Epilogue 2/2 : La musique de l’amour

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Allan

Je jette un œil dans la salle à manger et constate avec plaisir que les jumeaux ne sont pas en train de se disputer. A cause de ces deux-là, je vais finir par n’avoir plus que des cheveux blancs. Ils sont différents au possible, Mika discret et bon élève, dans les premiers de sa classe au collège, Nora beaucoup plus expansive et toujours des idées de bêtises en tête. Ils passent leur temps à se chamailler mais ont une entente que seuls deux frères et sœurs ayant grandi ensemble peuvent partager. Là, moyennant un petit supplément sur leur argent de poche, j’ai réussi à les motiver à préparer la table pour le repas où Albane va nous présenter son petit ami.

“L’amour de sa vie”, selon elle. Et si j’ai bien compris, ça fait des mois que Maeva est au courant mais je viens juste de l’apprendre. Je me demande bien pourquoi elle m’a toujours caché ses petits amis jusqu’au dernier moment. Non pas qu’elle en ait eu des centaines, mais à chaque fois, j’ai appris les choses soit quand c’était fini et qu’il fallait la réconforter, soit quand elle pensait que ça devenait sérieux. Maeva pense que c’est parce que je suis trop parfait, que j’ai mis la barre trop haute pour tous ces garçons et qu’Albane a peur que je les juge trop durement. J’ai eu beau insister sur le fait que ce n’était pas le cas, je pense que j’en ai rencontré moitié moins que mon épouse. Et tant mieux au final, cela m’a évité de m’inquiéter pour ma fille la moitié du temps.

Là cependant, c’est plus que du sérieux. Matthieu est non seulement l’amour de sa vie, mais aussi l’homme qui la rend heureuse, celui avec qui elle veut envisager un futur… Quand elle m’en a parlé, elle ne s’est plus arrêtée d’être dithyrambique à son sujet. Je l’ai écoutée avec attention et me suis amusé à rester silencieux alors qu’elle me regardait, anxieuse. Avec mon expérience d’enquêteur, je sais que le silence dans ces moments-là permet d’avoir le plus d’informations. Défaut professionnel, je n’y peux rien. Bref, je lui ai dit de nous l’amener pour nous le présenter et c’est ce dimanche que le grand jour est arrivé. Matthieu vient manger à la maison et pour l’occasion, j’ai préparé le déjeuner avec Maeva. L’occasion pour nous de partager un nouveau moment de complicité même si la coquine a tout fait pour détourner mon attention de cette rencontre. Si les jumeaux n’avaient pas été là, je crois que je n’aurais pas pris le temps de préparer un gâteau au chocolat et qu’on aurait fini la matinée au lit. Vivement que les deux terreurs prennent eux aussi leur indépendance. Albane a obtenu son diplôme d’éducatrice spécialisée et son Mathieu est une sorte d’artiste si j’ai bien compris. Ils se sont rencontrés pendant l’un de ses stages dans une structure mère-enfants. Tu parles d’une référence.

— Chérie, tu es prête ? demandé-je en voyant s’approcher l’heure où notre fille a dit qu’elle allait arriver.

— La vraie question à poser est de savoir si toi tu es prêt, Amour… Pour ma part, tout roule et j’ai hâte.

— Bien sûr que je suis prêt. J’ai préparé les menottes dans ma salle personnelle, le serum de vérité est à côté et j’ai aussi tous les instruments de torture. Bon, s’il est clean, je te préviens, les menottes, ce sera pour toi, ris-je en l’enlaçant pour échanger un baiser qui ravive immédiatement la chaleur du matin.

— Eh bien… possible que j’aie hâte d’être à ce soir et que je prie pour qu’il soit clean, susurre-t-elle avec un sourire coquin.

Nous n’avons pas le temps de poursuivre cet échange que les jumeaux débarquent dans le salon en criant qu’Albane et son amoureux sont en train de se garer devant la maison.

— Tu me dis si j’abuse quand il sera là, chuchoté-je à ma femme. Parce que s’il n’est pas à la hauteur de notre fille, je l’étripe.

