3ème partie (fin)

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Je fixais la guitare folk posée sur son support, juste à côté de mon bureau en désordre. Je me sentais très attiré par cet instrument poussiéreux qui avait appartenu à mon grand-père.

J’avais envie de jouer quelques riffs. N’ayant pas eu l’opportunité de m’initier au solfège, je ne me démerdais pas trop mal. J’avais appris un peu à gratter à l’oreille. J’accordai la guitare, puis j’exécutai les premières notes de Smoke on the Water des Deep Purple. Je sentis un regard qui pesait sur moi. Apeuré, je m’arrêtai net. Bryan Lane, le mec aux dreadlocks, m’observait avec intérêt.

― Ne t’interromps pas Keith, tu ne te débrouilles pas trop mal !

― Qu’est-ce que vous foutez là ! criai-je, les nerfs en pelote.

― Moins fort petit gars, je veux juste causer avec toi, rien d’autre, me rassura Bryan.

Ma sœur fit irruption dans ma chambre alors qu’elle n’y mettait jamais les pieds.

― C’est quoi ce bordel ? rétorqua-t-elle.

Pourquoi cette imbécile me posait-elle cette question ? La réponse était plus qu’évidente, un étranger se trouvait avec moi.

― Au fait, ta sœur ne peut ni me voir ni m’entendre, m’informa Bryan.

― Rien, confirmai-je à l’attention de ma frangine, et barre-toi maintenant.

Au lieu de m’insulter, elle me tendit un objet circulaire ornée de plumes.

― C’est un attrape-rêve, cela empêche de faire des cauchemars, il parait.

C’était bien la première fois qu’elle m’offrait un cadeau.

― Ben merci, répliquai-je étonné, en saisissant son présent.

Elle m’adressa un sourire qui se voulait bienveillant et partit.

― Tu as une sœur cool, constata Bryan.

― Qu’est-ce que vous foutez dans ma chambre ?

― Je suis là pour toi, Keith. Tu as un don, p’tit gars. Mets-toi à la musique. De toute manière, cela sera une évidence pour toi d’ici quelque temps.

Admettons que ce fameux Bryan était bien un fantôme, il semblait pourtant si réel.

Après tout, j'en avais rien à battre de savoir si c’était un esprit ou un ami imaginaire. Quelqu’un s’intéressait enfin à moi.

On passa une partie de la nuit à bavarder comme les meilleurs copains du monde. Lorsque mes paupières s’alourdirent, il me dit une ultime chose :

― Keith, tu auras une petite surprise de ma part pour tes dix-sept ans.

Il disparut aussitôt. Je ne le revis plus, à mon grand regret.

Cette nuit-là, je fis encore un rêve aussi étonnant que la veille.

Bryan Lane était en train de se regarder devant un miroir, les yeux injectés de sang avec les pupilles dilatées. Un sacré foutoir régnait dans la pièce : lit défait, linge sur le sol, restes de repas éparpillés, verres vides, et des cadavres de bouteilles d’alcool.

Sur le coin d’une table étaient posés un sachet de cocaïne et un petit flacon de mescaline liquide. Cette drogue était souvent utilisée lors de rituels chamaniques pour le voyage de l’âme, parait-il.

Bryan avait l’air défoncé, le teint blême malgré sa peau mate. Il gesticulait dans tous les sens et ricanait par intermittence.

Complètement shooté, le mec !

Puis Bryan ouvrit une malle en osier pour sortir la plus belle guitare qui soit à mes yeux : une Stratocaster Fender, blanche comme celle de Jimi Hendrix. Telle une signature la rendant unique, un petit condor en argent était incrusté sur le pickguard.

Bryan regarda amoureusement la guitare, tout en la manipulant avec délicatesse. Il la relia à un ampli Marshall, puis il interpréta quelques morceaux, dont Stairway to Heaven de Led Zeppelin.

Le mec assurait un max !

Il joua l’une des compositions des Hell Leaves, et un bout de Voodoo Child.

Par le biais de ce songe, j’étais le spectateur privilégié de ce concert improvisé dans cet endroit qui ressemblait à une chambre d’hôtel en bordel.

Il s’interrompit pour se servir une large rasade de rhum et s’allumer un pétard.

Bryan se leva furibond pour se saisir d’une feuille de papier et d’un stylo.

