Chapitre 18 - File d'attente

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Une boule au ventre me tenaillait depuis quelques jours. Mirabella n’avait toujours pas de nouvelles pour le contact avec les Anges Noirs, et puisque je m’étais mis Alice à dos, je n’avais plus rien côté humain non plus.

Ces derniers jours, je rasais les murs, me faisant tout petit. Malgré tout, les paroles de Melvin m’avait mis un bon coup au moral. Si bien que je n’osais plus faire quoi que ce soit. Comme un rat d'égout.

Nous étions installés en cours d’Histoire de la vie. Je ne l’écoutais qu’à demi-mot nous parler de la procédure des naissances.

— Les Maîtres de La Mort, comme vous le savez désormais, sont ceux qui s’occupent de laver l’âme. Pour ce faire, ils accompagnent la personne qui vient de mourir dans les moments clés de sa vie. Il va se charger de modifier la couleur de l’âme en blanc. En effet, pendant chacune de ses étapes, l’âme devra effacer sa couleur d’origine. Une fois accomplie, l’âme blanche retournera dans sa fiole. Ils rangeront la fiole dans l’Âmularium. Toute cette étape est délicate et primordiale pour que Le Maître de La Naissance puisse effectuer son rôle sans erreurs. Si une âme n’arrive pas à perdre sa couleur malgré l’aide du Maître de La Mort, il devra alors la stocker dans un autre secteur. Si mélange il y a, la vie de l’individu aura des séquelles.

« Ensuite, un des Maîtres de La Naissance ira chercher une fiole contenant une âme blanche dans l’Âmularium afin de l’insérer dans le corps du nouveau-né à l’aide de son binôme. On sait que le rôle du Maître de La Naissance est rempli une fois que le bébé pleure. J’insiste sur le fait que l’âme insérée doit être blanche, et seulement blanche.

« En ce qui concerne la naissance de personnes comme nous, c’est différent. Nos âmes sont stockées dans un troisième secteur. Il nous sépare des âmes blanches et des âmes en cas critiques.

Une main se leva, le professeur interrogea la jeune femme.

— Comment devient-on un Altruiste ?

— Toutes les âmes que l’on utilise ont déjà vécues des millénaires. Au bout d’un moment, à force de vécu, d’apprentissage, d’expérience, une sorte de noyau arc-en-ciel va se former dans l’âme de l’humain. Ce noyau commence à apparaître cinq vies avant la fin. Quand l’humain en sera à sa dernière vie, il sera convoqué par le Grand Conseil qui lui fera passer des tests d’aptitude. Si le test est réussi, la personne devient un Altruiste.

— Et si le test échoue ? Demanda un autre.

— L’âme est détruite.

Je me retins de montrer une quelconque émotion.

— Le Grand Conseil se réserve le droit de sélectionner les meilleures recrues. On ne prend pas de risque. Notre but est de poursuivre une lignée pure, sans défaut. Malheureusement, il arrive encore que des anomalies apparaissent. Une fraude ou une erreur dans le choix de la fiole. Les cas critiques, que j’appelle âmes résiduelles, peuvent être sélectionnés par inadvertance. Les membres de La Mort et de La Naissance jouent un rôle très important, car ce sont eux qui conservent la bonne pérennité de notre cycle.

Du coin de l’œil, je vis Melvin qui m’observait. Je reportais mon regard sur le professeur.

— Mais comment peut-on frauder ? Demanda une fille au fond de la salle.

— Un Maître de La Mort peut transformer une âme de la couleur qu’il le souhaite. Quand il visionne la vie de l’âme, il peut lui murmurer des choses afin que celle-ci devienne de la couleur qu’il veut qu’elle soit. Vous apprendrez au cours de l’âme et ses secrets combien il est facile de modifier la couleur d’une âme… C’est pour cela qu’on choisit nos descendants, pour éviter les erreurs de ce genre. Nous choisissons des personnes de confiance.

« Si un Maître de La Naissance aide un Maître de La Mort en insérant l’âme modifiée dans un nouveau-né, celui-ci devient un Altruiste. Pour être humain, une âme doit obligatoirement être blanche. Si elle est colorée, elle fait partie des nôtres. Si elle est noire, c’est un Maître de La Mort ; si elle est rouge, c’est un cupidon ; si elle est verte, c'est un naturel ; si elle est bleue, c'est une muse… Bref, vous avez compris l’idée.

