1ère partie

4 minutes de lecture

À cette époque, j’étais un ado qui ne pensait qu’à s'amuser aux jeux vidéo et à s’acheter des bandes dessinées Marvel. J’étais fan des super-héros, surtout des X-Men et Captain America. J’enviais leurs pouvoirs, alors que je n'étais capable de rien.

Je menais une vie banale et monotone ponctuée par les engueulades incessantes de mes parents. Excédé d’être toujours pris à témoin par mon paternel, je me réfugiais de plus en plus dans ma chambre.

J'écoutais en boucle les bons vieux tubes de Led Zeppelin, Black Sabbath ou Deep Purple. Bien que né deux décennies plus tard, je ne kiffais que les groupes de rock des années soixante-dix.

Pour calmer mes angoisses sans nom, je me scarifiais souvent les avant-bras avec la pointe de mon compas. À quatorze ans, je me sentais hyper mal dans ma peau à cause de sérieux problèmes d'acné et de ma voix qui commençait à muer.

À la moindre occasion, mon insupportable sœur se moquait de moi. De mon côté, j’avais une putain d’envie de lui bousiller toute sa collection de personnages en résine à l’effigie de la fée Clochette. À seize ans, elle passait son temps à glousser bêtement avec ses copines qui venaient souvent à la maison.

Dès que je m'aventurais hors de ma chambre, j’entendais des rires qui me perturbaient. Je les détestais toutes, et encore plus ma sœur qui ne me ménageait pas. Je la trouvais vraiment conne à cette période ! Je la méprisais, comme je haïssais quasiment tout le monde. De toute manière, je ne m’aimais pas non plus.

J’en voulais beaucoup à mes parents, car ma frangine et moi-même étions les témoins directs du naufrage de leur couple. Je culpabilisais en répétant que tout était de ma faute, mais je refusais de pleurer. Je me disais que c’était un truc de fille, pas de mec. Et moi, je souhaitais devenir un dur à cuire.

Au collège, j’avais peu de copains même si je m’efforçais de rentrer dans le moule. Sauf que passer pour un simple adolescent, c’était compliqué pour moi.

Au fil du temps, j’avais sympathisé avec un gars qui s’appelait David. C’était une demi-portion, portant des lunettes à grosses montures et un appareil dentaire. Avec son physique de souffre-douleur, il était très introverti et ne parlait qu’à moi, mais il possédait une sacrée qualité à mes yeux : il me refilait toutes les revues Marvel. Je doutais même qu’il les ait lues au moins une fois, mais je m'en fichais.

Par la suite, il est devenu l’un de mes meilleurs potes jusqu’à sa mort accidentelle le lendemain de ses vingt-sept ans, à l’âge où les plus grands musiciens sont passés à trépas comme Jimi Hendrix, Janis Joplin ou Kurt Cobain. Ironie du sort, David était bassiste dans un groupe renommé. Il avait beaucoup donné de sa personne pour se transformer en mec hyper cool. Bref, il était talentueux et passionné.

En toute confidence, je vous avoue que David me manque à présent. Bon, revenons à mon adolescence, au moment de la fameuse rencontre qui allait bouleverser mon existence.

Question simple : croyez-vous aux fantômes ? Pas ceux qui vous effraient ou vous glacent le sang, mais plutôt ceux qui sont vos confidents, modèles ou anges gardiens. Je blague bien sûr, même s’il m’arrive souvent de ne pas être clean.

Les jours défilaient avec comme point commun, une monotonie glauque : le collège où j’étais invisible, la maison où je vivais un calvaire.

Ma mère s’était mise à boire excessivement, ce qui la rendait encore plus pleurnicharde. Mon père faisait semblant de ne rien remarquer et rentrait toujours plus tard, tandis que ma sœur et moi-même avions fait un pacte : celui de nous ignorer mutuellement.

Ma chambre représentait mon havre de paix, mais je ressentais de plus en plus l’envie de m’échapper de cet environnement familier étouffant. Je ne répondais même plus aux appels de mes parents, jusqu’au jour où mon paternel déboula furax pour me flanquer une raclée.

Abasourdi par la surprise et la colère, je ne réagis pas. C’était la première fois qu’il levait la main sur moi, et ce fut aussi la dernière. Il ne se justifia pas, mais semblait étonné par son propre geste. En une fraction de seconde, il était devenu l’ennemi, l’étranger, la personne que je détestais le plus.

À ce moment précis, je regrettai de n’être doté d’aucun super pouvoir. Et cette sensation d’impuissance n’était pas cool.

Ce soir-là, plongé dans un profond mutisme, je ne descendis pas pour manger avec les vieux. Je m’endormis tant bien que mal avec la boule au ventre. Je fis alors un rêve pour le moins étrange.

Une vue panoramique à trois cent soixante degrés s’offrait à moi. Un océan de roches rouges stratifiées s’étendait à perte de vue. Le spectacle était à couper le souffle !

Je me trouvais au bord d’une falaise où mes pieds, à quelques centimètres près, ne rencontreraient que du vide. J'étais attiré par ce néant comme un marin par l’appel d’une sirène, avec une envie irrésistible de plonger.

Au loin, j’aperçus une montagne qui m’intriguait sans en comprendre la raison.

Dans ma tête, les premiers accords de guitare de la chanson Voodoo Child s’égrenèrent. Quel pied ! La musique allait crescendo en s’amplifiant ; je me sentais si léger et heureux, je planais carrément.

Inconscient de toute issue fatale, je me jetai en avant sans hésiter. Défiant les lois de l’apesanteur, mon corps ne chuta pas. À ma grande surprise, je volais à vive allure ! Par je ne sais quel miracle, je m’étais transformé en condor avec de majestueuses ailes noires, la tête et le cou nus de couleur rouge orangé.

Quel drôle de rêve !

Je me levai en sursaut, tout en sueur. Mon premier réflexe fut d’allumer la lampe de chevet. De crainte de réveiller les vieux, je marchai sur la pointe de pieds. Avec les évènements de la veille, je n’avais aucune envie de croiser mon paternel. Je me rendis à la cuisine pour me servir un verre d’eau, puis je filai dans ma chambre pour me recoucher.

Depuis cette expérience onirique, mes pupilles étaient étrangement dilatées. Impossible de lire ou de faire quoi que ce soit en l'état. Agacé, je finis par éteindre la lumière et replongeai dans un sommeil profond.

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