Ultime baiser de notre voyage. Il faut se livrer dans la gueule du retour. Nous célébrons notre dernier dîner dans un bon restaurant de la capitale belge, à proximité de la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule. Envoyez tout, qu’on en finisse ! Carbonade flamande et ragoût de lapin cuit à la Chimay. Deux cruches de bière brune légèrement sucrée. Nos chopes se désemplissent, oh, si rapidement. Fin du repas, la serveuse est sur le point de me retirer mon assiette, mais dans un cri du cœur, je lâche : « Attendez, il me reste une dernière bouchée ! »

Une dernière bouchée. Une dernière soirée pour clore le voyage. Après, ce sera la France et les Français. Retrouver les siens. Quand on revient d’un long voyage, on commence à regarder le monde avec des jumelles retournées, on se met à voir en tout petit les choses qui sont très près. Tout nous paraît plus éloigné, les gens, les vies, les habitudes, et l’on se dit qu’on ne pourra plus jamais les rejoindre. On ne reconnaît même plus son pays, on le retrouve tout embrumé, méconnaissable, ou trop en décalage avec ce qu’on est devenu par le biais du voyage, ainsi qu’Ulysse a d’abord retrouvé son Ithaque enveloppée d’un épais brouillard, et n’a rien reconnu de sa terre d’origine. Aussi, on dit que ça ne dure qu’un temps, fort heureusement. D’ici quelques jours, à n’en pas douter, nous serons redevenus français parmi les Français, réintégrés dans la masse environnante, identiques à ces haleines qui par temps froid, à peine exhalées de la bouche, se déploient dans un nuage encore tiède et gorgé d’effort, avant de se fondre entièrement dans l’atmosphère hivernale du pays.