— Personne ne sera à la hauteur de notre fille à nos yeux, Chéri, rit Maeva. Tant qu’il la regarde avec amour et qu’elle semble épanouie, c’est tout ce qui compte. Détends-toi, il a l’air doux et gentil.

— On verra bien, grommelé-je.

J’ouvre la porte et nous sortons sur le perron pour les accueillir. Je vois un jeune homme aux cheveux roux frisés sortir de la voiture de notre fille et le détaille alors qu’il attend patiemment qu’Albane ait récupéré son sac à l’arrière pour lui prendre la taille et s’approcher de nous. Son geste témoigne d’une telle tendresse que je suis immédiatement rassuré, mais si je veux lui montrer mon image de père protecteur, je vais devoir m’efforcer de garder l’air sévère que j’arbore. C’est vrai qu’il est mignon, même s’il m’a l’air très jeune. Après, notre fille est encore jeune aussi. Aux Etats-Unis, à vingt-et-un ans, elle pourrait à peine boire de l’alcool légalement…

— Bonjour ma Puce, tu vas bien ?

Je lui souris tendrement et la serre contre moi alors qu’elle me fait la bise. J’ai beau jouer au dur, je sais qu’au fond, je ne pourrais rien lui refuser et la petite chipie le sait aussi. Je la sens un peu tendue mais elle a un petit air déterminé quand elle me présente son petit copain.

— Ça va, Papa. Je te présente Mathieu. Mat, c’est mon père, Allan. Salut, Maman, sourit-elle en embrassant Maeva sans lâcher la main de son invité.

— Alors, jeune homme, comme ça, vous êtes le fameux Mathieu. Enchanté.

Le jeune n’a pas froid au yeux et il répond à mon regard perçant et à ma franche poignée de main avec une assurance que son attitude générale ne laissait pas présager. Encore un bon point pour lui.

— C’est bien moi. Je suis très heureux de vous rencontrer, Monsieur. Albane ne tarit pas d’éloges sur son père, elle m’a mis la pression…

— J’espère bien ! ris-je. Alors, d’abord, on va arrêter tout de suite avec le “Monsieur”. Je suis Allan et, même si je suis un ex-flic féroce qui n’hésitera pas à vous torturer si vous rendez malheureuse sa fille, je souhaite que nous partions sur de bonnes bases. Et si ça vous va, on se tutoie directement, non ?

Albane lève les yeux au ciel quand je dis que je suis féroce, clairement pas convaincue mais son jeunot ne se laisse pas démonter et continue à me sourire, comme s’il n’était pas du tout impressionné. Je vois néanmoins un petit tremblement de sa main et son sourire est un peu figé mais il tient bien le choc. Si je n’avais pas l’habitude de mener des entretiens, je n’aurais sûrement pas remarqué son très léger trouble.

— Avec plaisir, mais je ne promets pas d‘y arriver du premier coup.

— Allez, entrez tous les deux, je m’occupe du chien de garde, se moque Maeva en passant son bras sous le mien.

— Tu ne vas pas me laisser sur le palier, quand même ? grondé-je en faisant mine de montrer mes crocs. Sinon, promis, je passe le reste de la journée à aboyer.

— Bien sûr que non, voyons. Entre donc, j’aurais peur que tu marques ton territoire sur mes rosiers !

Elle me gratifie d’un baiser et nous rentrons chez nous. Albane est en train de présenter Mathieu à son frère et à sa sœur qui semblent étrangement calmes et gentils. Je me demande si Albane ne les a pas achetés avant d’arriver en utilisant un moyen de pression que je préfère ne pas connaître. En tout cas, Mathieu semble relativement à l’aise et nous nous installons à table afin de prendre un petit apéritif. Curieux, je lance la conversation, ou plutôt l’interrogatoire. On ne se refait pas.

— Alors, Mathieu, comme ça, vous êtes un artiste ? C’est votre projet de carrière ? l’attaqué-je gentiment.

Cela ne m’inquiète pas vraiment mais je tiens à jouer mon rôle et ça m’amuse grandement de jouer ce rôle de père inquiet pour sa fille alors qu’au fond de moi, je sais qu’elle est comme sa mère. Fière et indépendante et assez forte pour ne pas se laisser marcher dessus par qui que ce soit.