« N’importe quel membre du processus peut subtiliser une fiole, Maître de La Naissance ou de La Mort… Les âmes non aptes, non désirées, sont détruites immédiatement. Il en va de même pour les âmes en fin de cycle qui n’aurait pas réussi notre test. Nous supprimons les fraudes, les anomalies. J’ai cru comprendre que le Grand Conseil avait récupéré une âme cette année…

Le silence se fit dans la pièce. Plus personne n’osait dire quoi que ce soit. Je lançais un nouveau regard vers Melvin. Comme à son habitude, aucune émotion ne pouvait se lire sur son visage. Je me demandais ce qu’il pensait réellement de tout ça.

— Une fois que notre âme est devenu un Altruiste, nous ne pouvons plus revenir en arrière, fit le professeur, rompant le silence pesant. Nos âmes sont non recyclables. Quand notre rôle est terminé et que l’on passe le flambeau, notre âme est déposée dans notre paradis personnel. Je devais faire partie des morts lorsque j’ai finalement obtenu ma place dans le Grand Conseil. D’où le fait que mon corps ne ressemble pas à un humain : nous avons emprunté un cadavre.

Tous mes camarades émirent un son de dégoût.

— Je plaisante, je plaisante… Nous avons créé ce corps avec notre magie. Comme vous pouvez le voir, elle a ses limites, car mon corps se détériore. Enfin. Avez-vous d’autres questions ?

Le discours du professeur était parfois un peu flou, et ne semblait pas toujours coller aux idées du Grand Conseil. Bien que j'eus l'impression qu’il essayait de rester fidèle à son rôle, je sentais qu'il n’était pas totalement convaincu par ce qu’il disait.

À l'écoute de ses paroles, une question me trottait dans la tête : est-ce que c’était dangereux pour ceux qui étaient au courant… ? Célestin et Mirabella savaient que j’étais une fraude, et j’espérais sincèrement qu’ils ne se retrouveraient pas dans une situation risquée à cause de moi.

Je sortis la bague de ma poche et la remis à mon doigt. Même si c’était Melvin qui m’avait conseillée de la porter et que je n’avais pas une totale confiance en lui, mon père semblait penser la même chose. Je ne comprenais pas bien en quoi cette bague pouvait me protéger, mais j’avais décidé de lui accorder ma confiance et de la remettre.

Quand le cours se termina, je retrouvai Mirabella et Célestin qui étaient en pleine conversation. Ne leur ayant pas encore parlé de mon accrochage avec Alice, Maxime et Melvin, j’en profitai pour leur raconter pendant qu’on marchait vers la sortie.

— C’est pour ça que tu t’en es mieux sorti ce matin au cours de Développement ? J’ai cru voir que tu avais réussi à faire disparaître ton buste.

Je haussais les épaules. C’était vrai, j’avais réussi à disparaître un peu mieux que d’habitude mais on ne pouvait pas dire que c’était un exploit. Surtout, je ne savais pas si ça durerait ainsi.

— Je sais pas pourquoi j’ai réagi comme ça avec Alice, j’ai été un vrai con.

— La jalousie… Un sentiment puissant, destructeur… Murmura Célestin.

— La jalousie ? Mais non n’importe quoi ! Jaloux de quoi ?

— Plutôt de qui. Sûrement de sa proximité avec Maxime.

Je secouais la tête pour balayer cette idée. Moi, ressentir de la jalousie ? Non… Ce n’était pas possible.

— T’as pas réussi à contrôler tes propos. Tu l’as dit toi-même : C’est sorti tout seul. Bah ça… C’est bien de la jalousie.

— Ou peut-être qu’ils l’ont simplement énervé, suggéra Mirabella en haussant les épaules.

Célestin secoua la tête, mi-irrité, mi-amusé.

— Ça se voit que vous maîtrisez pas votre sujet.

— Excusez-nous, monsieur l’Expert.

— Pourquoi y’a autant de monde, là ? Souffla Mirabella, tandis que nous nous mettions dans une file d’attente qui menait à la sortie.

Je jetais un coup d’œil devant moi. Les élèves étaient tellement nombreux que je n’arrivais pas à voir ce qu’il se passait devant moi.

— Fais chier, j’ai la dalle moi, râla Célestin.

— Qu’est-ce qu’il se passe à votre avis ? Demandais-je.

Mirabella et Célestin me jetèrent un regard et haussèrent les épaules. Melvin et Timéo vinrent se placer derrière nous.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? Nous demanda Melvin.

