Chapitre 1
Sur un immense domaine boisé à l'Est est bâtit un grand manoir victorien. Dans ce grand manoir vit un important, puissant et vieux vampire. Cela fait dix ans que le Prince de l'Est a lancé ses traqueurs et sa sorcière à la recherche d'une arme puissante et unique. Dix-huit ans que Julia sert le manoir et cinq ans qu'elle a la charge de s'occuper personnellement du maître des lieux. Elle lave ses vêtements, nettoie et range son appartement, elle lui prépare ses repas et les lui sert ; trois heures avant son levé elle ouvre ses rideaux, lui coule son bain, dépoussière son bureau et prévoit tout ce qu'il pourrait réclamer. En somme, elle est la seule à avoir pour devoir de veiller au bon confort du maître. Heureusement pour la servante, le vampire n'est pas difficile et a des exigeances faciles à satisfaire. Il aime sa routine. Cependant,si la moindre chose qui lui déplaît ou le met hors de lui, la sanction peut s'avérer douloureusement sanguine et aller jusqu'à la mort.
Ce matin-là ne déroge pas à la règle. Réglée comme du papier à musique, voilà la servante qui ouvre sans bruit la lourde porte de bois en chêne vernis. Dans les couloirs les lampes à huile murales de style victoriennes sont encore allumées, et pour cause : il fait encore nuit noire de l'autre côté des grands rideaux de velours rouge sang caillé. La jeune servante, armée d'une lampe torche moderne, s'avance dans la grande chambre à coucher et après s'être assurée que les voilages du lit soient bien fermés, allume les lampes à huile murales, elles aussi victoriennes. Elle règle la taille de la mèche pour abaisser l'intensité de la flemme : assez lumineuse pour ses yeux humains mais pas assez vive pour gêner le sommeil du maître. Une fois fait, elle s'attaque à tout ce qui jonche le sol : ramasse les vêtements de la veille délaissés qu'elle jette dans son chariot resté dans le couloir, récupère le verre en cristal dont les résidus rouges laissent deviner son précédent contenu, remet à sa place les livres de Dickens, des polars d'auteurs inconnus, des essais sur les sociétés humaines et sur d'autres sujets hétéroclites et enfin, elle termine trois quarts d'heures plus tard en balayant le gros de la poussière en surface du tapis. Le tout ayant pris une heure sur ses trois heures de travail matinal.
Après avoir déplacé son chariot dans un coin de la pièce et refermé la porte derrière elle, la jeune femme glisse sans bruit jusqu'aux fenêtres et écarte en grand les rideaux. De l'autre côté les ténèbres se font moins sombres, les étoiles brillent avec moins d'ardeur et la voûte céleste se dégrade du noir en un bleu nocturne s'éclaircissant lentement. La voilà maintenant, des écouteurs vissés sur les oreilles qui se déplace en rythme sur une playlist latino. Elle ramasse les coussins qu'elle ajoute au panier de vêtements sales et les échanges avec des coussins propres en tout point identiques. Elle se munit ensuite d'un chiffon propre et en deux trois pas de danse étouffés par l'épais tapis de fourrure blanche, s'arrête à la table basse en bois de chêne sombre – comme la porte –qu'elle astique énergiquement.
C'est ensuite le tour de la commode du même bois et de la petite table ronde entourée de deux fauteuils près de la fenêtre ; les poignets des meubles et des rares bibelots en cristal d'être frottés rapidement. Elle nettoie la chambre dans le plus muet des silences dont elle soit capable après tant d'années de travail. Elle ne nettoie cependant que le plus gros de la chambre sans s'attaquer aux détails : elle reviendra nettoyer comme il se doit plus tard, quand le maître aura quitté ses appartements.
Dehors, on ne voit plus les étoiles sauf les plus vaillantes qui tentent d'égaler plus longtemps les premiers rayons du soleil levant, le ciel se teinte d'un bleu palot blanchissant à l'horizon sous l'effet de l'aurore.
