lui. Il connaissait cette silhouette. Il connaissait cet être.

L’ombre s’arrêta enfin, les bras ballants. Un instant, elle se nourrit du silence. Puis, d’une voix rauque et déformée, elle s'adressa à lui :

— Thomas...

Un sourire cruel étira ses lèvres.

— Tu es là, enfin !

Le jeune garçon sentit son souffle se bloquer. Jed lui lança un regard effaré, puis murmura àl'oreille de Thomas, comme si prononcer son nom pouvait briser quelque chose :

— C'est toi. L'Autre Thomas !

L’ombre s’arrêta à quelques mètres d’eux. Un silence glacial tomba sur les ruines, Le monde entier retint son souffle. Thomas sentit un poids écraser ses épaules. Il aurait voulu parler, crier, fuir, mais il resta figé. Il était ncapable de détacher son regard de son double cauchemardesque.

L’Autre Thomas pencha légèrement la tête. Son sourire s’élargit dans une grimace moqueuse.

— Regarde-toi, susurra-t-il. Tu es si pathétique.

Sa voix, c’était bien la sienne, mais déformée. Puissante, plus profonde, plus cruelle. Un écho perverti de ses pensées les plus sombres. Jed se cacha derrière Thomas. Ses doigts tremblaient contre sa poitrine.

— Dis Thomas. Et si on partait maintenant ?

L'ombre leva lentement une main. L’air autour d’eux se tordit dans un frémissement invisible.

— Partir ? Pour aller où, Jed ? ricana-t-elle. Il n’y a pas d’issue, pas d’échappatoire. Puis, son regard d’abîme se posa sur Thomas.

— Tu es venu pour les retrouver, n’est-ce pas ?

Thomas sentit une sueur froide couler dans son dos.

— Où sont-ils ? demanda-t-il, sa voix plus rauque qu’il ne l’aurait voulu.

Son double lui sourit :

— Oh... ils sont bien là, mon ami. Toujours dans ton monde. Il écarta lentement les bras, tel un maître de cérémonie prêt à dévoiler son spectacle. Mais tu les as abandonnés. L’Autre s’arrêta à quelques mètres d’eux. Un silence glacial s’abattit sur le paysage. Puis, tout bascula.

Les contours du décor se tordirent, se floutèrent. Le sol craqua sous leurs pieds. D’abord par petites fissures, puis en longues veines noires qui s’étendaient dans toutes les directions. La terre sembla se contracter, comme une bête blessée.

Le ciel, autrefois immobile et figé, se mit à onduler. Les couleurs devenaient incertaines. Des spectres rampèrent le long des ruines. Ils se faufilaient entre les pierres, montaient en volutes noires le long des murs éventrés. Puis, les ruines disparurent.

À leur place s’éleva un vide infini. Une plaine sans horizon, où l’air vibrait d’une énergie obscure. Un néant mouvant où seules leurs silhouettes restaient nettes.

L’Autre n’avait pas bougé. Toujours immobile, il s’imprégnait du chaos environnant. Puis, il changea. Son corps immense se contracta. les fumées de noirceur qui le composaient furent aspirées vers l’intérieur. Il ne rétrécissait pas comme une chose qui rapetisse naturellement. L’espace lui-même s’écrasait autour de lui, l’obligeait à se condenser, à prendre forme.

Ses membres s’affinèrent, sa silhouette se redessina. Sa posture changea. Et bientôt, l'Autre ne dominait plus l’espace. Elle faisait désormais la même taille que Thomas et Jed. Mais ce n’était pas rassurant. C’était pire.

Maintenant, Thomas pouvait voir chaque détail, non seulement les contours d’une créature informe, mais un visage.

Son visage.

Ses propres traits, déformés, durcis, ravagés par quelque chose d’indicible. Le double de Thomas sourit.

— C'est mieux ainsi, non ? Il s'approcha de lui lentement, son sourire figé dans une expression de pur amusement.

— Ce monde t’appartient, n'est-ce pas ? murmura-t-il. Tu l’as créé mais tu l'as aussi détruit. Son regard s’illumina d’une lueur malsaine. A moins que...

Thomas s'était repris :

— Je t'écoute !

Son double lui sourit :

— Je te propose un défi !