Mirabella lui lança un regard mauvais.

— Sûrement encore un truc que tu as provoqué, lui cracha-t-elle, mauvaise.

Melvin lui lança un regard amusé.

— Que se passe-t-il Bella, tu n’as pas pris tes cachets ce matin ?

— C’est quoi ton problème ? Ça t’amuse de tourmenter les gens ? Pesta-t-elle entre ses dents.

Le regard de Melvin se posa sur moi quelques instants avant de se poser de nouveau sur Mirabella. Il pencha la tête de côté, un sourire en coin.

— Oh, j'ai compris. Tu défends ton lionceau, c’est ça ?

— Fiche-nous la paix, veux-tu ?

— Ou devrais-je dire, ton lion. Ce serait plus approprié, tu ne penses pas ?

Mirabella lui lança un regard noir.

— De quoi il parle ? Demanda Célestin.

— Melvin… Murmura Timéo, mettant son bras contre son buste, comme pour lui indiquer de ne pas attaquer.

— Ne t’avise surtout pas de… commença Mirabella, la rage dans la voix.

— De leur petite sauterie, finit Melvin, un air satisfait sur le visage.

Mirabella se pinça les lèvres. Timéo leva les yeux au ciel, poussant un soupir.

— Quoi ?! S’écria Célestin. Mais comment c’est possible ?

— Tu sais, on s’est mis tout nu et on… Commençais-je.

— Merci, je sais ce que ‘sauterie’ veut dire. Ce que je ne comprends pas, c'est comment vous avez pu me cacher une info pareille ?!

Melvin lâcha soupir amusé.

— À la base, ça ne regardait que nous, grogna Mirabella, dont les yeux lançaient des éclairs à Melvin.

— Non non non, vous êtes censé tout me dire ! Rétorqua Célestin.

— Mais là, c'est pas pareil, c’est…

— Oui, justement, ça devrait être prioritaire !

Je ne pus m’empêcher de lâcher un rire.

— Et toi, mêle-toi de ce qui te regarde ! Gronda Mirabella, se tournant de nouveau vers Melvin.

Melvin lui fit une moue amusée.

— Oh arrête, tout l’étage vous a entendu.

— Quoi ?! S’étrangla Mirabella.

Melvin haussa les épaules, gardant son exaspérante moue amusée. Timéo leva les yeux au ciel une nouvelle fois. Puis il jeta un coup d’œil sur la file qui avançait lentement. Melvin l’imita.

— Bon, ils avancent ? Râla-t-il. C’est pas que cette charmante discussion m’ennuie, mais j’ai faim.

— Personne te force à rester avec nous, répondit Mirabella sur le même ton irrité.

— Et louper le privilège d’être en ta compagnie ? Fit Melvin d’une voix enfantine.

— Tous ceux que tu côtoies finissent mort. J’ai pas envie d’être arraché comme…

Mirabella n’eut pas le temps de finir sa phrase. Devant nous, nous finissions par apercevoir la R.D.Â. qui était en train de scanner toutes les personnes qui souhaitaient sortir. J’eus une sueur froide.

Merde ! C’est quoi ce bordel ?

— Qu’est-ce que tu as fait ? Demanda Mirabella à Melvin, qui lui répondit par un regard noir.

Il n’avait pas dû apprécier la remarque qu’elle venait de lui faire. Il ne répondit pas. Est-ce qu’il m’avait balancé ? Est-ce que la R.D. était là pour moi ?

Merde merde merde !

Que devais-je faire ? À première vue, il n'y avait pas grand-chose à faire, à part attendre. Si je quittais la file, mon absence ne passerait pas inaperçue.

Le silence était lourd, presque palpable. Aucun de nous n'osait dire un mot. Même Melvin, pourtant toujours prompt à réagir, restait étrangement muet. Je jetai un coup d'œil vers lui. Il semblait implacable, fidèle à lui-même, mais je pouvais sentir, malgré sa froideur apparente, que quelque chose en lui n’allait pas. Il n’était pas aussi calme qu’il voulait le faire croire.

À chaque pas, la sueur perlait un peu plus sur mon front. Mon cœur battait à tout rompre, comme si chaque battement risquait de m’écraser. J'avais l’impression que j’allais m'effondrer d’un moment à l’autre. Peut-être que perdre connaissance serait la seule solution pour m’échapper ? Non… non, c’était trop risqué. Quelques mètres… quelques mètres seulement me séparaient de ce qui ressemblait à ma fin.

