6 février.
Le bilan carbone d’Alexandre est proche de zéro. Si de la fumée noire vient salir le bon air de son terrain, cela provient du feu de bois qui brûle à l’heure des repas. Pas d’électricité, pas d’appareils ménagers : ça serait tricher. Tout se fait lentement ; tout est si long, parfois, qu’il vaut mieux ne pas regarder sa montre. Mais qui possède une montre en ce lieu reculé ? Alexandre regarde plutôt la position du soleil ou de la lune, et ce n’est pas pour lui une façon romantique de dire l’heure. C’est éminemment pragmatique. On lève les yeux, et l’heure est marquée dans le ciel. Le soir, Alexandre a tenté de m’expliquer comment déterminer l’heure en étudiant la position de l’étoile polaire. Trop compliqué, je préfère regarder mon portable. Si la méthode est approximative, Alexandre n’en a cure : il a tant de temps pour lui qu’il peut bien parfois se tromper : le cours des choses n’en sera pas dévié d’un pouce. Paradoxalement, il n’en demeure pas moins constamment pressé, hyperactif, et ne levant le pied qu’au moment du coucher du soleil. La nuit venant, ce n’est plus son corps qui s’active mais sa langue : hyper-bavard, hyper-égocentré. Pendant qu’il déblatère, le repas cuit sur un trépied grâce au feu bien nourri par les palettes et les planches en pin récupérées je ne sais où. Tout autour, de la cendre en veux-tu en voilà, dix années de cendres éparpillées partout dans le salon (qui, comme le grenier, est en fait une grande tente dressée en plein air). C’est que la cendre est pour Alexandre un trésor de bienfaits : bientôt, nous ferons la vaisselle ou la lessive avec, nous nous laverons les mains puis les cheveux avec, nous l’utiliserons comme un ersatz de sciure de bois pour recouvrir nos excréments, nous nous en servirons même en tant que condiment pour le dîner… Viendra le temps du sommeil, Marie et moi repartirons dans le fourgon tandis qu’il rejoindra ses trois enfants dans la yourte, laissant la soirée se mourir sous la cendre.
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