Le gars se mit à écrire avec frénésie sans jeter le moindre coup d’œil à ce qu’il faisait, paraissant habité par je-ne-sais-quoi. Comme lors d’une expérience d’écriture automatique, il semblait sous l’emprise d’un esprit.

Lorsqu’il s’interrompit de noter, ses pupilles redevinrent normales, dévoilant un iris noisette. De nouveau, ils se dilatèrent à l’extrême.

Puis il se précipita vers la fenêtre ouverte qu’il enjamba pour basculer de l’autre côté pour un voyage sans retour.

Au même moment, la porte s’ouvrit sur une jeune femme blonde très mince à la beauté éthérée qui hurla le prénom de Bryan.

Je me réveillai en sursaut et allumai ma lampe de chevet, juste le temps d’installer l’attrape-rêve que ma frangine m’avait offert. J’éteignis la lumière et me rendormis aussitôt.

Je tiens à dire qu’à ce moment, je n’étais pas encore conscient de l’impact que cette rencontre avec Bryan aurait sur mon avenir.

Trois années s’étaient écoulées. Mes parents avaient divorcé. Ma sœur s’était barrée à dix-huit ans pour travailler à Disneyworld en Floride en tant que vendeuse. Sa passion pour la fée Clochette avait été plus forte que tout !

Moi, je pieutais chez ma mère qui avait arrêté de boire, mais qui était devenue collante au possible. Selon ses dires, j’étais son fils et sa raison de vivre. Je l’aimais, mais elle avait tendance à vouloir me surprotéger, ce qui m’éloigna d’elle à la longue.

Mon paternel ne donnait plus aucune nouvelle. Je savais seulement qu’il avait refait sa vie avec le clone de ma mère, mais en version améliorée : plus jeune, plus blonde, et plus siliconée aussi.

Par la suite, David et moi faisions les quatre cents coups. Ce dernier avait changé, il ne portait plus d’appareil dentaire et avait troqué ses loupes contre des verres de contact. Nous avions commencé à suivre ensemble des cours de guitare.

Le jour de mes dix-sept ans où j’avais grave le spleen, je me remémorais cette étrange rencontre. Je pensais à Bryan Lane, mon pote fantôme, et à sa promesse. Après tout, ce n’était que pure invention de mon imaginaire d’ado paumé en manque de repère. En résumé, des conneries !

Ce matin, j’étais seul à la maison. Ma mère travaillait à cette heure-ci.

J’entendis la sonnerie de la porte d’entrée retentir et me précipitai pour ouvrir.

Quelle ne fut pas ma surprise lorsque j’accueillis le modèle vieilli de la jolie blonde éthérée. Elle devait avoir dans la soixantaine. Elle me sourit et me tendit un gros paquet.

― Tu dois être Keith Foster, né le 26 avril 1990. C’est ton anniversaire aujourd’hui, m’affirma-t-elle.

― Apparemment, répondis-je.

— Voici un présent d’une personne morte le 26 avril 1973 ! Il s’appelait Bryan Lane et j’étais sa fiancée à l’époque. Il a laissé un mot à ton attention. C’est à l’intérieur du colis.

J’hallucinais !

Ce bon vieux de Bryan Lane avait bien tenu parole. Je n’avais donc pas déliré trois ans auparavant. C’était flippant de constater que tout était réel.

Après m’avoir serré dans ses bras en chialant, la femme repartit de suite. Trop abasourdi par cette visite, je n’avais pas eu le réflexe de lui proposer un café ou un thé.

Contre toute attente, je décidai de patienter avant de découvrir mon cadeau. Cela ne m’empêcha pas de m’interroger sur le contenu du colis tout au long de la journée.

Le soir venu, je me résolus enfin à ouvrir ce mystérieux paquet.

À ma grande stupéfaction, j’avais reçu la magnifique guitare ornée du condor en argent. Elle m’avait choisi comme successeur à Bryan Lane. Tout était expliqué dans la note rédigée par Bryan avant qu’il se donne la mort.

Voici l’histoire de ma guitare Condoraster.

Playlist :

Iron Man — Black Sabbath

Voodoo Child — Jimi Hendrix

Smoke on the Water — Deep Purple

Stairway to Heaven — Led Zeppelin

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