29 août, Peterhof
Dernier tour de piste en Russie. Marie et moi voulons finir en beauté, à la lueur d’une bougie. Dans un restaurant typique, avec hareng fumé dans l’assiette et violons pour les oreilles. Et peut-être, en dessert, une vodka cul-sec balancée derrière l’épaule. Que sais-je, un bain de minuit dans la mer Baltique, un bon gros cigare d’oligarque allumé sur la plage… Un feu d’artifice en perspective ; un pétard mouillé dans les faits.
Peterhof est une ville assez propre, assez riche, et qui s’enorgueillit de son grand château qui ferait concurrence à notre Versailles. Pour le visiter, nous donnons nos derniers roubles et nos derniers kopecks. À la fin de la journée, la plupart des touristes repartent en bus à Saint-Pétersbourg ; les restaurants ferment et Peterhof devient ville morte. Au milieu de ce désert, un miséreux se traîne avec son barda sur le dos. Nous voyant, son œil se rallume et sa bouche nous interpelle : il veut nous vendre un CD contenant des morceaux qu’il a composés. Nous lui répondons que nous n’avons plus un kopeck. Il tient quand même à nous montrer, cette fois, plusieurs de ses dessins que nous regardons poliment. Il nous en donne un au hasard, puis tend sa main pour obtenir son dû. D’un air désolé, nous retournons nos poches et lui rendons le dessin. Son œil s’éteint comme une bougie sur laquelle on aurait soufflé. Le pauvre hère s’éloigne alors en direction du château, dans l’espoir d’y croiser quelque autre touriste. Il erre… La communauté de clochards est un invariant de toutes les sociétés, de tous les pays que nous aurons traversés. Comme un chien fidèle que personne ne daigne caresser du regard. Une masse éclatée, trop peu visible ou même transparente. Ils sont à l’image de cette ville : des fantômes. Je jure que pourtant, ils existent.
Demain, nous serons en Europe, et les clochards mendieront en euros.
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