4.
Ils s’engagèrent dans l’allée jalonnée d’ornières et Hippolyte marcha en tête, Julen lui emboîtant le pas, le visage enfoui dans les mains. Il s’apitoyait sur son sort, arrosé d’une pluie froide. Ils contournèrent le mur épais du presbytère et y entrèrent. Julen s’effondra sur une chaise incapable de dire le moindre mot. Après un court instant, Hippolyte brisa le silence.
« Je vous prépare un café, dit-il dans l’espoir d’obtenir une réponse avant d’enchaîner, je suis au courant pour votre épouse, d’ailleurs tout le village en parle. »
Ces paroles furent vaines. Julen demeurait le regard perdu, les traits livides. Ses yeux s’agrandissaient pour mieux se refermer la seconde d’après comme si Julen venait d’embarquer par une journée de tempête à bord du radeau de la méduse. Ses épaules s’affaissèrent avec la poitrine écrasée d’un poids énorme.
« Mon but n’était pas de vous alarmer tout à l’heure en vous parlant de ces deux sépultures mystérieuses. »
Hippolyte marqua une pause. Julen demeurait prostré, le corps aussi mou que du caramel fondu, répétant à voix haute comment était-il possible que la date de sa mort soit inscrite sur la plaque funéraire. Il se disait qu’Ortiz devait se marrer dans son coin, trouvant cela sûrement drôle.
« Toutefois, il y a une chose des plus surprenantes », dit Hippolyte d’un air sérieux tel celui d’un bourreau prêt à s’acquitter d’une condamnation de vie à trépas.
Sa main caressait l’épaule de Julen, la paume lourdement appuyée comme s’il s’agissait de la manette d’une guillotine.
« Je suppose que vous avez remarqué la date du 25 mai 1674, eh bien figurez-vous que le cimetière ne fut bâti qu’en 1880. »
Julen releva la tête et murmura qu’il s’inquiétait surtout d’y avoir lu le sien.
« Un détail intéressant, je vous l’accorde, mais permettez un instant », demanda Hippolyte.
Ma mort annoncée, un simple détail intéressant, il y va fort le boiteux, songea Julen.
Hippolyte lui tournait le dos et ses mains tâtonnaient le long de l’étagère qui tapissait cette pièce si réduite et sombre qu’elle en devenait oppressante. Il prit un premier livre qu’il replaça aussitôt. Puis, il secoua la tête, les mains reposant sur les hanches.
« Où est-ce que je l’ai rangé ? s’écria-t-il avant d’opérer un demi-tour et de se diriger vers l’armoire.
« C’est là, je me souviens maintenant. »
Il monta sur un escabeau d’un équilibre maladroit semblant ne plus porter d’attention à Julen.
« Ah ah ah ! Le voici, juste à côté du bréviaire — Ne feins pas l’amour du Christ ! »
Ne crains pas l’amour des seins réagit Julen en chuchotant.
Hippolyte redescendit, ouvrit un tiroir, attrapa ses lunettes qu’il coiffa sur le nez. Pris d’une étrange exaltation, il traversa la pièce d’une foulée rapide. Il sautillait sur place, agrippait de ses gros doigts les pages les une derrière les autres les faisant défiler à toute allure. À la lumière d’une simple lampe de bureau, il commença la lecture à voix haute. Enfin, il s’arrêta et regarda Julen.
« J’y suis ! En réalité, la chapelle se dressait déjà sur son tumulus, ce qui nous fait deux-cent-six ans d’écart entre la création du cimetière et le tombeau », dit Hippolyte en haussant ses sourcils épais.
De son côté, Julen observait une mine de déterré. Il se redressa d’un bond, respira un grand coup.
« J’ai besoin d’aller marcher.
— Mais pour l’amour du ciel, il pleut des cordes dehors ! »
Julen huma l’air humide qui s’était déjà engouffré dans le presbytère.
« Mon père, il fait plutôt sombre ici. »
Hippolyte, heureux de constater que Julen s’était ravisé, se précipita sur l’interrupteur. L’ampoule grésilla et la salle s’illumina. Puis, Hippolyte revint vers lui et l’entraîna jusqu’au secrétaire par le coude.
« Je vous ai observé depuis votre arrivée dans la cour du presbytère, puis je me suis rendu sous le porche du cimetière pour m’assurer que sous cette pluie battante, vous ne cherchiez pas une aide quelconque. Je me suis inquiété en vous apercevant effondré au pied des grilles de la chapelle, agenouillé dans une flaque, dit-il, Dieu merci, vous n’êtes plus seul, fit remarquer Hippolyte, à tous les deux, nous allons résoudre cette énigme, croyez-moi. »
Julen leva les yeux au ciel, soupira.
« Je dois en déduire que j’ai beaucoup de chance. »
Annotations
Versions