  • Un défi ?
  • Oui. C'est très simple. En voici les règles.

Un vent violent se leva, le sol se déchira sous leurs pieds. L’image de leurs amis prisonniers apparut un instant dans les airs, figée dans un voile spectral. Jed, paralysé par la peur, agrippa le bras de Thomas.

Quatre visions s’arrachèrent des ténèbres. Elle flottèrent dans l’air comme des miroirs sinistres.

On y voyait Jed. Libre comme le vent, il était cependant incapable de dire un seul mot. Lui, le petit homme rieur et loquace, celui qui savait toujours trouver une réplique pour alléger l’atmosphère, se retrouvait dans un monde de silence, muet comme une tombe.

Quand il vit cette vision, ses lèvres s’entrouvrirent pour dire quelque chose, n’importe quoi. Aucun son ne vint.

La seconde vision montrait Skrela. Il était statique, telle la gargouille qu'il était. Il arborait une posture défensive. Son corps fondu dans une pierre noire vivante. Une forteresse obscure l’entourait. Ses murs baignaient d’un éclat spectral.

La troisième apparition montrait Mildrey battue par un vent hurlant. Elle se trouvait prisonnière d’une tempête infinie, ses ailes tordues par des bourrasques invisibles. Autour d'elle, Thomas entendit des murmures glisser dans l’air, inaudibles mais oppressants.

A la vue de la quatrième, le coeur de Thomas manqua un battement. Adia. Elle était là, recroquevillée au pied d’un dragon immense, une bête née du feu et de la rage. Thomas vit ses yeux ardents reflétaient les flammes qu’il couvait en son sein.

Il ne pouvait plus respirer. Il voulut protester mais l'Autre lui coupa la parole. Sa voix était douce, mielleuse, mais elle vibrait d’une fausse bienveillance.

Elle suintait la cruauté et le mépris.

— Quatre épreuves pour les retrouver, Thomas. Jed est libre. Il sera ton seul allié. Mais comme tu peux le voir, il ne pourra te parler. Tu devras les libérer chacun leur tour : Skrela, prisonnière dans cette forteresse, Mildrey captive de cette tempête et ta chère Adia, captive du Dragon, une créature née de ta propre colère.

Puis, il fit un pas en arrière. Un sourire glacial étira ses lèvres :

— Tu n’auras qu’une seule chance. Échoue et ils disparaîtront... à jamais.

Le silence retomba. Épais, suffocant. Thomas luttait contre ses pensées. Il avala sa salive mais sa gorge était nouée. Chaque mot de son ombre était un poids supplémentaire sur ses épaules. Il tenta de reculer, de s’éloigner de cette chose qui portait son visage, mais il était pris au piège, enfermé dans une mécanique qu’il avait lui-même déclenchée. Son double le scrutait toujours. Son regard brûlait d’un amusement cruel.

Puis, il leva lentement un bras.

Un courant d’air s’engouffra violemment dans l’espace autour d’eux. Il fit voler des volutes de poussière et d’ombres. Dans un murmure, il prononça la dernière sentence :

— Le temps est un luxe que tu n’as plus, Thomas. Voyons si tu peux les sauver.

D’un geste, il pointa du doigt l’horizon. Là-bas, au loin, un éclat spectral perçait l’obscurité.

Une tour. Elevée, froide, figée dans l’obscurité comme un vestige du passé.

La Forteresse.

— Ta première épreuve. Si tu échoues, Skrela mourra, les autres suivront. Un par un.

Jed serra les poings, toujours incapable d’émettre le moindre son. Thomas, le souffle court, n’osait plus détourner les yeux de son double.

L’Autre Thomas pencha légèrement la tête. Ses cheveux sombres glissèrent sur son visage déformé par une expression indéchiffrable. Il esquissa un sourire lent.

— Je te souhaite bonne chance, Créateur. Tu en auras bien besoin !

Il disparut. D’un seul coup. Son corps se désintégra dans une fumée grise. Le silence retomba violemment, comme une chape de plomb.

Seul le lointain hurlement du vent persistait. Un murmure menaçant qui portait encore l’écho de sa voix. Thomas tremblait.

Le jeu venait de commencer.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire A7x ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0