7 septembre, autour de Ginučiai

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La nature après la biture. Mon esprit retrouve une part de quiétude et de lenteur qu’il avait perdue dans la furia citadine, et c’est ce yoyo permanent, généré par nos déplacements quotidiens, qui me manquera le plus au bout de notre route. Aujourd’hui, nous voici dans le pays des lacs et des roselières, où règne en paix la flottille de canards lituaniens. Plonger depuis ce ponton vermoulu serait tentant à bien des égards (se rafraîchir, se savonner, nager parmi les colverts et les sarcelles) ; mais ce matin, nous allons plutôt prendre un bain de forêt, un bol d’oxygène au milieu des pins, des sapins, des bouleaux, des chênes et des charmes. Il y a tellement de forêts que les maisons des alentours, dans le bourg de Ginučiai, sont toutes en bois. Quant à l’épicerie du coin, c’est une cabane en rondins de pin patinés. Même les gens, fort accommodants lorsque nous leur demandons l’accès au sauna communautaire, ou le meilleur endroit pour passer la nuit, semblent être de ce bois mystérieux dont on fait des flûtes.

Prendre un bain de forêt. Pourquoi donc ai-je tant de joie, soudain, quand je sens venir à mes narines l’étonnante odeur du sous-bois ? D’où me vient cette vague intérieure qui me canalise et m’apaise ? Est-il vrai que certaines molécules sécrétées par les arbres ont pour effet de juguler notre taux de cortisol (l’hormone du stress, me précise Marie) ? Faut-il que j’ouvre en grand ma cage thoracique afin d’inhaler proprement, comme un camé, ma dose de phytoncides ? Au bout d’un chemin, je m’arrête en plantant mes deux pieds dans le tendre humus et je respire à pleine poitrine, à cœur joie, les délices odoriférants ; je me rassérène, et mon ventre est lentement dénoué par les émanations de ces gros troncs noueux. Peu après ce régal olfactif, j’aperçois Marie qui ramasse quelques feuilles au gré de sa promenade afin de constituer un herbier. Tous les jours, son œuvre s’enrichit de nouvelles espèces. Une fois retournée en France, elle veut faire de ces feuilles séchées des tableaux, puis les suspendre aux murs de ce foyer qui nous attend là-bas.

Je le sens bien depuis quelque temps – probablement depuis la Russie –, ce voyage éveille en moi le goût des arbres et des étendues boisées. Je n’ai pas souvenir d’avoir attrapé pareil virus en mon pays. Je me suis toujours considéré comme un homme de la mer. Donnez-moi n’importe quel littoral, à n’importe quelle heure de la journée, et je serai content. Mais les forêts, c’est véritablement nouveau pour moi. Quand je cherche en vain le sommeil, suivant les enseignements de la méditation, je m’imagine en un endroit tranquillisant qui, depuis peu, ne ressemble plus à un bord de mer. Je me figure entouré de chênes ou de hêtres, et me retire instantanément dans mon cocon de bois. J’appartiens à la nation Forêt. J’en suis l’un de ses plus fervents citoyens. J’ai ma carte électorale et je vote écureuil. Glands pour tous ! Et je m’endors paisiblement.

Je repense à la phrase de Giono, récemment lue dans Les vraies richesses : « Je suis mélangé d’arbres, de bêtes et d’éléments ; et les arbres, les bêtes et les éléments qui m’entourent sont faits de moi-même autant que d’eux-mêmes. » Phrase jumelle de celle d’Empédocle : « Car je fus, pendant un temps, garçon et fille, arbre et oiseau, et poisson muet dans la mer. » Relisant ces deux professions de foi panthéistiques, je les fais miennes et les partage avec Marie. La forêt tient lieu de refuge enchanté pour Empédocle, et pour Giono, et pour quiconque en ayant le désir. C’est de la gratuité de ce bien commun que je tire ma plus grande joie.

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