Chapitre 3
Le fournisseur que nous avait désigné le receleur du marché habitait dans un village au nord d’Ocar. Deux vallées plus au nord, plus exactement. Nous ne nous trouvions plus qu’à trois vallées du Vornix et je mourrais furieusement de l’envie d’y faire un saut pour voir la terre de nos ancêtres. Mais en même temps, une terreur superstitieuse me retenait. J’avais l’impression que commettre un tel acte serait sacrilège. Et puis j’avais une mission. Je me suis rapidement rendu compte qu’en fait je me cachais derrière le sauvetage de Vespef pour éviter de me confronter à mes peurs. Mais même sachant cela, rien n’y a fait.
Je m’attendais à trouver un village. En réalité, le vendeur vivait dans une ville. Une petite certes, comparée à Ocar, mais une ville quand même. Quelques centaines de maisons se regroupaient autour du palais du gouverneur dans une structure en cercles concentriques. Là, point de port. Seule la route la reliait au reste du pays. Il fallait dire que la rivière qui la traversait aurait à peine permis à une barque de flotter.
La région était fortement boisée de résineux. Aussi, le trajet jusqu’en ville s’est-il déroulé milieu de fragrances dont je n’avais pas l’habitude. Je les trouvais agréables. Intra-muros, c’était différent. La concentration des parfums faisait tourner la tête tant leur odeur était entêtante.
La maison que nous cherchions se situait près des murs, du côté des montagnes. C’était un quartier populaire. Je n’y voyais rien de surprenant, en tenant compte de la qualité de la marchandise qu’il écoulait quand il était en activité, il ne devait pas rouler sur l’or. Je me suis demandée de quoi il vivait maintenant.
Je frappais à la porte. Mon premier coup a été normal. Pour les suivants, j’ai retenu mon bras. Le battant s’est révélé si branlant que j’ai craint de la défoncer. D’ailleurs, le propriétaire a dû penser la même chose puisqu’il ne nous a pas fait attendre longtemps avant d’ouvrir.
C’était un homme de taille moyenne, sans rien de remarquable. Ses vêtements semblaient en bon état, bien qu’un peu usés. Il donnait l’impression d’avoir subi un revers de fortune, mais que sa situation n’était que passagère. Il nous a invités à entrer.
L’intérieur s’est révélé plus confortable que je ne l’aurai cru. Les sièges qu’il nous a proposés étaient bien rembourrés.
— Nous ne vous dérangeons pas ? a demandé Meton.
— Je ne reçois pas beaucoup de visites ces temps-ci, a répondu l’ancien marchand. Quand j’étais riche, j’étais l’ami de tout le monde. Maintenant, plus personne ne me connaît.
— Nous sommes venus à propos de ceci, suis-je intervenue.
J’ai montré le pendentif au bout de son cordon de soie. Notre hôte n’y a jeté qu’un coup d’œil distrait.
— Jolie taille, mais ce n’est que du quartz, cela n’a aucune valeur.
— Je sais, ai-je répondu. Mais j’ai besoin de connaître sa provenance.
— Comment le saurais-je ? Cette roche est très commune. Il suffit de se baisser pour en ramasser. J’admets que les cristaux aussi beaux pour être utilisés en joaillerie ne sont pas légion, mais on trouve des mines à quelques longes d’ici seulement. De temps en temps, on récolte un morceau comme celui-là. Et votre bracelet a infiniment plus de valeur que ce pendentif. Je ne comprends pas que vous vous intéressiez à une marchandise aussi pauvre.
Par réflexe, je masquais mon poignet droit. Ce bracelet, en fils d’argent tressés, c’était mon père qui l’avait fabriqué, de même que la fibule qui maintenait ma cape fermée et la plupart des bijoux que je portais sur moi. Il me l’avait offert quand j’avais intégré la corporation des guerriers. Et pour rien au monde, je ne m’en séparerai.
— Je ne veux pas savoir où m’en procurer d’autres, ai-je repris, juste connaître la provenance de celui-là en particulier.
— Pourquoi moi ?
— Parce que je l’ai acheté à celui qui a repris votre commerce.
L’attitude du marchand a aussitôt changé. Sa bonne humeur s’est envolée. Son visage est devenu sombre.
— Montrez-le-moi.
Je lui ai tendu la pièce. Il l’a examinée.
— Il ne me dit rien. Si vous l’avez trouvé dans mon stock, cela veut dire qu’il faisait partie d’un lot. Un bijou d’aussi faible valeur, je n’ai pas jugé utile de le référencer. Mais celui qui m’approvisionne l’a certainement fait. Allez le voir.
Il a ouvert le tiroir d’une commode proche et en a sorti une boîte. Dedans, je remarquais plusieurs lettres méticuleusement rangées. Mais il ne les a pas touchées. Il a pris un petit morceau de carton sur lequel figuraient un nom et une adresse, puis il me l’a donné.
— Dites-lui que vous venez de ma part, m’a-t-il suggéré.
— Je vous remercie.
J’ai fait disparaître la carte de visite dans ma poche de poitrine.
— Qu’a-t-il fait pour que vous vous intéressiez à lui ?
— Rien. Juste le fait qu’il possède cette gemme.
— Dommage. J’aurais bien voulu qu’il trempe dans quelque chose d’illégal.
Ainsi donc, ce n’était pas volontairement que le marchand avait abandonné son commerce.
— Si cela peut vous consoler. Il a des problèmes pour trafic d’ambre vornixal.
Son visage s’est éclairé d’un sourire carnassier.
— Voilà une nouvelle qui va illuminer ma journée.
Il nous a raccompagnés jusqu’à la porte. Après les salutations d’usage, nous avons quitté les lieux. J’étais mitigée. Les renseignements qu’ils nous avaient fournis ne nous conduisaient pas encore à Vespef, mais ils nous en rapprochaient.
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