2. Perte de mémoire - 2/3
Il sortit la tête dans le couloir. C’était le moment, celui-ci était désert. Il avait planifié son itinéraire afin de ne pas se faire surprendre. Il devait rejoindre les toilettes des filles du rez-de-chaussée, la seule salle où il ne risquait pas de rencontrer qui que ce soit. Les filles évitaient ces toilettes et préféraient celles qui se trouvaient à l’étage. Ethan ignorait pourquoi. De plus, la pièce comportait l’avantage d’avoir une fenêtre qui donnait sur la rue.
Il y arriva sans difficulté, les enfants devaient certainement être toujours dans le réfectoire et sœur Madeleine était partie commencer l’inspection des lits. Elle débutait systématiquement par le dernier étage, ce qui lui laissait un laps de temps confortable. Il ouvrit la fenêtre et quelques secondes plus tard, il était de l’autre côté de la chaussée, le visage triomphant et sa boite en fer dans ses mains. Voilà qui s’annonçait être une bonne journée.
Comme l’avait dit la météorologue, il faisait déjà très chaud en ce début de matinée. C’était une période particulièrement fatigante pour tout le monde. Tous devaient subir l’ardeur écrasante des rayons du soleil le jour, et le soir venu il était difficile de fermer l’œil tellement les maisons emmagasinaient la chaleur. L’orphelinat ne dérogeait malheureusement pas à la règle. Même en dormant avec les fenêtres grandes ouvertes, ce qui vous laissait à la merci des moustiques, il était devenu presque impossible de passer une nuit paisible.
Ethan s’estimait cependant heureux. Il était en vacances et n’avait donc pas pour obligation d’aller en cours. Les salles de classe, particulièrement exposées au soleil, pouvaient rapidement se transformer en véritable fournaise.
Il ne resta pas sur le trottoir bien longtemps, il pouvait encore se faire attraper. Il longea la rivière sur quelques mètres puis bifurqua pour prendre le sentier qui menait aux bois. Il passa devant la maison de monsieur Najin, le maire du village, occupé à élaguer ses arbustes.
— Mettez-vous à l’ombre, monsieur Najin, lui lança Ethan, vous allez finir avec une insolation.
— Tu sais bien que ces arbustes ne vont pas se tailler tout seuls, déclara-t-il avec un ricanement en se redressant.
Il s’approcha un peu plus d’Ethan et lui chuchota :
— Si sœur Madeleine me demande, je ne t’ai jamais vu, bien entendu. Allez, file !
Ethan lui répondit avec un sourire éclatant et s’empressa de parcourir la distance qui le séparait encore des bois, il voulait se placer à l’abri du soleil au plus vite.
Ethan était un aventurier dans l’âme. Il ne l’avouait à personne, mais il aspirait secrètement à quitter le refuge pour faire le tour de la planète à pied. Évidemment, ce n’était qu’un rêve. Il était bien conscient que le jour de partir de l’orphelinat n’était pas près d’arriver. Il prenait donc beaucoup de plaisir à se promener pour découvrir de nouveaux lieux proches dans le village.
Sortir sans autorisation était bien entendu interdit, mais tout le monde avait compris qu’il était impossible de l’empêcher de s’échapper, même sœur Madeleine se contentait maintenant d’un bref sermon. Il faisait quand même en sorte de s’éclipser avec la plus grande discrétion. Qui sait ? Ses talents de furtivité pourraient lui être utiles un jour lors d’une aventure.
Il se promena environ une heure en écoutant le chant des fauvettes, perchées dans les pins, sans vraiment faire attention à l’endroit où il posait les pieds. Il connaissait ces bois par cœur et aurait pu s’y déplacer les yeux fermés.
La température était plus agréable dans les frondaisons et seuls les gazouillis des oiseaux ainsi que l’air s’engouffrant entre les épines de pins venaient rompre le silence. Quelques fois, l’herbe ainsi que les feuilles mortes se mettaient subitement à bouger. Certainement un lapin ou bien une souris qui se promenait par là et qui prenait soin d’éviter Ethan.
Finalement, il arriva à son endroit préféré de la forêt. Un grand chêne, bien plus gros que les autres, recouvert d’une épaisse mousse. Un lieu idéal pour s’asseoir et lire un bon livre.
Il passa sa journée à bouquiner, ne faisant une pause que pour déguster son sandwich. Il ne cessa que lorsqu’il prit conscience que le soleil commençait à décliner peu à peu et que les bois alentour s’assombrissaient. Il se leva et prit le chemin du retour, les chants des oiseaux pour l’accompagner.
