Un rêve

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Quand nous nous retrouvâmes dans la chaleur de notre minuscule appartement, je posais à mon père la question qui me brulait les lèvres depuis si longtemps et que n’avais jamais eu le courage de lui poser. Mais aujourd’hui j’avais décidé de défier l’autorité paternelle et de l’obliger à s’expliquer sur ses raisons.

Le silence se fît dans la pièce et chacun attendit, impatient de connaitre son secret.

Mon père baissa les yeux et laissa son regard s’égarer sur le tapis. Le temps s’étira comme un chat paresseux, égrenant lentement les secondes puis les minutes. Je pensais qu’il faisait cela pour ne pas répondre, mais il finit par s’éclaircir la voix et avec son accent grave et trainant, il s’expliqua enfin.

- J’ai fait un rêve…

C’était donc ça le grand secret, nous avions quitté notre petit coin de paradis uniquement parce que mon père avait fait un rêve ! C’était de la pure folie, une hérésie totale, comment avait-il pu faire une chose pareille, lui d’habitude si posé, si réfléchit ?

J’étais en colère, folle de rage, j’avais envie de hurler, de cogner contre le mur de notre appartement, de frapper mon père recroquevillé dans le fauteuil du salon.

Il continua cependant de sa voix forte d’orateur qu’il utilisait pour impressionner ses élèves et les intéresser à ses cours.

- Je voguais sur l’océan avec L’AUDACIEUX, quand le ciel s’est assombri tout à coup, le vent s’est déchainé, secouant les voiles avec rage et violence. Je me sentais seul et impuissant face aux terribles forces de la nature. J’avais la certitude que j’allais mourir si je ne trouvais pas une échappatoire à ce funeste destin. Chaque nuit, je me réveillais tremblant et paniqué faisant inlassablement le même rêve. Puis la solution m’est apparue, simple et évidente, nous devions quitter l’île. Dès que cette décision a pris racine dans mon esprit, les cauchemars se sont arrêtés. Il fallait partir, c’était devenu une obsession.

A cet instant je compris que mon père avait imaginé cette explication surnaturelle à notre départ pour ne pas dévoiler la réalité qui était certainement moins reluisante.

Un flot d’idées plus saugrenues les unes que les autres alimentèrent mon imagination fertile. Je voyais mon père en gangster, changeant d’identité et s’exilant à l’autre bout du monde pour fuir la police à ses trousses. Avait-il été muté contre son gré ? Avait-il des dettes ? Ou pire encore, avait-il tué quelqu’un?

Autant de questions qui resteraient à jamais sans réponses, car mon père garderait jalousement son secret, comme un trophée de guerre, au creux de sa mémoire.

Nous ne retournâmes jamais dans notre petit coin de paradis. Nous ne revîmes jamais l’oncle Anatole dont le visage jovial et le sourire facile marquerait à jamais ma mémoire.

Notre petite île de Saint Barthélemy fût balayée par un redoutable cyclone deux semaines jour pour jour après notre départ. Quand j’appris la nouvelle, je frissonnais dans la tiédeur de notre appartement en me remémorant les paroles prémonitoires de mon père.

Je fermais les yeux et du plus profond de ma mémoire, resurgirent les souvenirs enfouis du jour de notre départ. L’oiseau majestueux planant dans le ciel d’azur, le bruit des vagues s’échouant dans la lagune et le chemin de sable que nous empruntions pour aller sur la plage. J’étais à présent l’unique dépositaire d’un passé révolu qui n’existait plus que dans le gouffre de ma mémoire.

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