Chapitre 15
Le retour vers le campo de la Celestia se déroule dans le silence. Les enfants se sentent excités, mais surtout effrayés.
Silvio se demande ce qui va se passer. Les deux esprits de Noël vont-ils secourir la Befana tout seuls ? Dans ce cas, comment ses amis et lui connaîtront-ils la fin de l’histoire ? Le garçon regarde les deux hommes qui semblent avoir mis leurs querelles de côté, mais se taisent, soucieux.
En arrivant devant le véhicule du Père Noël, Silvio s’étonne de ne pas voir de curieux autour de l’âne et des rennes. Au lieu de cela, ses camarades se livrent à une nouvelle bataille de boules de neige et évitent de se rapprocher d’eux.
— Ho, ho, ho, lance le Père Noël. Tout le monde à bord, même l’âne. Nous voyagerons beaucoup plus vite en traîneau qu’en traînant.
— Ah, ah, très bon ! lance Agostino, sortant soudain de sa stupeur.
— Embarquez, il y a assez de place.
— Est-ce que je peux monter devant ? réclame Livia en tentant le coup des yeux de chat.
— Oui, ma grande, après tout Nicolas n’est pas bien gros, il devrait pouvoir te laisser une petite place.
— Ce ne sera pas assez grand, tranche Agostino qui est déjà en train de s’asseoir sur la banquette arrière.
— Ne t’inquiète pas, c’est plus grand à l’intérieur qu’à l’extérieur. Comment crois-tu que j’embarque les jouets de milliards d’enfants ?
L’ensemble de la troupe monte à bord. Le miracle opère : chaque fois que la place semble manquer, pour les enfants ou pour l’âne, le traîneau s’allonge de l’espace nécessaire. Par contre, Silvio remarque que rien ne change autour d’eux, un peu comme si le véhicule avait toujours eu la bonne taille pour accueillir tout le monde.
***
Dans l’indifférence la plus totale des habitants, le traîneau commence à glisser dans la neige. Avant qu’il ait parcouru la moitié de la place, les sabots des rennes ne touchent plus le sol. Puis l’équipage s’envole, soulevant des nuages de poudreuse sur les enfants du Campo. Il s’élève rapidement au-dessus des pavés et ses patins frôlent les tuiles neigeuses des toits lorsqu’il passe au-dessus.
— Tu n’as pas l’air dans ton assiette ? s’inquiète le Père Noël en s’adressant à Saint-Nicolas. Tu as peur de voler ?
— Non, pas du tout, voler ne me fait pas du tout peur, par contre tomber m’effraie, balbutie le saint homme, les dents serrées.
— Ho ho ho.
Les enfants profitent de l’altitude pour observer leur ville du ciel. Il se rendent compte à quel point elle est liée à la mer. L’île en forme de poisson perdue dans la nasse de la lagune devient de plus en plus petite. Les petits Vénitiens éprouvent un mélange d’excitation et de peur au fur et à mesure qu’ils s’éloignent de leur maison.
Le Père Noël guide le traîneau vers le nord. Devant, les rennes foulent un sol invisible de leurs sabots, leur vitesse et leur altitude ne cessent de croître, Venise n’est rapidement plus qu’un minuscule point à l’horizon.
— Nous arriverons rapidement, crie le Père Noël. C’est un très long voyage, mais qui sera très rapide.
Peu à peu, les contours des montagnes apparaissent au milieu des nuages qui semblent s’écarter sur leur passage. Le vent frais prend une odeur de caramel. Depuis leur place, les deux garçons regardent le sol qui défile, des centaines de mètres sous leurs pieds.
Soudain un léger soubresaut, une petite transformation de la couleur et de la texture de l’air les alertent.
— Nous venons d’entrer dans le pays magique, les enfants. Ho ho ho ! rugit le Père Noël.
Autour d’eux, le paysage n’a pas changé, les montagnes ressemblent à celles que connaissent les enfants, mais les arbres se parent désormais d’une multitude de lumières brillantes.
— Dites, je pourrais conduire ? réclame Livia.
***
Les heures passent et le traîneau survole une grande rivière aux reflets d’or qui coule, paisible, au fond d’une vallée. Les trois enfants savourent le paysage, à l’odeur de sapin. Saint-Nicolas tend soudain sa crosse d’évêque, le visage sombre, il indique un point entre deux montagnes.
— Dis-moi, c’est normal cette tache qui grossit devant nous ? demande-t-il au Père Noël.
— Je ne sais pas. Contournons ! répond le pilote en tirant sur ses rennes.
— Il y a la même chose derrière ! crie Agostino en posant ses mains sur les épaules des deux hommes.
Les taches grossissent. Ce que l’on aurait d’abord pu prendre pour un oiseau lointain commence à s’étendre. De noir, les formes prennent une teinte grises, elles se rapprochent. Quelle que soit la direction dans laquelle le Père Noël dirige ses rennes, un autre amas apparaît, plus imposant que le précédent, plus menaçant.
Les nuées finissent par envelopper le ciel dans une obscurité oppressante. Des milliers d’insectes vrombissants, des mites grosses comme des chiens qui volent en décrivant des figures complexes autour du traîneau. Des silhouettes hirsute et bardées de piques les chevauchent.
La vue de ces monstres propulse les enfants dans un abyme de terreur. Des faces brunes, aux traits brutaux et aux yeux brillants d’une lueur pâle, des bouches larges et débordantes de dents acérées. Des jambes et des bras musclés se terminant par des mains démesurées et munies de griffes longues et pointues.
Les assaillants se rapprochent, Saint-Nicolas se lève et tente de les repousser en faisant tournoyer sa crosse. Le Père Noël conduit ses rennes dans de fantastiques figures aériennes, mais rien n’y fait. La nuée fond sur eux.
Des monstres difformes tombent au côté d’Agostino, l’âne rue et chasse deux d’entre eux. Deux autres font face au garçon. Armés de piques, ils s’apprêtent à l’attaquer. Mais Agostino ne se laisse pas si facilement attraper. D’un coup de pied, il éjecte le premier hors du traîneau. Le second tente une frappe, Agostino esquive tant qu’il peut, la panique cède devant une furieuse envie de sauver ses amis.
Agostino possède une nature plutôt aimable. Il est grand et costaud et ces deux caractéristiques lui évitent beaucoup de bagarres à l’école. Mais il sait que de temps en temps, il faut se battre. Cet instant est venu et de son pied, envoie le gnome voler dans les airs.
De sa place, Silvio voit Saint-Nicolas qui, debout, manœuvre sa crosse pour défendre l’équipage, mais Livia accapare toute l’attention du garçon. Bloquée entre le Père Noël et l’évêque, elle tremble de peur. Silvio s’accroche à la rampe du traîneau et avance vers elle.
Les rennes amorcent une large boucle pour échapper à l’attaque suivante. Livia et Saint-Nicolas dérapent sur la banquette inclinée.
Pris d’une immense frayeur, mais d’une envie encore plus grande de la protéger, Silvio saute et rattrape la main de la fillette alors qu’elle va basculer. Mais le traîneau est beaucoup trop penché, le bois lustré des sièges glisse et se dérobe à toute prise.
À chaque instant, ils pourraient lâcher l’autre pour s’agripper à quelque chose, mais aucun d’eux ne souhaite abandonner son ami.
Dans le fracas de la charge des monstres, Livia et Silvio chutent ensemble.
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