Atypique

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Thomas n’en pouvait plus. L’atmosphère pesante et l’immobilisme ambiant lui donnaient des frissons d’agacement. Tandis que les autres restaient assis, figés dans une contemplation passive, lui bouillonnait intérieurement. Les bras croisés, il arpentait la pièce en long et en large, son esprit en ébullition. À chaque pas, il réajustait ses lunettes sur son nez, un tic nerveux qui trahissait l’intensité de ses pensées. Il n’arrêtait pas de se passer une main dans les cheveux, comme s’il espérait y trouver un semblant de solution.

— C’est insupportable. On ne peut pas rester là à ne rien faire, lâcha-t-il brusquement, brisant le silence.

Ses mots ricochèrent sans effet. Quelques regards se tournèrent vers lui, mais personne ne bougea ni ne répondit. Cette inertie le rendait fou. Comment pouvaient-ils tous rester là, figés, alors que tant de questions restaient sans réponse ?

Depuis la disparition soudaine du leader, tout semblait s’effondrer. Le vide laissé par son absence devenait insupportable, mais ce qui agaçait Thomas encore plus, c’était la manière dont les autres continuaient à ignorer l’évidence : quelque chose n’allait pas. Ce départ précipité, ces paroles énigmatiques, et surtout cette étrange obsession pour la tour… Tout cela formait un puzzle dont il n’avait encore aucune pièce claire, mais il sentait qu’il y avait là un fil à tirer.

Des sachets et des emballages vides de bonbons et de gâteaux traînaient autour du fauteuil qu’il avait occupé avant de partir. Thomas s’accroupit, scrutant ces vestiges avec attention. "Western Bridges…" Pourquoi ces mots ? Pourquoi maintenant ? Il n’avait cessé de les ruminer depuis des heures, cherchant à comprendre leur signification. Ce détail insignifiant pour les autres le hantait : pourquoi avait-il laissé ces choses derrière lui ? Un homme aussi méticuleux qu'André ne laissait rien au hasard.

Il se redressa, essuyant ses mains comme pour chasser un mélange de frustration et de nervosité. Il se mit à tourner en rond, son esprit travaillant à plein régime. Les autres le regardaient d’un air perplexe, mais il n’en avait cure.

— Western Bridges… Pourquoi ? Pourquoi là ? Qu’est-ce que ça peut bien signifier ?

Sa voix s’était élevée légèrement, comme s’il espérait que quelqu’un autour de lui aurait la réponse. Mais rien. Il n’obtint que des regards vides et des haussements d’épaules.

Thomas soupira, ses pensées se bousculant. Ses mains revinrent machinalement ajuster ses lunettes une énième fois.

Enfin, son regard se posa sur Emmerich, le vétéran, assis dans un coin près de sa belle Winchester. C’était un homme que tout le monde respectait, un pilier, et surtout, une mémoire vivante des luttes passées. S’il y avait bien une personne capable de comprendre ce que "Western Bridges" signifiait, c’était lui.

— Emmerich, appela Thomas, d’un ton ferme.

Le vieil homme leva lentement les yeux vers lui, un sourire en coin, comme s’il attendait cette question depuis le début. Le jeune homme s’avança, le regard brûlant d’impatience et de frustration.

— Tu sais quelque chose, n’est-ce pas ? Sur Western Bridges. Parle-moi, je t’en supplie.

La tension s’épaississait dans la pièce alors qu’Emmerich aboyait presque ses mots.

— Ouais ! Ouais ! La tour jumelle, tu veux dire !

Thomas fronça les sourcils, son impatience grandissant.
— Oui, vous en savez quelque chose ?

D’un mouvement de tête sec, Emmerich fit signe aux autres de quitter la salle. Les membres plus particulièrement les deux filles plus enjouées se levèrent sans rechigner, lançant des saluts amicaux et des encouragements à Thomas avant de disparaître, laissant derrière eux une ambiance plus terne.

Une fois seuls, Emmerich se cala sur sa chaise, croisant les bras, une grimace marquée sur son visage buriné par les années.

— Pourquoi tu continues à suivre ce tocard ? lança-t-il brusquement.

Pour l'une des rares fois, sa voix se retrouvait empreinte d’un mélange d’agacement et d’amertume.

Thomas serra les poings, mais garda son calme.
— Alors, vous savez quelque chose, non ? Dites-le-moi. Je n’aime pas du tout cette situation.

Un grognement échappa au vieil homme alors qu’il réajustait sa position, comme si la question l’alourdissait davantage.

— Comme si j’avais que ça à faire de tes mystères, moi ! Il pointa un doigt vers le plafond, en plein ouest. Tu connais le grand immeuble en face, là, quand tu quittes le repaire ? C’est ça, la tour. Mais... Je suis pas sûr que ce soit à elle que cela fasse référence avec ton foutu Western Bridges là.

Thomas hocha la tête, notant mentalement l’information. Il attrapa un sac léger, malléable et commença à y glisser quelques affaires, prêt à partir. Pourtant, une question le tiraillait encore. Il fit une pause, se tournant de nouveau vers Emmerich.

— Pourquoi est-ce que vous détestez autant André ?

Cette fois, le vieil homme écarquilla légèrement les yeux avant de plonger son regard dans un vide lointain. Ses traits se contractèrent tandis qu’il se gratta nerveusement le crâne, cherchant ses mots.

— Je ne le déteste pas, finit-il par lâcher. Mais, je ne pardonnerai jamais à ce p’tit pisseur arrogant d’avoir frappé à ma porte, ce jour-là. Tout ça… pour ma fille. Il laissa échapper un soupir amer. Quelle futilité !

