la mémoire
Cette histoire est un « roman, basé sur des faits réels ».
Sa mémoire a traversé les derniers siècles, grâce notamment au texte manuscrit de l’écrivain du bord Hilarion Dubuisson de Kéraudic, qui décrit le naufrage et narre le séjour des naufragés sur l’ile. Il est complété par le recueil du témoignage de La Fargue, le commandant de l’Utile, à leur arrivée à Foulepointe, ainsi que par des lettres de Maillart au ministre de la Marine, rendant compte du sauvetage et des soins apportés aux rescapés.
Cette histoire de sauvetage passionne l’opinion au point qu’un récit est imprimé et colporté dès 1763, soit seulement deux ans après l’évènement.
Sur place, la mémoire reste également vive, puisque des voyageurs aux Mascareignes (l’abbé Pingré, Bernardin de Saint-Pierre, l’abbé Rochon), bien avant l’épilogue, rapportent l’épisode, en révélant le refus de l’administration de la Compagnie d’aller rechercher les esclaves abandonnés.
En 1777, la nouvelle du sauvetage des rescapés parvient en Europe et plusieurs journaux publient un texte identique.
Condorcet, dans ses Réflexions sur l’esclavage des nègres (1781), pour montrer « combien les Européens sont éloignés en général de regarder les noirs comme leurs semblables », prend comme exemple la perdition de l’Utile et la négligence envers ces Malgaches.
Cette affaire va glisser doucement dans l’oubli. Au 19e siècle, l’ile des sables est l’objet de visites exploratoires par les Britanniques et les Français. Par exemple, après le passage de trois cyclones en 1830 (15 janvier, 27 mars et 3 avril), la corvette la Favorite, commandée est envoyée afin de vérifier qu’aucun naufrage ne s’y est produit. En 1851, Hyde Parker, commander du HMS Pantaloon, met pied à terre et décrit pour la première fois les murs de pierre.
En 1867, l’Atieth Rahamon s'échoue sur l’ile, désormais couramment nommée Tromelin ; sept rescapés regagnent l’ile Maurice pour y chercher des secours. On retrouvera les traces d’un autre naufrage au cours de ce siècle : les débris de l’épave restent visibles, ainsi que les traces d’utilisation de l’habitat des Malgaches, sans qu’il soit possible d’en savoir plus.
Alors que l’État français est propriétaire de l’ile, des concessions, accordées par le gouvernement mauricien, permettent l’exploitation du guano.
En 1953, l’organisation météorologique mondiale décide d’implanter une station météo à Tromelin, comme poste avancé de protection contre les cyclones. Lors des reconnaissances, le puits creusé par les naufragés de l’Utile sera recherché, en vain, ce qui fera douter de la possibilité de parvenir à creuser le sol de l’ile : « Un conseil primaire peut être donné aux naufragés qui se trouveraient en détresse sur un rocher corallien semblable à l’ile des sables : il est vain de chercher à creuser le sable dans l’espoir de trouver de l’eau douce (sous le sable on trouve une dalle de corail très dure et très épaisse) ». L’intérêt de fouilles sur les épaves visibles est avancé.
Malgré le relevé de l’emplacement de l’habitat des Malgaches, un préfabriqué est monté partiellement dessus. Plus tard, les météorologues intrigués par les vestiges de construction entreprirent de creuser au pied de l’un des murs construits en blocs de corail, bousculant les vestiges.
En 1956, la station est rasée par un cyclone, suivi d’autres, dont quatre en 1959. De nouveaux bâtiments, plus solides, seront érigés en 1964. En moyenne, neuf perturbations tropicales naissent dans la région chaque année, dont quatre atteignent le stade de cyclone tropical. Ces perturbations sont accompagnées de pluies torrentielles ainsi que d’une remontée du niveau relatif de la mer et d’une houle cyclonique, dont la crête peut dépasser de plusieurs mètres le niveau des plus hautes mers.
En juin 2010, un accord franco-mauricien de cogestion de Tromelin est signé. Le 14 juin 2011, la station météorologique étant automatisée, les météorologues quittent la station. Des arrêtés ont permis d’en faire un espace protégé, réservé aux seules missions scientifiques.
En 2003, l’idée d’une fouille archéologique sous-marine et terrestre sur l’ile de Tromelin commence à prendre forme, répondant également au souhait de l’UNESCO de mettre sur pied un projet dans l’océan Indien destiné à faire partie des manifestations de l’année 2004, déclarée « Année de la commémoration de la lutte contre l’esclavage ».
Le Groupe de recherche en archéologie navale (GRAN) et l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) travaillèrent ensemble sur quatre missions « Esclaves oubliés », en 2006, 2 008,201 1 et 2013, mission pendant laquelle une stèle commémorative est apposée sur le site archéologique.
En 2006, la localisation de l’habitat des esclaves est fixée, avec deux phases d’occupation séparées par un épisode de tempête, dont celle de la présence des naufragés de l’Utile après le départ des Français. Plusieurs aspects concentrent l’attention. Le feu a-t-il été entretenu par les Malgaches ou a-t-il été allumé par des moyens propres ? (Les rescapées ont affirmé avoir gardé le feu pendant quinze ans.) La construction d’un habitat en pierre parait une pratique inhabituelle pour des Malgaches. Les pratiques alimentaires restent indéterminées, ainsi que la localisation des sépultures, attestées par la description qu’en a faite le Commander Parker lors de sa visite en 1851.
Dans les missions ultérieures, seulement deux squelettes de jeunes adultes sont retrouvés dans les couches sédimentaires correspondant aux objets transformés par les naufragés de l’Utile.
La nourriture provenait essentiellement des sternes, qui ont quitté l’ile ultérieurement. « Leurs colonies pouvaient atteindre plusieurs centaines de milliers d’individus, leur venue constituait donc une manne essentielle pour la survie des naufragés. Ces oiseaux ont fourni des œufs, dont la consommation probable n’a pas laissé de traces, et environ une centaine de grammes de viande par individu. Les oiseaux étaient mangés grillés, les parties les plus charnues débitées à l’aide d’un outil tranchant comme le montre la présence de brulures régulières et de stries de découpe sur les os. Sur le site haut, les extrémités d’ailes sont souvent absentes et les fractures régulières montrent qu’elles ont été brisées avant la cuisson. Il est possible que ce geste ait eu pour objet la récupération des plumes, peut-être destinées à la confection des pagnes qui constituaient l’habillement des rescapées au moment de leur sauvetage. » [Mémoire d’une ile] Des restes de tortues et de poissons montrent les autres composantes de cette nourriture.
Le puits, qui semble avoir été observé par les personnels de la station météo dans les années 1960, n’a pas été retrouvé.
Sources :
Max Guérout / Tromelin, Mémoire d’une ile / CNRS éditions
Max Guérout — Thomas Ronon / Tromelin, l’ile aux esclaves oubliés / CNRS éditions
Irène Frain / Les naufragés de l’ile de Tromelin / Édition Michel Lafont
Mémoire des Hommes / site du Secrétariat général pour l’Administration / ministère de la Défense
Également
Exposition Tromelin, l’ile aux esclaves oubliés 2019 -2 022 GRAN-INRAP
Savoia / Les esclaves oubliés de Tromelin / Éditions Dupuis
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