Mes pas devenaient lourds, l’air se faisait rare. La R.D. était si proche que je pouvais presque sentir leur souffle sur ma peau. Il ne me restait plus qu’à prier pour… que quelque chose, n'importe quoi, me sauve.

Soudain, Monsieur Rhânlam fit son apparition, traversant le hall à grandes enjambées. Je le regardai, fascinée, comme si j’avais devant moi une apparition divine. Sans perdre de temps, il s’élança vers la R.D. et leur indiqua quelque chose en pointant un couloir. Les hommes en uniforme se précipitèrent dans cette direction, sans même nous accorder un regard.

Mes jambes tremblaient. Il fallait que je me fasse discret, que je me faufile sans attirer l’attention. Je me dirigeai vers la sortie, le cœur battant. L’air frais m’assaillit en pleine figure, et j’accueillis cette brise avec un soulagement presque intense. Je tentais de reprendre mon souffle, en essayant de ne pas attirer les regards. J’eus l’impression que Monsieur Rhânlam m’observait.

Marcher. Sortir. Rester calme.

— Ça va ? Me demanda une voix que je ne reconnus pas.

Une main se posa sur mon épaule. Je suivis le mouvement de la main du regard, et je vis le jeune homme au regard ambré. Fay.

D’un geste brusque, je me dégageais de son emprise. Je n’aimais pas que des inconnus me touchent. Son regard s’intensifia, comme s’il essayait de percer quelque chose en moi. Puis, ses yeux se posèrent sur ma main, là où brillait ma bague.

— Oui, répondis-je d’une voix sèche, sans me retourner, et me dirigeai à toute vitesse vers la sortie.

Son insistance me surprenait. Devais-je me méfier de lui ?

**

Après avoir quitté les arcanes du cours de l'âme et ses secrets, Mirabella, Célestin et moi nous précipitâmes vers la sortie. La R.D.Â., omniprésente, surveillait sans cesse les allées et venues, et nous, furtifs, tentions d’échapper à son regard vigilant, fuyant les cours avec une urgence palpable. Mais à chaque volte-face, il semblait que ce même garçon aux yeux couleur d’ambre nous suivait, comme une ombre. Depuis quelques jours, cette étrange sensation grandissait en moi, comme si ses pas résonnaient partout où je me rendais.

Sur le chemin du retour, je partageais cette inquiétude avec mes amis, et lorsque je mentionnai ce garçon, Célestin serra les dents, un malaise visible traversant son visage.

— Qu’est-ce qu’il y a ? Lui demandais-je, ne comprenant pas son expression.

— Rien, c'est juste que…

Il s’interrompit soudain, ses mains se mouvant dans des gestes furtifs, comme s’il dialoguait avec des pensées invisibles. Mirabella et moi restions là, les yeux fixés sur lui, attendant la suite de ses paroles.

— Je crois qu'il me harcèle un peu, souffla-t-il. Il est bizarre.

— Comment ça ? insistai-je, curieux de savoir ce qui se passait vraiment.

— Tu te rappelles à Noël, je t’ai dit qu’il insistait pour qu’on se voit ?

Essayant de me remémorer nos discussions, il ne me semblait pas qu’il m’en avait parlé.

— Non.

— Eh bien je… J'ai couché avec lui.

— Quoi ?! m'écriai-je. Attends… tu nous fais une scène avec Mira parce qu'on t'a pas dit qu'on l'avait fait, mais toi, tu nous dis pas ça ?

Célestin grogna.

— Je t’en avais parlé à Noël…

— Pas vraiment !

Mirabella, elle, se redressa, le regardant de haut, comme une reine prête à rendre son jugement.

— Bon… c'était un soir où je me sentais un peu seul. Il était là, on a bu un verre, on a discuté… et de fil en aiguille, on a fini par se retrouver au lit. Que voulez-vous que je vous dise ? Moi aussi, j'ai des besoins !

— Toi qui avais soi-disant arrêté avec les relations, le réprimandai-je.

— C'était juste un coup d'un soir, pas une relation, souffla-t-il en se défendant.

— Tu viens pas de dire qu'il était bizarre ? renchérit Mirabella.

— Si, c'est justement pour ça que c'était un coup d'un soir, râla-t-il.

Mirabella et moi nous échangeâmes un regard lourd de sous-entendus avant de nous tourner à nouveau vers lui, les mains sur les hanches, comme si nous allions le réprimander.