Julia s'en va par une porte blanche dans le mur de couleur si sombre qu'on confondrait presque son rouge avec du noir. La porte s'ouvre sur la salle d'eau où elle passe un coup de chiffon sur toutes les surfaces avant de faire couler le bain du maître. L'eau qui s'écoule du robinet est bouillante et la buée s'installe vite sur les murs, le sol et les meubles de marbres blanc, la pièce entière semble taillée cette pierre qui renvoit une athmosphère de pureté quasie surnaturelle. Seule l'immense baignoire victorienne blanche aux pattes de lions en or blanc, les robinets en argent véritable détonnent sans se différencier de l'atmosphère immaculée. Pendant que l'eau coule doucement, la servante en tenue de travail victorienne sort du meuble un grand et épais tapis de salle de bain d'une blacheure immaculée qu'elle déroule sur toute la surface du carrelage. Elle récupère dans son chariot resté dans la pièce principal des serviettes de la même couleur qu'elle range sur les étagères du meuble et un grand peignoir immaculé marqué du blason du Prince qu'elle accroche sur la patère près de la baignoire. Elle dépose ensuite les produits de bain sur le comptoir du lavabo avec une serviette pliée en forme de grue. Et s'en va ouvrir en grand les fenêtres. La fraîcheur du matin et les bruits du bois s'éveillant doucement ne dérangeant en rien l'homme endormi. Elle retourne couper l'eau de la pièce contrastant avec la chambre à coucher assombrie par la couleur du chêne des meubles, de la porte et de la grande bibliothèque, les rideaux carmins , le baldaquin noir, les fauteuils sombres et enfin le plafond imitant parfaitement la voute nocturne d'un soir dégagé et sans lune. Le tout rehaussé par le blanc des coussins, de la fourrure sur le parqué et par les verres en cristal du service complété par la carafe du même matériaux posé sur un guéridon dont la tablette est taillée et polie dans le marbre rose.
[...] Puis, s'assurant qu'il lui reste bien une heure tout rond sur une vieille montre à gousset, elle lance une playlist de classiques. Et c'est sur du Mozart, du Bach et autres compositeurs déjà morts qu'elle sert sur la petite table ronde, entourée des deux fauteuils victoriens située devant une des grandes fenêtres, le petit déjeuner concocté par ses soins. Une petite corbeille de fruits, une autre de petits pains brioches et autres de viennoiseries russes encore toutes chaudes. Une carafe de café et une autre de jus, la tasse et le verre, une assiette d'œufs brouillés accompagnés de tomates coupées en rondelles bien rouge et de bacon sous cloche d'argent avec couverts assortis ; la serviette blanche, la confiture et le beurre servit dans la vaisselle en porcelaine. Un centre de table composé de roses blanches entourant une rose rouge provenant de la roseraie du domaine vient aporter une touche de nature à ce petit déjeuner très composé. Elle prend en dernier sur son chariot une carafe de verre dont le liquide rouge semble prendre vit lorsque la lumière du jour naissant s'y reflète. Elle dépose le récipient en silence sur la table avec le café et le jus, comme s'il s'agissait de n'importe quelle boisson, un jus de fruit rouge par exemple ou un thé parfumé.
Elle s'empresse ensuite d'aller ouvrir la salle de bain, de s'assurer que la température de l'eau soit descendue a un degré plus acceptable pendant que la buée s'échappe de la pièce dans l'autre puis par la fenêtre, happée par la fraîche du dehors. Débarrasse ensuite rapidement la glace, l'évier, les meubles et le rebord de la baignoire de la condensation de vapeur et verse un peu du liquide d'un flacon qu'elle tire de la poche de sa robe. Une odeur printanière et légère emplit alors les lieux et contamine discrètement la pièce d'à côté. Elle y récupère d'ailleurs son chariot et le pousse jusqu'à une énième porte confondue dans le mur par le revêtement, elle tire de son trousseau une clé et l'utilise pour la déverrouiller et y faire passer son chariot. De l'autre côté il y a un bureau. Elle revient souffler les lumières dans la précédente pièce avant de s'enfermer discrètement dans le bureau qu'elle nettoiera.
À côté, le maître s'éveillera doucement d'ici quelques minutes, appelé par la senteur printanière flottant dans sa chambre. Au-delà des fenêtres grandes ouvertes les rayons du soleil éclairant déjà le tapis d'arbres se ferons plus chaud et pénétreront timidement la limite des fenêtres, réchauffant la température doucement pendant que le vampire ira se plonger dans un bain chaud à température idéale, parfumé par la promesse du printemps à venir après le long hivers dans lequel est plongé le domaine.
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