La Route
La liberté de la route s’offre à moi telle une rose d’amour idyllique. Devant moi, la ligne droite, celle que je vois tous les jours, sans cesse, celle qui reste dans mes pensées jusqu’à tard le soir, celle qui ne me quittera jamais. Celle-là même que je chérie du plus profond de mon cœur, jusqu’à la perte totale de mon âme. Elle s’étend de tout son long au milieu de la verdure évanescente, son noir profond, calme et velouté coupant net avec le mouvement des herbes l’entourant.
Je somnole et ce rêve s’arrête et la vie reprend, les gens, le mouvement incessant, les couleurs trop nombreuses de cette animation surjouée. Trop d’informations d’une complexité sans nom, sans identité, sans réelle présence. Tout ce que j’aime c’est ce rêve, cette route éternelle et infinie. Dès que je m’endors, je me sens bien grâce à elle, elle est mon tout, ma destinée, ma raison d’être. La vie est irrégulière, imprévisible contrairement à la route.
De nouveau le rêve, pour la première fois depuis longtemps, il change, évolue. J’étais seule sur cette route, l’admirant de mon esprit, maintenant, je suis accompagnée. Cette voiture au bord, dans l’herbe, elle observe la route. Du moins les silhouettes à l’intérieur l’observent. Ils ont raison car elle est belle cette route. La route. Je voudrais que le monde entier la contemple depuis le bord mais jamais l’approchant sinon l’équilibre serait brisé et la route n’existerait plus. Je regarde encore sa régularité qui, elle, est inchangée.
De nouveau la vie, il y a moins de gens autour de moi, plus de sol visible, de l’herbe précisément, verte. Elle me fait penser au bord de la route. Tout paraît calme, du moins de manière infime. Ridiculement infime. Petit à petit, le mouvement reprend son cours normal et je le suis car je n’ai pas d’autre choix.
La route une fois de plus. Douce comme le rêve qui la porte mais maintenant, elle est entourée de deux voitures, remplies de personnes que je ne connais pas, heureusement qu’ils ne se trouvent pas sur la sombre perfection de la route. Sinon cela n’aurait été qu’un cauchemar. Je veux qu’ils se tiennent le plus loin possible de ma route. Pour l’instant, elle est brillante et sublime comme à chaque fois et je voudrais qu’elle soit ainsi éternelle. Mon cœur se brise rien que de penser à sa fin, celle que je ne vois pas, celle que je ne veux pas voir.
Il n’y a plus personne à présent, tout est vide, il y a seulement l’herbe, celle que je haï car elle est trop proche de la route. J’attends que les gens veuillent bien revenir. J’attends ce qu’il me semble une éternité. J’aurais tant voulu qu’il y ait la route pour me donner une belle éternité.
Elle est là. Elle sera toujours là, mais il y quelque chose sur elle. J’essaie de m’approcher, impossible, je ne peux pas bouger. Je suis remplie d’une haine sans pareille, rien n’a le droit d’approcher la route, elle est bien trop parfaite pour que quiconque puisse ne serait-ce que la toucher. J’essaie maintenant de seulement observer sans bouger la chose, cela est totalement inerte, peut-être même mort? Je tourne la tête et je me rends compte qu’il y a de plus en plus de personnes qui l’observent.
Le vide est partout, l’herbe m’envahit aussi, je ne peux plus bouger ici non-plus, je suis piégée. Je me sens vide et froide, comme si toute vie m’avait quittée.
Le ciel a pris la couleur de la route, profonde et complètement calme. Sur la route, des reflets de toutes le couleurs comme un feu d’artifice, ce que c’est, au fond. Il y a beaucoup de mouvement maintenant sur la route, je ne sais pas comment l’interpréter, est-ce positif ou bien négatif, je ne sais plus. Je ne sais même plus ce que sont mes sentiments ou les émotions. Je me sens lourde et j’ai comme l’impression de flotter en même temps. La route parfaite s’étendant devant moi, s’offrant à moi comme une fin idyllique.
Tout est vide, blanc. Rien.
Le ciel est recouvert de couleurs maintenant, partout du rouge, du bleu, du blanc, du jaune clair. Il y a aussi des gens totalement inconnus, soudain, je comprends qu’ils sont sur la route. Ils la souillent de leurs pieds stupides, sales, profanes. J’essaie de me relever pour les pousser, pour qu’ils laissent la route tranquille mais c’est comme si j’étais dans la route, je ne peux pas bouger, même pas ma main. Je vois les personnes s’agiter, m’attraper, me bouger mais je ne les entends pas non plus. Je suis déjà partie.
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