— Et ? lançai-je d'un ton insistant, hochant la tête.

— Bah, peut-être que c'est pour ça qu'il est bizarre… Je l'ai un peu… ghosté.

Mirabella leva les yeux au ciel, tandis que je maintenais mon regard sur Célestin, sans ajouter un mot, absorbée par ce qu'il venait de nous confier. Célestin se tenait là, replié sur lui-même, comme s'il avait honte, évitant de croiser nos yeux.

Malgré tout, je ne pouvais m'empêcher de trouver ce garçon aux yeux ambré vraiment étrange. Ce n'était pas qu'une simple histoire de cœur.

Je posai une main sur l'épaule de Célestin, qui me répondit par un sourire timide.

— Il faudrait quand même qu’on se penche sur la question du Renifleur. Je sais même pas pourquoi on a pas pensé avant de le chercher plus concrètement, fis-je.

— Peut-être parce que vous étiez focalisé sur Melvin ? Nous lança Célestin d’un ton plus dur.

— Parce que c’est lui ! Vous allez voir, je vais enquêter sur lui.

— Désolé de faire le rabat-joie, mais je pense que non. Vil m’avait fait des confidences. Elle semblait plutôt proche de lui. Et j’ai confiance en son jugement…

La tristesse dans sa voix me fit de la peine. Je posais une main sur son épaule.

— Moi, je pense réellement que c’est lui ! S’écria Mirabella en croisant les bras.

— Oui, mais toi, tu es aveuglé par cette haine que vous nourrissez tous les deux.

Mirabella le fusilla du regard.

— Me regarde pas comme ça, ce n’est qu’un fait, se défendit-il en levant les mains.

— Il faut dire qu’il n’a pas tort… Lâchais-je en hochant la tête. J’avoue que j’ai des doutes à son sujet. Je pense que ça vaut quand même le coup qu'on enquête sur lui, mais pas qu’on dépense toute notre énergie de son côté.

— Écoutez, je vous ai dit que je m’en occupais, je m’en occupe, répondit Mirabella en soufflant. Après tout, c’est moi qui en suis persuadée comme vous le soulignez, alors je m’en occupe.

Après nous être mis d’accord de mener l’enquête de notre côté sur Fay et sur Melvin, nous nous séparions. Depuis notre dispute, je n'avais pas pris le temps d'aller voir Alice. Et, à ma grande surprise, je me rendis compte qu'elle… me manquait. Je n'avais pas l'habitude de ressentir le manque, un vide qui s'insinue sans crier gare, et encore moins pour quelque chose ou quelqu'un. Surtout pas pour une humaine.

Je me dirigeai vers le couloir qui menait à sa chambre, chaque pas hésitant, comme si une force invisible me retenait. Devrais-je frapper à sa porte ? Mon comportement avait été insupportable, je le savais trop bien. Comment pourrais-je espérer qu'elle me pardonne après cela ?

Je secouai la tête, chassant mes doutes. Peut-être qu’il était temps d’agir plutôt que de trop réfléchir. Et, dans un souffle, je toquai.

Quand la porte s’ouvrit enfin, son regard passa de la surprise à une colère palpable. Je ne pus m'empêcher de sourire, fasciné par la lueur de défi qui brillait dans ses yeux.

— Qu’est-ce que tu fous là ?

— Je viens m’excuser.

— Je m’en contrefous de tes excuses Matt !

Elle me pointa du doigt d’un air accusateur. Je compris aussitôt que les mots me manqueraient, que tout ce que je pourrais dire serait vain. Il me fallait trouver une manière de briser ce silence, un chemin pour m'approcher d'elle.

— J’sais pas à quoi tu pensais quand…

— J’ai des infos sur ta mère, lâchais-je pour la faire taire.

Elle plissa les yeux, empreinte de méfiance. C’était une femme intelligente, et je savais qu’elle ne tomberait pas dans le piège de mes mensonges si aisément. Pourtant, sa curiosité s’était allumée, éclipsant la raison et l’orgueil.

— Entre.

Elle se décala, me laissant franchir le seuil. Rien n’avait changé depuis la dernière fois où j’étais venue. J'avais oublié à quel point sa chambre était vaste, en contraste frappant avec la mienne.

— Je t’écoute.

— Je… Je sais pas ce qui m’a pris l’autre jour, j’aurais jamais dû te parler comme ça, j’ai été…

— Je t’ai dit que je m’en foutais de tes excuses. Je t’écoute à propos de ma mère.