Le garçon hésita.

— Elle va mieux ? Votre fille ?

Le visage d’Emmerich s’assombrit encore davantage. Il fronça les sourcils, un mélange de douleur et de colère traversant ses traits. Le son guttural qu’il produisit en guise de réponse et sa mine fermée ne faisaient qu’ajouter au mystère.

— Tu as eu ce que tu voulais, non ? Alors, va te coucher. Ou va te casser une patte à courir derrière lui. Fais comme elle, tiens… Fais la même foutue erreur.

Thomas esquissa un mince sourire, choisissant de ne pas relever la pique. À la place, il posa doucement une main sur l’épaule du vieil homme, un geste presque fraternel, bien que leurs différences soient flagrantes.

— Ne vous inquiétez pas. Merci encore pour tout. On se revoit bientôt, avec tout le monde.

Sans attendre de réponse, il s’élança vers la sortie, le sac ballotant sur son dos à chaque pas pressé. Sa silhouette disparut rapidement, laissant Emmerich seul.

Le vieux résistant resta assis, secouant lentement la tête, un sourire las se dessinant sur son visage.

— Ces gamins, marmonna-t-il pour lui-même, presque attendri malgré lui. Ils ne savent vraiment pas dans quoi ils se lancent.

Ce dernier eût amplement raison car la montée vers la surface était un véritable calvaire pour Thomas. Le chemin était semé d’embûches, et chaque mètre gravi semblait voler un peu plus de son énergie. Les échelles métalliques glissaient sous ses mains moites, et les marches d’escalier humides résonnaient sous ses pas pressés. Le souterrain était sombre, silencieux, à l’exception de sa propre respiration saccadée qui résonnait comme un écho de son inquiétude grandissante.

Enfin, il atteignit une trappe qu’il ouvrit avec précaution, émergent dans une ruelle obscure. Il inspira profondément l’air nocturne, mais il n’avait pas le temps de savourer cette bouffée de liberté. À peine avait-il franchi les derniers barreaux qu’un sentiment d’alerte l’envahit.

Autour de lui, des bruits de pas lourds et rythmés se mêlaient au vrombissement des moteurs et aux crachotements des talkies-walkies. Instinctivement, Thomas se plaqua contre l’ombre d’une arche, retenant son souffle. Il balaya la zone du regard. Des hommes en uniforme quadrillaient l’endroit. Leur allure disciplinée et les fusils qu’ils tenaient ne laissaient aucun doute : il s’agissait d’une opération d’envergure.

En face de lui, une camionnette médicale était garée, son arrière ouvert et illuminé par une lumière froide. Un médecin consultait des dossiers, visiblement en attente de quelque chose. Plus loin, des véhicules fédéraux bloquaient les issues principales. Une vingtaine de policiers et d’agents se déplaçaient en groupes, certains tenant leurs positions, d’autres patrouillant la zone.

— Équipe Alpha en position. Zone sud sécurisée, cracha une voix métallique dans un talkie-walkie proche.

— Équipe Bravo, prêt à pénétrer dans la tour dès réception des ordres, répondit une autre voix.

Thomas serra les dents. Chaque mot amplifiait son inquiétude pour André. Pourquoi diable cette tour était-elle devenue une cible ? Que cherchaient-ils exactement ?

Il jeta un œil à son téléphone, mais l’écran affichait "Pas de réseau". Pas question de demander de l’aide au groupe, il était seul. Il devait agir vite.

Repérant un garde isolé près d’une ruelle latérale, il s’y faufila sans bruit, ses pas amortis par les flaques d’eau stagnantes. Arrivé derrière l’homme, il le saisit par le col et lui asséna un coup de coude bien placé à la nuque. Le garde s’effondra sans un cri.

Thomas fouilla rapidement ses poches, récupérant une carte magnétique et un pistolet de poing. Le fusil d’assaut de l’homme était trop encombrant, il préféra le laisser là. Il tira le corps inconscient dans l’ombre avant de se glisser vers l’entrée arrière de la tour.

À l’intérieur, le hall était glacial, éclairé par des néons clignotants. Le silence y régnait, interrompu seulement par le murmure lointain des radios des agents en patrouille. Thomas progressa lentement, chaque pas calculé pour ne pas faire grincer le sol.

Alors qu’il atteignait un couloir, une troupe passa rapidement devant lui, leurs voix résonnant dans le couloir.

— Secteur 3 sécurisé. On monte au dernier étage, l’opération commence dans cinq minutes.

— C’est notre meilleure chance depuis des années. Surtout, restez concentrés. Pas d’erreurs cette fois.

Thomas se plaqua dans une niche, retenant son souffle, les poings serrés. L’un des agents s’arrêta brièvement, regardant autour de lui comme s’il sentait une présence, mais il reprit son chemin.

Lorsque le petit groupe disparut au détour d’un escalier, Thomas sortit prudemment de sa cachette, son esprit bouillonnant. Comment André a-t-il pu laisser la situation dégénérer ainsi ? Est-ce vraiment de sa faute ?, se torturait-il.

Alors qu’il avançait dans le couloir de nouveau désert, il sentit une présence avant de la voir.

— Où vas-tu mon jeune ami ?

Thomas se figea, son cœur battant à tout rompre. Un agent armé se tenait en face de lui, le canon de son arme pointé droit sur lui ? Non, cela semblait être un médecin et un agent en même temps qui mit une balle dans son revolver qu'il tourna en le regardant froidement droit dans les yeux.

— Que vais-je bien pouvoir faire de toi ?

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