Pour elle...
J'attends ma femme sur le quai. Oh, je sais ce que vous vous dîtes... Que fait un homme à attendre son épouse revenant en train ? Nous avons inversé les rôles. Elle est la courageuse policière qui protège et rend la ville plus sûr, et moi le papa poule professeur de français dans une école secondaire. Elle ne voulait pas d'un métier classique, ressentant sans cesse le besoin de soutenir les autres. Je l'ai rencontrée lorsque nous étions adolescents, presque adultes. Elle faisait battre mon cœur à toute vitesse et j'avais l'impression que tout était possible avec elle. Nous étions inséparables et chaque seconde sans mot était une torture indescriptible. Tout était toujours magique lorsqu'elle était avec moi : les longues journées d'été, les froides nuits d'hiver et l'éphémérité des rêves. On en a bavé elle et moi pour se voir...
Je ne vous ai pas dit ? Nous nous sommes rencontrés sur un site de lecture. Original pour un couple de la "génération technologie". Elle est tout ce que j'ai, car je ne demande pas plus. Chaque instant passé avec elle m'emmène au "quatorzième ciel". C'est notre expression à nous pour se dire qu'on vit notre vie de couple à fond. De toute manière même si ce quatorzième ciel n'existait pas, j'aurais construit les 7 étages supplémentaires pour y accéder. Pour elle je ferais tout... Quand je vous raconte que je suis un papa poule, c'est parce que le soir, à mon retour à la maison, je l'attends impatiemment. Je m'inquiète énormément à propos de son métier. Il y a des risques et j'ai accepté cela en l'épousant. Cependant une alliance et quelques années derrière nous n'ont pas dissipé mes craintes. Croyez-moi, quand vous croisez une femme comme elle dans votre vie, vous ne pouvez que l'épouser et la chérir. En m'unissant à elle, je n'avais pas mesuré que c'était par la même occasion à une angoisse perpétuelle que j'ouvrais mes bras. Je suis heureux avec elle, grâce à son soutien et à sa gentillesse. Parfois les gens me demandent comment c'est de vivre avec un flic. Je dis que c'est comme vivre un amour de jeunesse : on sait quand l'amour commence, on ne sait pas quand l'amour se termine. Simplement un amour de jeunesse n'est en soi rien d'engageant à long terme. Mon amour, si je la perds, j'en mourrai de chagrin ! Un soir nous en avons parlé, longuement et dans les détails. Je n'ai jamais été très sensible, mais pour la première fois de ma vie des larmes de tristesse profonde ont coulé sur mes joues... Elle avait amené la possibilité qu'elle perde la vie dans le cadre de son métier. Mon coeur s'était arrêté. Plus elle tentait de me réconforter et de me dire que tout irait bien, plus les larmes perlaient mon visage. J'avais mal au coeur. Une plaie béante s'était ouverte et de celle-ci s'échappait une puissante dose de souffrance. Elle m'a fait promettre de rester moi-même si il lui arrivait quelque chose. Je lui ai promis. Je ne pouvais rien lui refuser. Adieu le mythe de la policière sexy qui enjolive vos rêves. Sexy elle l'est, cependant je ne rêve plus.
