Le trou noir

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Cette première journée avait été rude croyez-moi ! Après l’épisode des œufs mystérieux, Zelo, Nex, Bayek, Lygor et ma pomme sommes remontés à la surface en passant par des coins bien pourris. En chemin, Zelo m’a expliqué tout un tas de trucs dont je ne me souviens pas très bien. Il faut dire que j’étais crevé. On ne fait pas autant d’exercice physique dans la police [1] et je n’ai pas encore l’entraînement de mes nouveaux collègues soussols. Fatigué ou pas, tout le monde était motivé par la perspective de l’apéro organisé par l’équipe pour fêter mon arrivée.

Quelle rigolade quand Zelo s’est aperçu que Bayek avait remonté l’un de ces œufs zarbis [2] en le planquant dans son pack dorsal ! Le chef n’était pas content, car le règlement interdit de remonter des trucs inconnus à la surface, et comme ces œufs sont absents des bases de données soussols, Bayek avait fait une connerie. Le gars est resté stoïque pendant l’engueulade et a discrètement rangé l’œuf de la discorde dans son armoire.

On a ensuite pris une douche et on s’est habillé pour filer au bar « Le trou noir » où Zelo avait organisé la fête en mon honneur. Les soussols prennent leurs douches dans un petit espace commun situé à l’arrière des vestiaires. J’étais à côté de Nex. C’est toujours sympa ces moments de convivialité et ça permet de mieux connaître ses collègues. Nex et moi, nous connaissons maintenant très bien.

Je ne connaissais pas « Le trou noir » mais j’avais déjà entendu parler de ce bouge ! Un endroit chelou [2] peuplé par tous les marginaux du secteur. Un coin si chaud que la police n’y mettait jamais les pieds (ou ce qui lui en tient lieu) : on aime l’action, mais on évite le risque inutile ! L’ambiance du bar était particulière. Certaines parties de l’établissement étaient éclairées par des spots projetant une lumière crue de couleur changeante tandis que d’autres restaient dans une ombre malsaine. Il y avait beaucoup de monde et la musique était forte. « Interstellar overdrive », une antique chanson reprise par Zorg & the Quantum Bastards, un artiste local, sortait d’une batterie de puissants diffuseurs sonores. Zelo avait réservé une table et nous nous sommes installés dans un coin de la salle principale.

Au trou noir, le client va chercher ses consommations au comptoir. Le barman était un immense Xylémien qui était fait pour le métier avec ses six bras et ses grandes mains aux doigts munis de ventouses. Il travaillait à toute vitesse et les verres arrivaient devant les clients dans un mouvement si rapide qu’on avait une impression de flou. Zelo, qui connaissait bien le gars, m’expliqua qu’il s’appelait Jaimz Mangan et qu’il était connu dans tout le quartier. « Fais quand même attention ! Quand tu lui passes ta commande, répète-la au moins deux fois. Jaimz a six bras super rapides, mais un seul cerveau et assez petit de surcroît, du coup, il se trompe assez facilement et la surcharge mentale n’est jamais loin, tu vois ? ». Effectivement, sa tête était toute petite.

On a commencé par une tournée de cosmic potcheen. Je ne connaissais pas ce cocktail d’origine Xylémienne. Comme le liquide fluorescent passait rapidement des verres jusqu'à nos bouches, j’en sentis immédiatement les effets. J’étais euphorique et mes doigts me picotaient légèrement. Nous avons siroté nos boissons en plaisantant aux dépens de trois robots assis un peu plus loin. Ils buvaient leur verre en jouant avec de vieux boulons rouillés. Quand ça leur prend, ces machines agissent comme des êtres vivants, boivent, mangent et jouent aux dés, mais quoi qu’ils fassent, ils resteront toujours des morceaux de ferraille ! Ils se défendent en parlant de tolérance et de respect de toute forme d’intelligence, même électronique ! C’est le mouvement « vita in silico ». Foutaises ! Ils ont fini par quitter les lieux. Peut-être qu’ils ont senti qu’ils n’étaient pas les bienvenus. En-tout-cas, on a repris un cosmic potcheen pour fêter ça !

C’est à peu près à ce moment que mes souvenirs se troublent. Je n’étais pas saoul, enfin, pas complètement. C’est difficile à expliquer, j’étais tout simplement très relax lorsque, soudain, je me suis envolé. Je voyais les collègues et certains clients du Trou Noir agiter les bras et me faire signe de descendre. Du moins, il me semble que c’est ce qu’ils voulaient dire. Je voyais des lumières kaléidoscopiques tourner autour de moi et j’avais la sensation de nager dans une sorte de douce brume multicolore. J’essayais de battre des ailes, enfin des bras, pour me déplacer vers le comptoir où Jaimz Mangan continuait à servir des boissons à toute vitesse. Je voulais commander un autre verre, car j’avais soudain très soif. Étonnamment, Jaimz avait maintenant au moins 12 bras qui s’agitaient frénétiquement. Je ne sais pas si j’ai réussi à me faire servir un autre cosmic potcheen, par contre je me souviens très bien qu’en bas, les copains n’en revenaient pas de me voir voler si gracieusement.

Lorsque j’ai atterri, il faisait jour et ma tête était un peu lourde. Je me trouvais dans de jolis draps de soie d’Ascaris. Il m’a fallu un moment pour réaliser que je ne savais pas où je me trouvais. Je me tournai lentement pour m’appuyer sur mon coude droit et jeter un œil sur la pièce où j’avais visiblement passé au moins une partie de la nuit. Les murs étaient décorés de tentures de mauvais goût qui maintenaient la pièce dans une semi-obscurité. Ça et là se trouvaient quelques meubles de style uraniens. Un léger ronflement attira mon attention et j’eus un coup au cœur en découvrant une imposante silhouette allongée à mes côtés. Je me levai doucement pour activer les tubes fluorescents et faire entrer un peu de lumière dans la chambre (car c’en était visiblement une). « Hum, bonjour mon loulou, comment as-tu dormi ? » me demanda la larve blanchâtre qui venait d’écarter le drap recouvrant son imposante masse avec l’un de ses pseudopodes ventraux.

J’étais coi. Après un moment de stupeur, j’ai salué Rita (c’était le nom de ma conquête Zamorienne) et suis parti pour le quartier 1 à Solar Nexus, au bâtiment central des soussols.

Zelo se marrait bien quand il m’a expliqué que le cosmic potcheen faisait toujours cet effet aux clients qui n’en avaient pas l’habitude.

— Mais, la Zamorienne ?, lui-dis-je.

— La pitchounette ? Il me fit un clin d’œil.

— Te voilà maintenant un vrai soussol, Ernesto !

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[1] J’étais flic jusqu’à l’épisode 4 et une regrettable erreur judiciaire…

[2] Comme on dit dans les faubourgs nord de Solara Nexus

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