Jeudi matin
Puis Mercredi se termina à son tour. L’Empereur conceptualisa, le Prince parla, le Souffle actua, transformant la matière des eaux qui entouraient Mahazeh – non par une vulgaire transmutation, mais par une altération même de leur matière et une redistribution d’icelle en de multiples formes – et voici, le soleil, la lune et les étoiles brillèrent dans le ciel de Hupohélios. Le cycle du jour et de la nuit, de la saison des pluies et de la saison sèche, de la marée haute et de la marée basse, tout cela pouvait commencer.
Aucune copie depuis Kosmos n’avait eu lieu cette fois-ci : la Lune n’avait pas de cratère, les comètes étaient un peu plus grosses et les galaxies n’avaient pas une forme de spirale mais de faux jointes par les extrémités des manches.
À la vitesse de la pensée, l’armée céleste alla pour s’occuper de cette multitude moins céleste, mais l’Empereur les retint d’un ordre inséré entre deux instants de temps infinitésimaux comme un coin entre deux moellons, un commandement qui tonna comme la foudre : qu’ils laissassent cela car, de tout le champ de Mahazeh, cette parcelle ne leur était pas donnée à travailler. En effet, réarranger cet ikebana-là leur aurait demandé trop d’énergie pour pas grand-chose, car ce n’était même pas un bouquet très sophistiqué.
Satisfaction lui fut donnée : les phloxes retournèrent à leur ouvrage premier. Attis ne se tint pas de bonheur quand il comprit que sa joie se prolongerait pendant plus de cent soixante quintilliards d’exemplaires de cet instant, la plus petite durée possible, qu’on appelait sur Cosmos le temps de Planck.
Sa béatitude se vit toutefois tempérée de manière infinitésimale lorsque le Prince Lui-Même appela plusieurs phloxes pour le seconder en accomplissant des travaux particuliers qui participeraient à réaliser ce qu’Il appelait le Projet Ouranartos ; cela lui faisait autant de congénères avec qui il partagerait un ravissement moins formidable.
La première étape du projet Ouranartos consista à apposer sur deux petites parcelles de terre émergée de Hupohélios un sort spécial, le Bouclier Providentiel, que la Communion Impériale seule pouvait utiliser, et qui aurait pour principale fonction d’empêcher toute créature dotée du souffle de vie dans ses narines qu’il abriterait de mourir « de la faute à pas-de-chance ». Comme le fonctionnement de ce sort consistait en gros à concentrer sur les espaces qu’il recouvrait la Radiance, à l’instar d’un miroir parabolique qui concentre les rayons du soleil, il aurait quelques effets secondaires : accélérer la croissance des végétaux, allonger de moitié la longévité et le taux de reproduction des créatures, les rendre plus aptes à digérer les nutriments dans leur nourriture, stabiliser le climat, accroître la fertilité du sol, améliorer les capacités physiques et intellectuelles des créatures ainsi que leurs pulsions positives sur le plan moral. Le prince nomma la première parcelle, à cheval sur l’équateur de Hupohélios et grande à peu près comme le continent européen de Kosmos, du nom du projet : Ouranartos. Il ordonna à Austèr d’entourer d’une ceinture permanente de vents violents la seconde, située au pôle Sud de Hupohélios, ce qui valut à celle-ci le nom d’Outre-Austèr.
Pour la deuxième étape, le Prince assigna à plusieurs Ardents la tâche de bâtir chacun une ville pour préparer l’arrivée de ceux qu’Il appelait Ses « petits enfants ». Ce fut ainsi que Sotéria, Ardente de la sécurité, la préservation et la délivrance du mal, Pistis, Ardente assignée à la confiance, l’honnêteté et la bonne foi, Irène, Ardente de la paix, Élpis, ardente de l’espoir, Agapè, Gardienne des Trésors d’Amour Inconditionnel, et Khara bâtirent chacun une ville où ils manifestaient subtilement leurs vertus spirituelles respectives, de sorte que celles-ci fussent semées comme des graines dans les terreaux des cœurs des futurs habitants. Ces graines dépendaient certes de l’espoir de tomber sur un humus fertile, mais saccager la terre pour y planter de force l’arbre adulte et la gaver d’engrais ensuite ne représente certes pas la méthode de culture la plus saine.
À l’étape suivante, le Prince chargea Hagnos, Ardent de la pureté, Philia, Ardente de l’amitié, Éuprépéia, Ardente de la beauté, et Alèthéia d’administrer chacun des quatres grands biomes d’Ouranartos, à savoir, respectivement, la forêt tempérée du nord-ouest, la forêt tropicale du sud-est, les plaines du nord-est et la jungle du sud-ouest, pour faire d’Ouranartos un jardin géant où ils acclimateraient un maximum d’espèces différentes.
Le Prince Lui-Même, lorsque le jour se trouva écoulé de moitié, passa à la quatrième étape et créa en un clin d’œil (littéralement) une ville à l’endroit même de Hupohélios où le soleil ne faisait pas d’ombre à ce moment précis, à savoir près de l’embouchure du grand fleuve Phéisôn, à l’ouest d’Ouranartos. Il baptisa cette cité, qui surpassait de loin en magnificence les autres, du nom de Solume. Il confia à tous les phloxes qu’Il l’avait bâtie à l’image d’une humaine, qui résidait en tant que « potentialité » au sein de Sa pensée, qu’Il devrait envoyer sur Ouranartos en tant que nouvelle-née au moment choisi par Lui, et qu’Il destinait à régner sur Ouranartos aux côtés d’un humain venu de Kosmos.
Tous s’émerveillèrent, à part Alèthéia, dont la fonction lui accordait le don de savoir toute chose vraie dans le passé, le présent ou le futur de Mahazeh. Ce savoir si pondéreux mais en même temps si réconfortant donnait à son visage une expression unique, un mélange de chagrin insondable, de juste colère, d’amour tendre et passionné et de compassion, dont on ne devait retrouver l’identique chez aucune autre créature jusqu’à la Restauration, excepté certains humanoïdes qui auraient vécu la plus grande partie de l’histoire de la Première Mahazeh.
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