Ce ne sont plus des rêves mes des cauchemars qui hantent mes nuits... Je ne vous parlerai pas de ce qu'il se passe dans mon imaginaire, au risque d'inonder ma feuille de larmes. Tout ce que je trouve la force de vous révéler, c'est qu'il n'y a aucun sentiment pareil à celui de vous réveiller dans le lit avec votre femme après l'avoir vu mourir des milliards de fois dans vos songes. Vous transpirez, vous respirez lourdement et vous finissez par passer une main autour de son corps pour être sûr que vous ne rêvez pas et qu'elle est bien là. Je vis son métier en même temps qu'elle... C'est une double vie pour moi aussi. Elle et moi sommes tellement différent quand elle travaille. Nous nous aimons encore plus et nos baisers ressemblent à ceux des nouveaux couples : désespérément démesurés, fougueux, passionnés, naïfs. Mon coeur bat, et entre chaque battement je prie Dieu pour qu'elle revienne en vie. Ne me prenez pas en pitié, je vous en conjure... C'est ma femme, je l'aime et je ne veux pas la perdre. Vous savez, si on me proposait de revenir en arrière et de changer ma décision, je refuserais. C'est vrai que c'est une vie dure et angoissante, mais j'aime ma femme et je veux vivre avec elle pour toujours... Plus loin je dirais que, même si nous pouvions avoir une vie plus calme, je préfèrerais qu'elle s'épanouisse dans la police. La coeur est un muscle, il a besoin de se reconstruire pour se fortifier. Chaque jour, mon coeur est mis à rude épreuve. Et c'est précisément ça qui fait la force de notre couple. Nous nous aimons démesurément, car l'on sait que chaque jour peut-être le dernier... Alors nous profitons de nos vacances, nous pleurons, nous rions, nous jouons. Nous faisons l'amour comme si demain n'existait jamais. Et, aussi curieux que cela puisse paraître, nous faisons l'amour chaque soir. Pourqoi ? Parce que si votre partenaire mourrait, vous auriez aimé partager son dernier jour avec une passion sans limite en accomplissant tout ce qu'il vous serait possible de faire pendants ces quelques heures ensembles... Nous vivons chaque jour comme si c'était le dernier, c'est parfois compliqué mais nous faisons de notre mieux !
J'ai beaucoup parlé de cette peur, de la mort de ma femme, des risques qu'elle prend. Savez-vous pourquoi je ne parle que de la mort et pas des blessures et handicaps possibles ? Parce que tout est surmontable, tout est acceptable dans la maison de Dieu. Mais la mort de celle que j'ai mis tant de temps à trouver, ça c'est impardonnable. Quoiqu'il lui arrive, je pourrais tout accepter, tout sauf la mort... Cette peur...
C'est comme un parasite invisible qui vous bouffe les tripes. Il vous arrache chaque jour vos tripes et dévore votre foie. Chaque seconde, il mange et vous torture. Et votre corps - devrais-je dire votre coeur - reconstruit chaque jour cette partie de vous qui est grignotée. Connaissez-vous le mythe de Prométhée ? Il déroba le feu des dieux grecs pour le donner aux hommes. Sa punition fut atroce. Chaque jour, un aigle venait manger son foie, causant une souffrance inqualifiable. Puis l'aigle repartait et, pendant la nuit, le foi de Prométhée repoussait, le condamnant à une agonie éternelle. Il ne fut sauvé que par Heraklès ( Hercule chez les grecs) que des années après le début de son supplice. Cette libération, c'est la retraite de ma femme. Grand Dieu, j'aurai pour sûr des cheveux blancs avant l'âge, et cela ne me dérange pas dès lors que ma femme vit. Vous comprenez peut-être mieux quel genre de vie ont les familles de la police... En dehors de tout cela, nous sommes heureux, nous nous aimons, nous respirons...
Quelquefois, je me dis que j'aurais dû rentrer dans la police avec elle, juste pour veiller sur elle. Je ne l'ai pas fait. Soit parce que je lui fait confiance, soit parce que je suis un pauvre trouillard, soit parce que de toutes manières je ne pourrais rien n'y changer...
Pourquoi j'attends sur ce quai ? Eh bien... Pour la même raison que j'ai cette alliance. Parce que je suis son mari et que je l'aime. Elle avait une intervention sur plusieurs jours dans le nord de Bruxelles. Elle me manque terriblement et nous ne pouvions parler que par téléphone. Et... Si je l'attends avec autant d'impatience, sur ce quai où le vent souffle, la pluie chasse et le tonnerre gronde... c'est parce que je vais bientôt être papa... Et papa veut protéger maman...
A ma jolie blonde sexy d'un mètre soixante,
Ton chéri qui t'aime à la folie...
Fin
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