Mais à mi-chemin, quelque chose changea. Ethan s’immobilisa et tendit l’oreille. La forêt était tout à coup plongée dans un silence assourdissant et l’air autour de lui semblait comme figé. On aurait presque dit qu’un orage se préparait et pourtant, de ce que pouvait distinguer Ethan, le ciel était d’un bleu azur. Il fit quelques pas, ravi de voir qu’il n’était pas paralysé. Brusquement ébloui, il ferma les yeux.
Il était curieux que le soleil déchire l’ombre que projetaient les épaisses branches des pins. Ethan cligna vivement des yeux et chercha d’où provenait cette clarté intense. Il se décala encore de quelques pas sur la gauche. Il lâcha sa boite en fer et un cri de surprise lui échappa.
À quelques mètres de lui, caché derrière un imposant tronc d’arbre une étrange sphère lumineuse, de la taille d’une pastèque, lévitait au-dessus du sol. Ethan n’avait jamais vu quelque chose de semblable de toute sa vie. C’était comme si le soleil avait soudainement décidé de rétrécir et de descendre de plusieurs étages pour venir à sa rencontre.
Ethan était fasciné par une telle apparition et se sentait inexplicablement attiré par l’orbe, il aurait voulu le toucher, éprouver son contact qui devait être d’une tiédeur agréable. Ou bien au contraire, il se serait brûlé les doigts.
Cependant, il ne le sut jamais puisqu’au moment où il s’apprêtait à faire un pas en avant, il se rendit compte qu’il était totalement paralysé.
— Qu’est-ce que…
Il essayait frénétiquement de faire fonctionner ses jambes, mais ces dernières ne réagissaient plus, elles étaient comme collées au sol. Il tendit alors les bras vers la sphère.
— Allez, viens là. Rapproche-toi un peu, marmonna-t-il les dents serrées tandis qu’il luttait contre l’étrange force qui l’empêchait de se mouvoir.
Une lente plainte, provenant de l’orbe, lui répondit. Ethan eut immédiatement les larmes aux yeux, il n’aurait su dire pourquoi, mais il n’avait jamais entendu quelque chose de si beau et de si triste. C’était comme si des centaines d’oiseaux s’étaient soudainement mis à se lamenter, à pleurer un être cher.
Puis, sans prévenir, la complainte s’arrêta net et la sphère s’élança à pleine vitesse en direction des cieux pour s’évanouir derrière un épais nuage. L’étrange force qui retenait Ethan se dissipa tout aussi brusquement et il s’étala de tout son long sur l’herbe.
Il était encore sous le choc de ce qu’il venait de vivre. Il se releva vivement en se frottant les mains et regarda tout autour de lui, à la recherche de la mystérieuse apparition lumineuse, mais elle semblait définitivement avoir disparu. L’air était redevenu normal et les oiseaux gazouillaient à nouveau.
Tout ceci était bien étrange, il n’avait jamais entendu parler d’une telle chose. La sphère paraissait avoir sa propre volonté. Et puis cette force qui le clouait au sol ! Il était déçu, il aurait bien aimé toucher le globe, l’envie lui avait paru irrésistible, mais c’était peut-être aussi bien ainsi. Il ne savait ni d’où il provenait, ni ce qui se serait produit. Je viens peut-être de rencontrer une forme de vie extraterrestre, pensa Ethan.
Maussade, il récupéra sa boite qui était tombée à terre et décida qu’il était l’heure de retourner à l’orphelinat. Toujours pas de cadeau d’anniversaire, ni de sphère lumineuse, la récolte de la journée n’avait pas été glorieuse. Il mit beaucoup moins longtemps pour ressortir du bois et rejoignit le sentier qui menait jusque chez lui. Monsieur Najin avait visiblement terminé la taille de ses arbustes et était rentré dans sa maison.
Le sol commença alors à vibrer avec force, manquant de faire perdre l’équilibre à Ethan. Un tremblement de terre ? C’était bien la première fois qu’il en expérimentait un. Mais ce n’était pas un séisme. L’atmosphère sembla se déchirer en deux. Les secousses s’intensifièrent et un sifflement strident retentit derrière lui. Ethan eut juste le temps de se retourner pour voir la mystérieuse sphère lumineuse scinder l’air à une vitesse exceptionnelle et se diriger droit sur lui.
Avant même qu’il ait pu faire un pas de côté pour l’éviter, celle-ci était déjà sur lui et le frappa de plein fouet. Ethan ne ressentit aucune douleur à l’impact, mais se sentit tomber en arrière et tout ce qui se situait autour de lui fut plongé dans la pénombre. Il perdit connaissance quelques instants avant de toucher le sol.
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