— Eh bien…

Alice me scruta un instant, puis ses sourcils se froncèrent : elle avait compris.

— Dehors.

— Attends Alice, s’il te plaît…

— Non Matt. Tu sembles te moquer de moi constamment. Tu te joues de moi…

— Et toi hein ? C’est comme ça qu’on a commencé à se parler non ? Tu t’es bien servi de moi et je ne t’en ai pas tenu rigueur.

Alice fronça les sourcils.

— Écoute, si t’es venu pour me faire une liste de tes reproches, tu peux écrire une lettre, d’accord ? Comme ça je pourrais la brûler.

— Ce n’était pas le but de ma venue. Je suis là pour m’excuser de mon comportement injuste et méchant.

— Sauf que…

— Tu t’en fiches, j’ai compris.

Je plantais mon regard dans le sien. L’espace d’un instant, j’eus l’impression que ses traits se détendirent. Puis, elle fronça de nouveau les sourcils.

— J’sais pas si je peux avoir confiance en toi, Matt. C’est bien ça le problème.

— Pourquoi ? Qu’est-ce qui a changé ?

— Toi ! Toi, tu as changé.

— Tu dis n’importe quoi.

— Peut-être que tu as raison, souffla-t-elle en croisant les bras. Peut-être que je te prenais simplement pour quelqu’un que tu n’es pas.

— Alice…

Je fis un pas vers elle, mes mains frôlant presque ses bras. Elle leva les mains en l’air, en reculant.

— N’approche pas.

Cette fois, je fis un pas en arrière, reprenant mes distances.

— Écoute Alice, je suis désolé. Je n’aurais jamais dû te dire ces choses-là. Je me suis laissé submergé par… Je sais même pas… Je m’en fous pas de toi, au contraire. Si je m’en foutais j’aurais pas réagi comme je l’ai fait. Ton pote Maxime… Je sais pas, y’a quelque-chose chez lui qui me plaît pas et… Enfin, ça n’excuse pas mon comportement, j’aurais pas dû…

— Tu me caches des choses Matt, je le sens. Comment tu veux qu’on se fasse confiance si on est pas transparent l’un envers l’autre ?

— Je te cache rien.

Alice pencha la tête de côté.

— Arrête Matt. Tu crois que je suis dupe ?

Avait-elle deviné mon secret ? Non, c’était impossible…

— De quoi tu parles ?

— Je sens que tu te retiens quand tu me parles, quand tu te confies. Tu as le droit d’avoir tes secrets, c’est pas le problème. Simplement… J’ai l’impression que tu manques de sincérité. Et je ne veux pas de ça autour de moi. Mes amitiés, je les veux authentique, vrai.

— Et tu trouves que la nôtre ne l’est pas ?

Je posais mon regard profondément dans le sien. Alice pinça ses lèvres, ses yeux soutenaient les miens.

— Par moment, je n’en suis pas sûre…

Je poussais un soupir.

— Pourtant je n’ai jamais été autant moi-même avec quelqu’un, murmurais-je.

C'était vrai. Même si je ne pouvais pas lui révéler ma véritable nature, avec elle, je pouvais tout de même être moi-même. Je n'avais pas besoin de dissimuler mes émotions. En cela, elle faisait partie des rares personnes avec qui je me sentais vraiment proche, à l'exception de Mirabella et Célestin.

Alice s'approcha de moi et posa doucement sa main sur mon bras. Elle scrutait mon regard, cherchant sans doute à y dénicher la vérité de mes intentions.

— D’accord. Je te laisse une seconde chance. Après tout, moi aussi je n’ai pas été entièrement sincère dès le départ. Je te laisse le bénéfice du doute. Mais je te préviens, tu n’as plus jamais intérêt de me faire une scène pareille, c’est clair ?

Je hochais la tête.

— Et, plus de mensonge, OK ?

Je hochais de nouveau la tête. Puis, un sourire se dessina sur mes lèvres.

— Et souris pas comme ça, tu dénotes à ta réputation.

Mon sourire s’élargit.

— J’y peux rien, tu dois être magicienne. Capable de rendre heureux les gens les plus déprimés, ironisais-je.

— N’exagérons rien.

— Bon, je te laisse avant que tu changes d’avis…

— Non, attends. Tu me dois un resto, tu te rappelles ? Que dirais-tu de se le faire demain soir ? Comme promis, je te laisse choisir.

— Avec plaisir.

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