Nouveau départ - 2

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Deux jours plus tard, la mer est calme ; Jenali fait signe aux autres. Ce garçon swahili est tellement différent d’eux, avec sa peau très noire et sa langue incompréhensible. Pourtant, il s'affirme dans les palabres ; il tente de communiquer, de répondre aux bribes perçues et interprétées : il veut participer. Mihanta se trouve sensible à ses tentatives, car il a deviné un esprit malin, d’autant que les ratages d’échanges et les inintelligences déclenchent un gros rire chez lui, avant qu’il ne recommence, ne s’arrêtant pas au premier obstacle. À cette acuité, il associe force et courage. Ce matin, sans mots, il a rassemblé une petite troupe de cinq garçons qui le regardent affronter le monde des flots, de l’océan, de la puissance. Pendant qu’ils tiennent la corde tendue, Jenali progresse puis disparait dans le ventre du bateau. Il ressurgit un peu plus loin, brandissant un bout de bois, arraché avec la petite hache qu’il a emportée. Il le jette dans l'eau. Mihanta est subjugué par son coup de génie ! Même les Blancs, apparemment, n’y avaient pas pensé, ou n’avaient pas eu la patience nécessaire : les vagues vont rejeter les pièces sur la plage, aujourd’hui, demain, plus tard. Il suffit d’attendre ! Pas besoin de le porter le long de la corde !

L’exemple de Jenali invite d’autres à l’imiter : Lalaina et Mananjara le rejoignent et l’aident à retirer les mauvaises planches de la double carène, déjà attaquée par les tarets. Ils ignorent pourquoi les Blancs ont délaissé ces plaques, si faciles à retirer.

La mer recrache le bois, soigneusement arraché : le chantier est reparti !

Alors que les planches s’entassent, ils sont quelques-uns à s’interroger sur la bonne façon de les disposer pour en faire une embarcation. Ceux du bord de mer, Nahary, Malanto et Mananjara ne connaissent que les pirogues à balancier, ou les dhows, ces boutres qui portent les marchandises. Ces gros bateaux, comme celui des Blancs, sont bâtis sur une membrure, ces nervures de gros bois sur lesquelles on pose le bordage. Aucun ne possède la science pour bâtir un tel engin. Déjà, assembler les bouts épars pour qu’ils résistent aux vagues leur parait difficile. La seule idée qui leur semble réalisable est un sambo. Ces radeaux sont faciles à faire : des troncs d’arbres, ou des bambous, liés entre eux et couverts d’un plancher. Sauf qu’ils n’ont ni troncs, ni bambous, ni cordage ! Des cordes, seuls de petits bouts perdurent encore et ils ne savent pas comment les défaire pour les tresser à nouveau, ni s’ils en obtiendront une quantité suffisante.

Mihanta leur soumet une idée : prendre les gros morceaux, les disposer au mieux, les assembler avec les petits bouts de cordage, puis, surtout, les faire tenir par un plancher cloué, en dessous et au-dessus. Ces lattes, ils en ont abondamment. Les clous, ils savent les fabriquer : ils ont appris !

La tâche est colossale, mais ils ont le temps ! Aussitôt, ils se précipitent vers la forge des Fotsy. Mihanta enrage, car, comme pour les outils et les autres objets abandonnés par les Blancs, ils les ont délaissés. Ils n’ont récupéré que la nourriture ! Apprendre d’eux, puis laisser perdre les outils, quelle stupidité ! Sa négligence l’horripile. Les tempêtes ont ravagé la forge : si le foyer de briques parait intact, le soufflet bricolé à partir du coffre est éventré. Sans perdre de temps, Tefy et Lovanandrianina se lancent dans la tâche, mélangeant menuiserie et couture, obtenant un souffle suffisant pour activer le feu et amollir le fer. L’enclume, le marteau, la pince sont retrouvés dans des cris de joie. Les premières tentatives sont minables, mais bientôt la qualité s’améliore et de très longs clous arrivent, entrainant une course aux bouts de métal.

