14 mai, Micești

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Depuis quelques jours, il pleut des cordes en Roumanie. Une marmite à la renverse, une masse liquide ou grêleuse qui descend du ciel et se déverse à l’infini comme à la fin des temps. Les nuages ont fait corps, ils ne sont plus qu’une immense dalle anthracite. En bas, les rivières débordent avec une furia inouïe ; elles mouillent leur lit, mais bien plus qu’à l’accoutumée, car le ciel pisse une trombe d’eau monstrueuse. Nous nous garons non loin de l’une de ces rivières, en contre-haut, pour mieux contempler le déluge au chaud (au menu : thé vert et chocolat noir). Grosse, irrésistible, la crue charrie tous les déchets plastiques abandonnés dans la nature, en amont ; pour la plupart, il s’agit de bouteilles en plastiques, par centaines, par milliers – Coca-cola tient la corde ; et pour le reste, on aperçoit quelques boîtes de conserve, un pneu de tracteur, des vêtements usagées, un chariot de supermarché, et – plus incongru – des radiographies médicales. De quoi faire de belles œuvres d’art, si l’on se sent en verve ; ou de quoi simplement remplir une décharge.

La rivière : œuvre d’art au naturel, qui se contente humblement de couler. Le plastique : à l’origine, inventé pour remplacer l’ivoire dans les boules de billard, par souci de la cause pachyderme. Ne s’est pas contenté de rouler sur les tables. Aujourd’hui, matière décriée, symbole d’un progrès qui ne fait plus rien progresser, qui salit davantage qu’il ne sert ; matière que l’on associe volontiers aux déchets imputrescibles, au sixième continent dans le pacifique, aux pailles retrouvées dans le nez des tortues ; matière cancérigène qui ne doit sa survie qu’aux lobbies pétroliers, prêts à payer des fortunes pour nous faire accroire qu’une vie sans plastique est une vie moins pratique. Et la rivière de déchets ? Gardée sous le boisseau. Pure anomalie du système. Chiure de mouche sur un drap de soie.

Mon smartphone me fait savoir que cette rivière est un affluent du Danube, qui lui se jettera dans la mer Noire. Voir autant de déchets flotter, ça vous coupe la chique et l’appétit avec, ça vous gâche le bonheur frugal d’un thé vert et d’un carré de chocolat. Ma foi, j’enraye malgré tout ma douleur, allume le moteur, et nous mettons les gaz en direction de la Transylvanie. Partir est une bonne solution, quand rester ne vous apporte que des misères.

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