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La ville était écrasée sous une chaleur de plomb. Les rayons brûlants du soleil donnaient aux pavés désertés par les passants une allure irréelle. La lumière soulignait chaque angle et faisait ressortir le moindre détail d'une manière crue. En cette fin de juillet, les transports circulaient selon l'horaire de vacances, ce qui renforçait encore cette impression de fin du monde.
Une silhouette déterminée apparut soudain au coin de la rue. Elle longea les maisons en briques foncées d'un pas décidé, sa queue de cheval rousse balayait l'air au gré de sa marche.
La jeune fille s'arrêta un instant au niveau du passage piéton. Le feu était au rouge mais, comme elle n’entendait aucune voiture arriver, elle haussa les épaules et traversa l’artère sans plus hésiter. Sur le trottoir d'en face, l'ombre bienvenue la fit soupirer d'aise. Elle essuya la transpiration qui perlait à son front avant de s'arrêter devant la vitrine d'une pâtisserie pour juger de son allure.
Un visage rougi aux yeux à peine maquillés lui rendit son regard. Quelques mèches avaient réussi à s'échapper de l'élastique et elle s'empressa de les remettre en place avant de poursuivre son chemin avec un sourire. Compte tenu de la météo, elle était aussi présentable que possible. Oui, ça ferait l'affaire.
À quinze ans, Lisa s'était pour la première fois lancée dans la recherche d'un travail d’étudiant. Sur un coup de tête, ses parents avaient décidé de fêter leur anniversaire de mariage aux Seychelles, avec comme seule consigne pour elle de faire quelque chose d'utile de ses vacances. La jeune fille s'était d'abord enthousiasmée à l'idée de gagner un peu d'argent. Mais elle était vite tombée des nues, et réalisé à quel point trouver un employeur était compliqué.
Si les offres ne manquaient pas, il n'était pas évident pour une étudiante sans expérience de se faire embaucher. Elle avait commencé par écumer les commerces autour de chez elle avant de s'aventurer plus loin, toujours sans succès. Et puis, un simple encadré dans le journal local avait attiré son attention.
« Recherche jeune étudiant(e) motivé(e), avec un goût pour les langues. Disponibilité requise durant le mois d’août. Solide rémunération à la clef. Pour plus d'informations, présentez-vous à l’accueil du Commissariat le 1 juillet 2015. »
Dévorée par la curiosité, Lisa avait arraché la page avant de se précipiter au lieu-dit. Elle s'imaginait déjà en héroïne, après avoir réussi à déjouer un complot d'envergure, félicitée par ses proches et par les médias. Elle secoua la tête et se raisonna ; un banal travail de secrétaire devait l’attendre en réalité.
Perdue dans ses pensées, elle tourna dans une ruelle pavée avant de stopper net, déconcertée par la relative pénombre qui y régnait. Coincé entre de hauts buildings à peine construits, le bâtiment qui abritait le Commissariat ne payait pas de mine.
La peinture extérieure s'écaillait en de nombreux endroits et les vitres n'avaient plus été nettoyées depuis des années. Une bonne âme avait tenté, lui sembla-t-il, d'égayer la façade et placé quelques pots de géraniums, mais cela n'avait pas eu l'effet attendu et les plantes finissaient de faner par manque d'arrosage.
Un frisson secoua Lisa. Elle n'en tint pas compte et poussa la lourde porte en bois qui s'ouvrit dans un grincement. Le claquement de sa fermeture attira l'attention de la policière assise au comptoir d'accueil.
La femme grisonnante quitta l'écran de son ordinateur des yeux pour fixer Lisa d'un air fatigué.
— Bonjour. Que puis-je faire pour toi ? soupira-t-elle.
— Je viens juste pour l'annonce, répondit Lisa, hésitante.
— Quelle annonce ? On ne veut pas d'enfants ici. Rentre chez toi, lis un livre ou va à la piscine, peu importe ! Qu'est-ce que tu voudrais qu'on fasse de toi ici, hein petite ?
La jeune fille ne comprenait pas. C'était pourtant écrit noir sur blanc que la police cherchait des étudiants pour l'été. Elle sortit le journal de son sac et le montra à la femme qui s'était déjà désintéressée d'elle.
— C'est de cette annonce que je parle, Madame. Vous voyez, je cherche un job d'étudiant et…
— Bon, puisque tu insistes.
Elle attrapa le combiné du téléphone.
— Jacob, c’est Sandra. J’ai une autre gamine pour vous ici.
Lisa eut l'impression que la femme rechignait à appeler son supérieur. Et puis, elle n'aima pas le regard que lui jeta la policière, juste avant que le dénommé Jacob n'arrive. C'était comme si elle essayait de la dissuader de poursuivre.
Un homme d'environ une quarantaine d'années vint chercher Lisa. Il était grand, il semblait même trop grand pour le couloir qu'il empruntait. Il la laissa attendre dans une autre salle, en compagnie de quelques autres jeunes.
Ils doivent tous vouloir le job, se dit Lisa.
Se trouvaient là : un garçon boutonneux qui avait plus ou moins son âge, une fille brune plongée dans un roman en anglais, un autre jeune endormi la bouche ouverte et une étudiante qui tâchait de rester calme et révisait son cours de chimie.
Jacob appela les jeunes gens un à un. Lisa ne les vit pas ressortir du bureau. Ils avaient peut-être été pris et attendaient leurs instructions.
Ou, plus probablement, songea-t-elle, il y a une seconde porte à ce bureau.
La salle d'attente était décorée de posters qui représentaient divers délits et les peines encourues si on se faisait prendre. Un œil distrait sur les affiches, la jeune fille se dit qu'elle était au-dessus de tout cela. Il ne lui était jamais venu à l'esprit de vendre de la drogue, de voler un sac à main dans une gare ou encore de commettre des délits informatiques, ce qui ne dérangeait pas forcément ses camarades de classe. Mais tiens, pourquoi n'y avait-il pas une affiche à propos du meurtre ? Ce fut sur cette pensée que Lisa entra à son tour dans le bureau.
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