Les premières tentatives d’assemblage sont désastreuses : essayer de faire se tenir debout la moindre structure sur le sable mou s’avère impossible ! Ils doivent construire en s'appuyant sur d’énormes bouts de bois, qui fassent toute la longueur du radeau. On complètera ensuite cette structure ensuite avec du bois de moindre taille et les planchers seront faits de deux couches croisées. L’enthousiasme est tel qu’aucun ne se pose la question de la faisabilité réelle ; tout le monde participe à cette construction, qui rompt heureusement la monotonie de la répétition des tours de l’ile.

Avec infiniment d’efforts et de périls, ils sont parvenus à extraire la base des trois mâts du navire échoué. L’un étant plus gros et plus long, l’idée d’un radeau en forme de triangle est adoptée. Une grande largeur leur parait également importante, pour reproduire un peu le balancier des pirogues.

Demeure la question essentielle : comment fixer le plancher du dessous ? Ils décident de construire verticalement le radeau, du moins en partie, avant de le basculer. Le travail d’assemblage commence, avec des adaptations sur la taille des clous, qui limitent l’avancement. Sans coordination, chacun œuvre où il se sent le plus utile.

En l’absence d’un plan véritable, avec des bonnes volontés variables et discordantes, le sambo peine à se dessiner quand un nouveau problème surgit : la voile, indispensable pour pousser le navire ! Des toiles récupérées du navire échoué, celles qui leur ont servi de tente ont été emportées par la première tempête. Les Fotsy ont récupéré la majorité des leurs pour leur gréement. Les pagnes ont usé une bonne partie de la quantité restante et les derniers morceaux, en lambeaux, servent à abriter le coin de préparation des repas. Un atelier est cependant mis en place, où Fahafahana, Tsioritsoa et Malala s’efforcent d’obtenir un carré d’une surface suffisante en cousant soigneusement les bribes recueillies.

Si tous travaillent avec gaieté, la discussion sur le départ est soigneusement évitée, car l’opposition traverse beaucoup de couples. Bakoly ne partira pas, sans bien savoir pourquoi, ni si elle supportera cette séparation. La moitié des amants est traversée par une dissension, l’un voulant partir, l’autre resté ; Nahary et Herizo veulent partir, tandis que leur compagne, Haja et Fanjatiania veulent rester. À l’inverse, Tsioritsoa et Sahondra embarqueront, alors que leur compagnon, Harilanto et Ravo resteront.

Tsimavio est rassurée : depuis que Mananjara a montré les cicatrices des coups de fouet, une compassion sans limite l’a habitée. Ce sentiment a lentement évolué vers une admiration pour ce garçon à la volonté trempée et au physique agréable. Soamiary avait remarqué les penchants de sa fille et Tsimavio n’avait su interpréter son absence de réactions : une réticence ou un encouragement ? Tsimavio se trouve toujours dans la proximité de Mananjara, montrant une attention permanente. Souvent, elle se heurte à Miangaly, cette fille insupportable, qui se permet de faire les yeux doux à Mananjara. Elles ne se connaissent pas, s’ignorent en se vouant une haine intense. Mananjara semble indifférent à cette lutte, complètement absorbé par le projet de radeau.

Malanto et Lalaina dénotent, car ils ont été les premiers à oser se montrer ensemble à se tenir par la main. Leurs yeux se sont rencontrés après la première gorgée d’eau salvatrice. Ils étaient retournés au camp en se soutenant. Il en était resté une proximité entre ces deux jeunes issus des basses terres. Ils avaient réfréné leurs pulsions tant que les Blancs avaient été là, comme si cette engeance à l’origine de tous leurs maux pouvait, à tout instant, déclencher un cataclysme destructeur. Une fois la voile du chaland disparue, ils avaient pu laisser éclore des sentiments. L’approche avait été difficile, perdus qu'ils étaient sans les enseignements et conseils, travaillés par un instinct de vie exacerbé par les épreuves. Eux, ils partiront, espérant fonder une famille.

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