Chapitre II.
— Aïe! criai-je, en reprenant l'équilibre.
Levant les yeux, je vis cet individu si pressé, et j'eus à peine le temps d'ouvir la bouche, qu'il me poussa, et passa devant moi comme si de rien n'était, et dit tranquillement:
— Il faut faire attention où l'on marche ...
Je serrai les dents. Je n'allais pas me faire marcher sur les pieds! Je pris une grande inspiration et ne répliquai rien, car finalement, en y réfléchissant, se faire des ennemis dès le premier jour n'était pas la meilleure des idées!
Appliquant ces bonnes méthodes de savoir-vivre, je détaillai cet énergumène. Il était, soyons honnêtes, plutôt beau, grand et élégant et avait des yeux d'un bleu très froid, ou plutôt l'un, car le gauche était caché par un bandeau noir. Cette couleur particulière tranchait avec celle ébène de ses cheveux bouclés négligemment coiffés en arrière.
Comme il me jetait un regard noir, je sortis pour ne pas avoir la tentation de l'étrangler.
Une fois dehors dans le parc, je pris discrètement le plan du lycée et commençai ce que je redoutais le plus: le déchiffrage. Je n'ai vraiment, mais vraiment pas le sens de l'orientation, et j'ai toujours eu un mal fou à m'orienter, même dans mon ancienne ville!
Hier, j'avais anticipé et l'avais lu et relu, ainsi que le trajet jusqu'au lycée, mais là, ce n'étaient pas des rues, mais des bâtiments identiques!
Courage!
Je devais me rendre à la bibliothèque, qui se développerait à l'autre bout du lycée, pour y rejoindre une certaine Kristina, censée me faire visiter ce labyrinthe.
Le plan plié dans la main par sécurité, je traversai le parc, ruminant contre le jeune homme que je décidai d'appeler «la personne antipathique» en l'honneur de son manque total de civilité.
Arrivée devant la bibliothèque, je poussai la porte (doucement, on ne sait jamais) et entrai.
Une bouffée d'air chaud me parvint, accompagnée d'une odeur de vieux livres.
C'était une bibliothèque d'époque, gigantesque. Des centaines d'étagères couraient les murs, du sol au plafond, de toutes les couleurs, époques et genres.
Il n'y avait aucun bruit, sinon celui des pages qui tournaient et quelques rires lointains.
Un peu écrasée par tous ces livres, je m'avançai dans l'allée principale, jusqu'au bureau du bibliothécaire.
Me voyant arriver, une fille rousse sortit de derrière une étagère pleine à craquer de romans et me demanda:
— Bonjour! Est-ce que tu t'appelles Selena? On m'a dit que tu allais venir à la bibliothèque pour que je te fasse visiter le lycée. Je t'attendais.
— C'est bien toi, Kristina, c'est ça?
Elle fronça les sourcils:
— Oh non, ce n'est pas Kristina, ils t'ont dit ça? Moi, c'est Alvy.
— Mais alors pourquoi m'ont-ils dit que ... Je veux dire, qui est cette Kristina?
— Si tu veux, Kristina, c'est la reine du lycée, la "star de notre classe". Elle est déléguée, donc c'est elle qui est chargée d'accueillir les nouveaux, expliqua-t-elle, mais en réalité, les professeurs demandent toujours à d'autres élèves de le faire parce qu'elle oublie tout le temps. Donc aujourd'hui, c'est tombé sur moi!
Elle parlait avec un léger accent que j'avais déjà remarqué chez mon oncle Kern, qui roule un peu les r.
Relativement petite, elle possédait une magnifique chevelure rousse, qui faisait ressortir ses lèvres pulpeuses, et arborait un visage mobile, parsemé de taches de rousseur.
— Suis-moi Selena, on va aller au réfectoire, ça va être l'heure de manger.
Et, m'attrapant le bras, elle s'élança dehors, en s'exclamant:
— Sais-tu que les deux seules informations que j'avais sur toi, étaient ton prénom et la couleur violette de tes yeux?
Je souris tandis qu'elle riait et nous nous dirigeâmes vers un bâtiment récent, qui devait être la cantine, en parlant de mille et une choses ...
Alvy me raconta les traditions du lycée, comme celle de parrainer les nouveaux élèves, en début d'année, ou celle, qu'elle trouvait très drôle, du « Lá an Mhúinteora », littéralement « jour des professeurs », qui consistait à leur faire des blagues, tout comme le premier avril en France.
Après le repas, elle m'accompagna à mon seul cours de l'après-midi, littérature, et me dit au revoir.
Je me retrouvai donc en littérature, où le professeur ne manqua pas de faire une réflexion sur mes yeux violets, et de décortiquer l'étymologie de mon prénom ...
— Selena, quel beau nom ... issu du grec Séléné, -notez, je vous prie! prénom de la déesse de la Lune, Séléné est la fille d'Hypérion, le feu astral, et de la sœur d'Hélios, le Soleil. On la représente par une pleine lune, et l'un de ses attributs est...
Je m'installai au fond et pensais ...
Alvy m'avait donné rendez-vous le lendemain, en sport. J'étais vraiment contente de l'avoir rencontré, car j'avais eu peur, ce matin, que tous les lycéens de Hafnarfjördur ne soient pas comme la «personne antipathique»!
Pour le lendemain, il me restait des livres à acheter, et quelques-uns que je ne pouvais aller emprunter qu'à la bibliothèque, car ils ont partie d'une édition ancienne, dont tous les exemplaires étaient au lycée.
Les cours terminés, je m'élançai hors de la salle et pédalai jusqu'à la maison de l'oncle Kern, complètement épuisée de cette journée de rentrée.
Demain, maths puis astronomie.
Mais demain est un autre jour.
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