3 octobre, Auschwitz
Pesant silence autour de la voie ferrée, devant le terminus de Birkenau. Nous faisons face à l’entrée du camp de concentration ; le rail franchit ce grand porche en briques rouges, au centre du bâtiment principal, surmonté d’une vigie d’où guettait probablement la garde SS. Nous restons plantés là, ne sachant que dire ou quoi faire devant ce point de vue tragiquement iconique, empoignant, qui force le recueillement. L’embouchure d’un fleuve immonde qui n’aurait jamais dû s’écouler. Si l’on se retourne, on peut suivre en amont le tracé de la voie de chemin de fer, à la source de la géhenne. Mais au bout d’une centaine de mètres, on est comme arrêtés net : la nature a repris ses droits. Des buissons foisonnent, surplombant courageusement la voie, la recouvrant parfois ; des branches cassées se sont mises en travers du monstrueux chemin. No pasarán. Au milieu de cette armée héroïque, on croit reconnaître un boquettier (c’est-à-dire un pommier sauvage), un nerprun cathartique, ainsi qu’un saule cendré. Derrière, on ne voit plus rien tellement la jungle est dense ; un fouillis d’arbustes en tous genres, une légion resserrée de végétaux épineux qui s’entremêlent afin de former un rempart inexpugnable ; il n’y a de brèche nulle part. En avant, des herbes folles ont recouvert les traverses et le ballast, aventureuses, esseulées, piétinées comme de la chair à canon. Cela ne change rien : le passage est condamné, la voie désaffectée, le tronçon déclassé, la barbarie laissée à l’abandon. Sur quoi la résistance a bien poussé. Puisse-t-elle ne jamais se flétrir.
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