24 mai, Volcans de boue de Berca.
Au nord de Bucarest, aux confins de la Grande Valachie, la beauté des paysages nous force à bifurquer. On s’arrête au milieu de nulle part, dans une aire de camping-car qui semble tomber du ciel, on détend ses bras, on prend la pleine mesure du printemps. Faune exaltée, reliefs aux grands aplats de vert, terre gonflée de la pluie des dernières semaines, prairies bénies par le soleil… Sur les conseils de notre hôte, nous partons tout en haut d’une colline, excursion bucolique au terme de laquelle on entre dans un parc naturel. Un désert expulsant du gaz. Un îlot grisâtre et lunaire où les hirondelles, pourtant si nombreuses à quelques encablures, n’iront jamais. Un néant sur lequel rien ne pousse, excepté ces volcans miniatures qui ressemblent à de pauvres cônes bancals et malades. Régulièrement, les voilà qu’ils toussotent et crachent des petits jets de boue. Pourquoi ? Des gaz d’origine profonde (azote et méthane) sont piégés sous terre, sous pression, ne se libérant qu’à la faveur de légers glissements de terrain. En remontant, ces gaz entraînent avec eux cette boue qui dégorge à la surface, et qui finira par former, les années passant, ces drôles de volcans miniatures.
Autour de ces monticules, tout est cuit par le soleil. On se promène, on enjambe les petits ruissellements boueux qui viennent éroder la terre sèche. Si nous étions des fourmis, ce fragment du paysage ressemblerait au Grand Canyon. De temps en temps, la terre dessine des anneaux concentriques : une matière d’abord tendre, puis franchement molle, de plus en plus spongieuse, de plus en plus visqueuse… avant de devenir au centre un petit lac de boue. À la surface, des bulles se forment, erratiques et de taille variable ; Marie note que les gaz lâchés ne sentent pas ; j’ajoute que tout le parc est inodore, en fait, on ne sent rien que l’inexistant. Inutile de s’en approcher de trop près, de ces lacs, vous vous enfonceriez rapidement comme dans un banc de sable mouvant (j’en ai stupidement fait les frais).
J’ai dit tout à l’heure que rien ne pousse ici ; c’est faux. À certains endroits, quelques plantes endémiques arrivent à se déployer malgré l’âpreté de ce terrain saturé de sels de sodium et dépourvu d’humus. C’est notamment le cas pour le nitraria schoberi, genre d’arbuste halophile qui raffole des milieux salés. Incontestablement, ces touffes de verdure ont pris racine au paradis – dans un paradis qui leur appartient. Ici comme ailleurs, la vie s’entête à vouloir survivre, à trouver des terrains d’entente. Mais tandis que nous revenons sur nos pas, tandis que les volcans de boue s’éloignent, on voit la terre qui soudain s’enrichit jusqu’à redevenir meuble ; alors de nouvelles plantes apparaissent, d’abord des tiges dressées qui font comme des cheveux d’ange, graminées caractéristiques de la steppe ; puis peu à peu, le retour glorieux des herbes fraîches et des fleurs des champs, riche végétation qui nous indique, bien mieux que ne le ferait n’importe quel panneau, que nous avons quitté le parc naturel de Berca.
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