4 juillet, Uzunyurt
Grandiose Lycie. Terre ocre identique à la terre de Roland-Garros. Montagnes escarpées qui vont se noyer dans la mer souveraine. Onde amère aux couleurs du délice. Eau turquoise à l’horizon, cristalline à l’abord des criques. Route sinueuse au bord de laquelle un ravin ; au bout de laquelle une retraite de yoga. Ne trouvant nulle part où aller, nous nous garons devant cette retraite, unique endroit procurant de l’ombre ainsi qu’un terrain plat. Le terrain plat : grande obsession des camping-caristes en vue de passer la nuit la moins penchée possible. Ici, nous serons bien. Marie s’amuse avec le chien de nos voisins, ce qui nous vaut bientôt un geste amical de la main. Au bout de plusieurs minutes de caresses, c’en est déjà trop pour un turc, et le père de famille s’approche et nous invite à dîner. Nous suivons notre hôte et rencontrons sa femme et leurs trois grands enfants. Le gîte est bâti sur un emplacement digne des plus beaux palais lyciens ; leur terrasse est un balcon sur l’infini méditerranéen ; le yoga s’y pratique en s’émerveillant ; à la tombée du jour, la salutation au soleil n’aura jamais si bien porté son nom.
Si votre nature ou votre éducation vous pousse à prêter main-forte en cuisine, n’en faîtes rien en Turquie : l’hôte accueille et régale, et l’invité patiente et se régale. Asseyons-nous plutôt pour apprécier les hasards de la vie. L’aîné de la fratrie nous sert un çay et commence à parler de la France, et de la chance que nous avons d’y vivre. Il cite fièrement le nom de notre président, sans trop savoir quoi dire à son sujet. Il est plus prolixe à propos d’Erdoğan, qu’il déteste ouvertement parce qu’il s’érige en figure pieuse, alors même qu’il se fiche de l’islam et ne s’en sert que pour appuyer ses vues nationalistes. Il déteste Erdoğan, en gros et en détail, et nous le fait savoir en énumérant les affaires de corruption dans lesquelles il trempe, ou les aventures extraconjugales de ses fils. Ironie suprême : il dit que l’alcool coule à flot dans les soirées mondaines organisées par les fils Erdoğan (pour boire en quantité les meilleurs alcools, il faut se rendre dans les appartements des autorités qui les interdisent aux autres). La mère de famille nous ressert du çay et dit quelque chose en turc, avant que son fils nous traduise en anglais : « Au moins, Erdoğan nous construit de bonnes routes. » Je ne peux qu’approuver ses dires : la route est excellente en Turquie. Puis le père de famille nous apporte une immense poêle où crépite une omelette encore baveuse garnie de poivrons, de tomates et d’oignons, ainsi qu’une grande assiette de haricots baignant dans l’huile d’olive. La reconnaissance est un plat qui se mange avec le sourire.
Le lendemain matin, nous glissons un merci dans leur boîte aux lettres, avant de décamper. Dans mon carnet, je n’ai malheureusement gardé nulle trace de leurs prénoms. Quand la bonté se pare d’anonymat, il faut se souvenir du reste.
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