Mon testament : essai d’un misanthrope
Ce matin, on est venu me chercher pour que je puisse prononcer l’éloge funèbre de Pierre qui nous a quittés dans les circonstances que vous savez. On a bien insisté pour que je ne précise pas lesquelles ; aussi évitez de poser des questions.
J’ai refusé cet éloge funèbre car éloge est grandiloquent et funèbre quelque peu tristounet.
Mais on a lourdement précisé que ceux qui auraient su ne voulaient pas et ceux qui auraient souhaité ne savaient pas. Bref, il ne restait que votre serviteur car on...était bien nombreux.
C’est un véritable défi pour moi. Une première pour l’écriture, une première pour me trouver ainsi devant vous face à vos critiques et commentaires et une première de me trouver devant un Pierre silencieux.
C’était trop pour moi aussi ai-je refusé. Mais je me suis souvenu du carnet qu’il avait oublié chez moi et c’était une bonne idée. Car j’y ai trouvé quelques notes et une enveloppe intitulée «Mon testament : essai d’un misanthrope», Je vais l’ouvrir devant vous.
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Bien cher.e Tou.te.s,
Je me doute si vous entendez ces mots c’est que je suis parti, enfin débarrassé de vos petitesses. La preuve en est que vous avez contacté ce baveux de Balthazar pour mon oraison funèbre. Je suis certain que personne d’autre que lui n’oserait s’y coller.
Que dire… Je suis venu et suis reparti. Fin de l’histoire. J’étais discret (beaucoup) et silencieux (énormément) pour vous. Pour mon épouse, j’ai été présent (omniprésent) et imbuvable (saoulant). Comme quoi, nous avons tous des perceptions différentes de la même réalité.
À tous mes amis, je ne lègue rien puisque d’amis, je n’en ai pas. «Ce sont amis que vent emporte et il ventait devant ma porte… Les emporta» (je vous laisse chercher l’auteur…)
À mes ennemis – en raccourci : tout le monde – je conseillerais de consulter chamanes et autres pourvoyeurs d’aulx et remèdes pour vous prémunir des sorts et autres maléfices qui risquent de s’abattre sur vos têtes.
À ma femme Charlotte qui s’est si bien occupée de vous - elle s’est donnée à sa tâche vous en conviendrez tous – je lègue tout et rien. Rien car tout lui appartient. Elle a acheté tous les biens que je possédais.
Toutefois, ta sœur m’ayant dit que le grain et la couleur caramel clair de sa peau étant comparables au crépi de la façade de notre villa du lac, je ne pouvais que lui vendre. Et c’était vrai ! J’ai vérifié sur toutes les surfaces ; de la maison et de ta sœur.
Quant à la cabane au Canada, je l’ai vendue à Lia pour ses dix-huit ans. C’était la soirée où tu avais mal à la tête et où tu étais partie te reposer. Je lui ai fait un prix.
J’ai pratiqué comme avec toi : paiements en nature et en plusieurs mensualités. Comme cela te convenait, je me suis dit que pour elles cela devraient être bon. C’était même très bon !
De toutes façons, cela reste dans la famille, Lia étant ta nièce, fille de ton frère avec qui tu partages tant de choses : la numismatique, la philatélie et autres langues mortes. C’est sans doute pour cela que Lia poursuit des études en langues vivantes.
Sur ce, je vous salue et vous dis : à très bientôt !!!
L'Ami Pierre
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Bon, je pense que tout a été dit…
Mais je voudrais encore prendre le temps d’une anecdote. Lorsque nous étions enfants, je prenais coups de règle et pages à noircir, à la place de Pierre, pour les «bons mots» qu’il savait lancer. «Souffre-douleur un jour, souffre-douleur toujours» me disait-il ! Et j’en riais...jaune.
Alors, je dois préciser à son épouse que j’ai réservé une table pour deux ce soir, et que j’ai posé congé toute la semaine prochaine. C’était la volonté de Pierre et on ne peut pas aller contre la volonté d’un mort ; vous en conviendrez bien tous.
Souffre-douleur toujours mais cette fois, je – pardon – nous, allons bien rire !
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