— Oui, je fais de la peinture et de la poterie, j’ai exposé dans plusieurs petites galeries. Et j’adore transmettre ma passion, alors je propose des cours dans diverses associations.

— Mathieu est super doué avec les enfants, Papa. Ils étaient tous au garde à vous, ils buvaient ses paroles, je te jure, c’était impressionnant.

— Papa, Maman, on pourra faire de la peinture après manger ? s’écrie Nora qui semble charmée par le petit ami de sa sœur.

— Ce n’est pas à nous qu’il faut demander, voyons. Les artistes, ici, ce ne sont pas vos parents ! Mathieu, ça te dit de nous faire une petite démonstration après le repas ?

— Pourquoi pas, c’est toujours sympa, une petite séance de peinture, et convivial. Ce sera avec plaisir.

Son acceptation est accueillie par des cris de plaisir de nos enfants et je me dis qu’il marque encore des points. Je lui souris et suis content de voir qu’il semble plus décontracté en notre présence. Albane le dévore des yeux et j’échange un regard de connivence avec Maeva qui a noté aussi cette belle entente entre les deux. Le repas se passe dans une bonne ambiance et je m’amuse à raconter des anecdotes sur Albane petite que Mathieu écoute avec beaucoup d’intérêt tandis que ma fille me lance parfois des petits regards courroucés qui me font sourire. Après le dessert, alors que Maeva part chercher la peinture et les pinceaux, Albane me surprend.

— Papa, tu nous fais un petit morceau ? Tu sais, un de ceux que tu vas jouer en concert le weekend prochain.

— Tu veux que je vous joue de la cornemuse ? Tu veux faire fuir Mathieu ou quoi ?

C’est vrai que je me suis bien amélioré mais je reste encore un peu timide par rapport à ça. Et le petit concert à l’école de musique du village la semaine prochaine me stresse beaucoup plus qu’il ne le devrait.

— Tu ne le feras pas fuir, rit Albane. Tu sais que Mat m’emmène dès que possible dans les Fest Noz ? D’ailleurs, on devrait y aller tous ensemble, de temps en temps, ça fait combien de temps que tu n’as pas fait danser Maman ?

— Je la fais danser tous les soirs dans notre lit ! rétorqué-je du tac-au-tac. Demande-lui !

— Beurk ! grimacent les jumeaux.

— Va donc chercher ton instrument au lieu de dire n’importe quoi, Chéri.

— Seulement si j’ai un bisou ! dis-je en me penchant vers elle, les lèvres en avant.

— Ben voyons, toujours à quémander, rit-elle avant de m’embrasser tendrement. Et nous viendrons avec plaisir danser avec vous un de ces jours, les enfants.

— Je ne quémande pas, je réclame mon dû, parce que je t’aime, ris-je avant d’aller chercher mon instrument.

— Hé, Allan ? crie-t-elle alors que je suis à la porte de ma pièce. Je t’aime aussi !

Je monte ma cornemuse et retrouve tout le monde dans le salon où ils sont partis s’installer. Je gonfle l’instrument et le bourdonnement si caractéristique commence à retentir. Une fois prêt, je fais une petite révérence et me lance dans un air traditionnel. Les enfants se mettent à applaudir et Mathieu entraîne Albane pour une danse improvisée au milieu du salon. Notre fille rayonne de bonheur et je suis heureux de la voir aussi épanouie. Je crois que comme sa mère, elle est une femme de caractère qui sait ce qu’elle veut. Elle est belle, amoureuse et déterminée à être heureuse, tout comme Maeva à qui j’adresse des oeillades complices. La musique bretonne résonne dans notre maison qui transpire la félicité. Tout n’a pas toujours été facile, il y a eu plein de remous, mais s’il y a bien une chose dont je suis certain, c’est que l’avenir sera radieux. L’amour qui nous unit, Maeva et moi, est une véritable force et je suis heureux de voir que nous avons réussi à transmettre cette magie à toute notre famille. Quand on aime vraiment, il faut parfois se battre pour préserver cette passion, mais le jeu en vaut clairement la chandelle.

FIN

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