Chapitre 17
Silvio sent des doigts durs comme des cailloux qui frappent ses mollets, des mains épaisses et rugueuses qui agrippent ses jambes. Il entend Livia qui chute derrière lui alors qu’il s’effondre à son tour, submergé par la marée minérale des monstres.
Un peu sonné, le garçon lève les yeux. Devant lui, Agostino, maintenu au sol, s’agite et rue contre des assaillants trop nombreux. Silvio aimerait pleurer, implorer une aide et s’inquiète pour Livia qui sanglote à quelques pas derrière lui.
— Ma, Qué faites-vous à ces pauvres enfants ? chante une voix chantantes devant eux.
Aux oreilles des enfants, ces paroles semblent sortir de nulle part. De sa position, Silvio voit un petit homme, vêtu d’un pantalon et d’une redingote rouge dont déborde un énorme col de chemise blanche. Ses yeux malicieux jettent des œillades sous un chapeau à large bord et au bout pointu.
Haut comme trois ou quatre pommes, il s’accoude à la balustrade et observe les bambins allongés.
— Ils n’ont pas donné leur pièce, Pas PASSER, grogne un des monstres.
— Quanto ? interroge le lutin, sans se départir de son sourire espiègle.
— Une chacun ! brament les monstres.
— Vous voulez dire, une pièce comme ça ? demande le lutin.
Une pièce brillante apparaît entre les longs doigts du lutin.
— Une pièce comme çà pour un, pour un pour un, répond la bête en montrant chaque enfant de la main.
Le Lutin fait descendre sa pièce en direction d’Agostino et récite :
— Une pour lui.
Il recommence vers Silvio.
— Une pour le second garçon.
— Et une pour la fillette, finit-il en abaissant la pièce à nouveau.
— Oui !
— Laissez-les partir, je vous donne tout ça !
Les monstres hésitent, l’offre paraît trop honnête, mais la vue de l’or réduit leur méfiance. Ils libèrent les enfants de leur étreinte. Agostino se relève et aide Silvio, tous deux se rapprochent de Livia.
— Donc, vous donner une pour lui, une pour lui, une pour elle, reprend un des monstres, le regard fixé sur la pièce que le lutin fait virevolter entre ses doigts.
— Perfetto, un accord parfait. Maintenant, mes enfants, passez de l’autre côté, le temps que je paye ces messieurs.
Timidement, pas à pas, Livia, Silvio et Agostino se rapprochent de l’autre bord. Le lutin continue de faire tournoyer la pièce. Hypnotisés, les êtres de pierre la fixent. Elle se déplace tellement vite que les rayons du soleil se réfléchissent en des milliers de trésors qui nimbent le pont d’une montagne de lumière dorée.
Lorsque les trois enfants posent le pied hors du pont, le lutin lève la main.
— Et voilà, comme promis, c’est l’heure du paiement.
Il lance la pièce sur la chaussée. Les monstres se ruent dans sa direction. Dans une incroyable mêlée, les bras et les jambes s’enchevêtrent sur le pont. Le lutin saute au bas du parapet et rejoint les trois compagnons en leur adressant un clin d’œil.
— Andiamo, les trolls sont très cupides et pas très malins, mais il vaut mieux se dépêcher de partir.
Le lutin presse les enfants, il ne mesure pas plus de trente centimètres, mais sait comment les impressionner. Même s’il ne semble ni vieux ni très sage, au moins leur a-t-il sauvé la mise et les gamins de Venise s’en remettent à lui.
Une fois à bonne distance, ils ralentissent le pas. Loin derrière eux, les cris de fureur des trolls retentissent.
— Merci, monsieur, finit par dire Livia.
— Oh ma, c’est bien normal ma petite chérie, assure le lutin en souriant à pleine dent.
— Nous, c’est Livia, Agostino et Silvio, déclare Silvio en s’interposant entre le lutin et son amie.
— Oh, je m’appelle Jacomo.
— Et nous sommes des petits humains, poursuit Livia.
— D’accord, capisco. Je me nomme Jacomo et je suis un foletto.
— Un foletto ?
— Oui, répond ce dernier sans juger nécessaire de rajouter quoi que ce soit.
Le chemin se poursuit, les enfants se sentent rassurés par leur nouveau compagnon, au moins ne sont-ils pas seuls.
— Vous n’auriez pas vu passer deux sorcières, il y a trois jours ? demande Silvio au lutin.
— Si, j’ai vu les sœurs Sgarlatta, sur le balai de Malvina.
— Elles allaient dans quelle direction ? questionne Agostino à son tour.
— Elles allaient vers la Maison de Malvina. C’est plus loin sur la route, on la reconnaît sans peine, c’est une maison grise et triste, entourée d’arbres malades qui brillent d’une lueur malsaine, même en plein jour. Mais c’est ici que je vous laisse, je ne peux malheureusement pas venir avec vous.
Le lutin hausse les épaules et s’écarte du bord de la route. Son pas est si léger qu’il ne laisse aucune trace dans la neige fraîche en s’éloignant vers les bois.
Annotations
Versions