Chapitre 20

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Idri tombait. Il tombait dans le vide, dans l'oubli de cette existence qui décidement n'avait jamais vraiment voulu de lui. Il commença par se débattre pour réaliser qu'on se battait pas contre le vide, il risquait juste plus de souffrance en s'arrachant un bras ou en se fracturant le crâne contre les rochers qui affleuraient la falaise. La corniche d'où Jahro l'avait poussé surplomblait la falaise, de sorte qu'il ne pouvait pas toucher les rochers. Enfin pas encore. Après la panique, il se résigna, et ferma les yeux, pour revoir toutes les images de sa vie et se les remémorer encore une fois.

Son premier souvenir fut le plus récent : la seule fois où il avait ressenti de la colère, une colère intense, quelques heures auparavant, en compagnie de Meera, sous l'effet de la pierre rouge. L'image se teinta de rouge. Il chassa bien vite cette image de son esprit, il avait détesté être en colère, il ne s'était pas reconnu. Le second souvenir qui lui vint en mémoire fut ce moment où, adolescent, il regardait avec envie les enfants du village jouer tous ensemble sur la plage, pendant que lui restait, droit comme un I, aux côtés de son père, comme il convenait à son rang. L'image se teinta d'orange, et sans transition, fit place à un souvenir plus ancien, quand, jeune garçon au cœur rempli d'aventure, il avait découvert avec tant de joie pour la première fois une pierre précieuse dans les roches du volcan. L'image se teinta de jaune et s'évanouit dans un nuage de fumée, supplanté par un autre souvenir, qui s'enchaînaient les uns après les autres sans lien apparent entre eux. Il se souvint de sa peur, chaque jour de sa vie, que son secret soit découvert, et de ce qu'on pourrait penser de lui si cela advenait. L'image se teinta de vert et sans transition, il vit et ressentit sa surprise lorsque son père lui montra pour la première fois la Larme Dorée et lui expliqua d'où elle venait. L'image se teinta de bleu et disparut aussi sec, pour laisser la place à sa tristesse, quand il avait réalisé que sa mère n'était pas morte, mais qu'elle l'avait laissé seul, si seul. L'image se teinta d'indigo. Il se nourrit de ce qu'il ressentait maintenant, un profond sentiment de dégoût qui devint bientôt de l'indifférence quant à ce qui allait lui arriver.

Cela n'avait plus d'importance. Il n'avait jamais été à sa place, et il aurait été vain de continuer sa vie entière à prétendre le contraire. Qu'il la garde sa foutue Larme Dorée, son pouvoir, son trône et le reste ! Il s'en lavait les mains désormais, ce n'était plus son problème. Il se contenterait de mourir en paix, en paix avec lui-même et ses émotions, qu'ils avaient tous essayé de lui imposer soit-disant pour son bien. Il eut un petit regret pour Merra, qu'il commençait à apprécier au-delà de leur mariage faussé par un jeu de pouvoirs dont les règles leur échappaient. Et tandis qu'il chutait, se rappelant de toutes ces émotions qui avaient façonné sa vie, son corps se rappela lui aussi à son bon souvenir.

Alors qu'il pensait s'être débarrassé de tout ce qui le retenait à ce monde, il sentit encore quelque chose. Quelque chose dans son dos, sur ses cicatrices, ces marques honnies de sa bâtardise et de sa dualité, qui l'avaient trahis au moment où il était le plus vulnérable. Ce fut d'abord comme un fourmillement, un petit courant électrique sur les boursouflures. Puis le fourmillement devint douleur, de plus en plus aiguë, de plus en plus pointue, il se sentait découpé. Il se mit en boule pour se protéger de cette nouvelle attaque, qui cette fois était intérieure. Et lentement, avec beaucoup de souffrance, sortirent les ailes. Ses ailes qu'il avait toujours pensé ne pas posséder et dont l'absence avait toujours fait de lui quelqu'un incapable de choisir entre deux camps. Il hurla quand l'accouchement de ces deux appendices fut terminé et se redressa d'un coup. Les ailes s'écartèrent, enfin libres après tant d'années d'emprisonnement dans ce corps qui n'avait pas voulu les laisser sortir, tant il avait refoulé ses émotions au plus profond de lui.

Passé la surprise, Idri sortit de son indifférence: peut être avait-il une chance de survivre après tout ? Est ce que cela n'en valait pas la peine ? Si toutes ces épreuves lui avaient appris quelque chose, c'est qu'il était finalement plus résistant que ce qu'il croyait. Il tenta de bouger une aile mais son contrôle manquait clairement de finesse, et la violence du mouvement le remit aussi sec en position allongée. Mais cela n'eut pas que des conséquences négatives, car alors qu'il ne restait que quelques mètres avant de s'écraser sur la plage de rochers qui bordaient la falaise, sa chute stoppa. Il sentait dans dos on ne peut plus sensible un souffle chaud dans ses nouvelles plumes et comprit qu'il se trouvait dans un courant d'air ascendant. Il avançait doucement dans les airs, et, regardant autour de lui, vit qu'il était arrivé au niveau du passage rocheux menant à l'île du volcan et se trouvait maintenant au dessus de la mer. Il avait dérivé bien loin, Mais ce sursis fut de courte durée, car le courant s'arrêta au bout de quelques mètres et il recommença à chuter. La lueur d'espoir avait été bréve.

Pourtant, alors qu'il pensait que sa dernière heure était arrivée, quelque chose le heurta de plein fouet, l'empêchant de nouveau de s'écraser plus bas. Quand il vit le visage devant lui, il réalisa que c'était pas quelque chose mais quelqu'un ! L'ange était une femme d'âge moyen, à la peau un peu moins foncée que les habitants du village, aux yeux d'un noir profond. Elle avait une expression douce dans le regard mais un peu rigide dans le bas du visage, de sorte qu'Idri se sentait à la fois rassuré et en même temps très impressionné. Ses cheveux longs étaient attachés en une tresse épaisse et descendaient sur le devant de sa robe blanche. Elle le portait comme un enfant, ses grandes ailes grises supportant leurs deux poids comme si ce n'était rien. Son apparition était tellement incroyable et subite qu'il se demanda même s'il n'avait pas raté une étape. Peut-être s'était il finalement écrasé le crâne contre les rochers pendant qu'il rêvassait à autre chose. Ou il délirait encore et la chute finale le réveillerait abruptement de ce doux rêve. Mais quand la femme lui toucha la joue, et murmura les mots tant attendus, il sut que c'était réel.

¬ Mon fils…

Et tandis qu'il se serrait contre elle, s'abandonnant comme jamais il ne s'était ouvert à son père, alors enfin, il pleura.

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