8 mai, Kulata

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Thomas et Lias nous ont mis en garde : il vaut mieux ne pas se procurer du gazole dans les petites stations bulgares, il est bien souvent frelaté, du fait du mauvais entretien des cuves, et l’on risquerait d’endommager sérieusement le moteur de notre fourgon. Après la frontière, l’heure est donc venue de nous ravitailler chez l’un de ces géants du pétrole. À la sortie du bourg, face à face, en concurrence perpétuelle : Shell et BP.

Logo de Shell : Un pétoncle, une valve éclatante, un soleil levant sur le monde hydrocarburé. Un coquillage jaune-rouge échoué sur le sable bitumineux. Notons qu’en 1988, Shell a battu sa coulpe en reconnaissant, dans un rapport interne, que ses activités pétrolifères étaient nocives pour l’environnement. En 1991, un documentaire produit par la même entreprise avertissait des gros dangers liés au changement du climat. Une demi-heure de commentaires fort instructifs à propos des problèmes posés par la combustion des énergies fossiles, ainsi que de leur incidence au long cours. Depuis, la compagnie pétrolière n’a cependant rien fait pour limiter son impact sur l’environnement ; pire, elle l’a même aggravé par la prospection de nouveaux gisements, par la mise au point de nouvelles techniques d’extraction des sables bitumineux – techniques hautement nuisibles pour la nature. Pour ne rien gâcher, Shell est régulièrement pointée du doigt pour son activité pétrolifère dans le delta du Niger, en Afrique. Oléoducs défectueux, succession de marées noires depuis cinquante ans, violents affrontements relatifs aux champs de pétrole, sabotages en cascade, poudrière alimentée par l’insatiable appétit de Shell… Écosystème ravagé, nappes d’hydrocarbure dans les zones de pêche, dispersants chimiques répandus, projets de dépollution jamais concrétisés, quantité de villages insalubres, famine et misère auxquelles s’ajoute une inquiétante augmentation de la mortalité infantile… Shell, entité sans foi ni loi, compagnie crétinisée par le profit, coquille vide, empty shell que l’on peut mettre en cause à plus d’un titre, allant de la grave négligence au funeste écocide, avec au bout du compte une impunité propre aux puissantes multinationales, impunité savamment garantie par nos brillants systèmes judiciaires – car précisons que Shell, en tant que société-mère, ne peut être tenue pour responsable des actions de sa filiale nigériane, ce qu’a récemment rappelé une juridiction britannique. Cruelle ironie que je ne peux m’empêcher de relever quand je regarde à nouveau le logo de Shell : y a-t-il encore un coquillage en vie sur les côtes nigériennes ?

Logo de BP : une rosace attrayante, une poussée de vert. En son cœur, un soleil, un amas de pollen. Autour, un déploiement de rayons, une imbrication de pétales, une éclosion de printemps. En somme, une belle image à moindre coût, rappelant qu’une plante est un concentré de soleil, de même que le pétrole est un concentré d’énergie. Logo cache-misère. Mais nul besoin, cette fois-ci, de s’attarder sur la tristement célèbre marée noire ayant dévasté le golfe du Mexique en 2010. Relevons simplement cette information tout aussi déplorable : depuis l’accord de Paris, BP dépense environ 53 millions de dollars par an (plus que tout autre géant du pétrole) pour décrédibiliser les travaux de la science climatique, pour saper les politiques visant à lutter contre le réchauffement planétaire. Dans le même temps, 30 millions de dollars sont dépensés chaque année dans le but de promouvoir l’engagement de British Petroleum en faveur de l’environnement. Quelque chose ici pourrait sonner creux – une autre coquille vide ? Lorsqu’une entreprise en vient à pareille duplicité pour se maintenir à flot, c’est qu’une grave maladie la consume. À trop forcer le grand écart, on risque une déchirure, une fissure profonde, un écartèlement fatal et définitif.

Logo du pétrole : un rond noir. Voilà donc à quoi devrait ressembler l’emblème d’une honnête entreprise pétrolière. Il n’en est rien ; loin de là même, puisque tous les géants de l’or noir ont choisi de se planquer derrière un logo supérieurement fourbe (ou tout autre effet marketing imaginé pour verdir tout ce noir). Devant ce tableau consternant, que pouvons-nous bien faire, Marie et moi ? Ne plus consommer de pétrole et nous débarrasser de notre fourgon ? Ce sera fait dès notre retour en France. En attendant, donnons à boire à Bucéphale : il a soif. Simplement se souvenir que si je fais le plein quelque part, ces compagnies font le vide ailleurs. Le meilleur carburant, c’est celui qu’on laisse moisir dans les cuves.

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