14 août, Souzdal
Cette après-midi, le ciel est pur, comme le regard de la Vierge que nous n’avons cessé de croiser dans les nombreuses églises de Souzdal. La cathédrale, coiffée de clochers bleus criblés d’étoiles, emprunte sa magnificence au ciel auquel elle entend rendre grâce. Je ne me lasse pas de contempler tous les clochers de ces monuments religieux, dont la forme en meringue, ou semblable à des bulbes, est une carte postale à elle seule.
Le soir venu, le ciel se couvre de nuages blancs – d’autres meringues ? Quand soudain, depuis la terrasse où nous dînons, nous apercevons des milliers d’étourneaux qui s’envolent d’un bosquet, s’agrègent en d’insaisissables nuées, puis dansent à l’unisson, virevoltant dans une fluidité propre aux ballets russes. Un homme sort du bar une bière à la main, tombe en arrêt devant cet impressionnant spectacle, et s’assoit sans mot dire à notre table. Il regarde ébahi cette unité tourbillonnante, onde en perpétuel mouvement qui finira par fondre à l’horizon, dans les frondaisons d’une forêt. L’homme reprend ses esprits, s’avale une gorgée de bière, et découvre notre existence à ses côtés. Il nous interpelle en russe en désignant du doigt le ciel, à quoi nous répondons en anglais : yes, it’s beautiful. Notre homme, interdit devant cette langue qu’il ne maîtrise pas, ne peut rien nous répondre. Il se contente alors de sourire en levant son pouce, et nous demeurons là tous les trois, contemplateurs béats de cette masse d’étourneaux qui se rejoignent encore et dessinent un soleil noir au-dessus des clochers de Souzdal, avec le bruissement de leurs milliers d’ailes qui fait comme un murmure, un modeste et radieux murmure que nous accueillons dans le creux de l’oreille comme un doux secret brisant la barrière de tous les langages…
Annotations
Versions