La femme aux mille mélodies

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Il y a très longtemps, dans un royaume d’Afrique noire, une loi fut votée, qui autorisa le Roi à prendre une femme pour maîtresse, si elle contribuait à apaiser le peuple.

Le monarque avait réuni ses ministres et leur avait suggéré que le rôle de sa future maîtresse pourrait être de convertir les plus réticents à adorer leur Roi et leur Reine et d’aller prier pour leur propre salut. Pour cela, elle devrait charmer le peuple. Elle devrait donc être très belle – car le Roi n’aurait que faire d’une maîtresse qui fût laide – et posséder un atout supplémentaire, qui charmerait aussi bien les hommes que les femmes.

Il fut alors organisé une fête où toutes les femmes qui voudraient devenir la maîtresse du Roi pourraient concourir. Trois conditions devaient être réunies : être d’une grande beauté, ne pas être déjà mariée et posséder un talent rare.

Le porte-parole du Roi avait annoncé la nouvelle dans tout le royaume : la fête aurait lieu la veille du retour de la saison des pluies. Cela ne laissait que cinq jours.

Afin d’éviter que toutes les femmes ne se présentassent devant le Roi avec des talents mineurs, le Roi pria sa femme de choisir elle-même les femmes les plus talentueuses, parmi les nombreuses candidates.

Afin de motiver sa démarche, il lui dit :

« Femme, ma réputation et celle de ta famille sont entre tes mains, car si tu échoues, la Cour sera la honte de notre peuple, honte qui retombera sur ta famille pour plusieurs générations. Alors que, si tu choisis les bonnes personnes et qu’une d’entre elles a vraiment le talent de convertir les foules, alors nous allons fonder un royaume qui inspirera les peuples du monde pendant des siècles. Va donc au contact du peuple, Femme. Et sélectionne les meilleures candidates.

--- Bien, Majesté », répondit-elle, non sans inquiétude.

Dans son for intérieur, la Reine se demandait bien ce que les autres femmes pourraient bien avoir qu’elle-même ne possédait pas. Elle était pourtant d’une beauté exceptionnelle et sa voix enchantaient les âmes de ses sujets.

Mais, soit ! Puisqu’il était question de la renommée du Royaume, elle se mit en quête de trouver sa propre concurrente auprès du Roi.

Elle fit annoncer qu’elle se rendrait au marché du village et que sur la grande place, elle sélectionnerait les trois femmes les plus belles et les plus talentueuses, pour épargner un choix trop important au Roi.

En secret, elle espérait pouvoir trouver trois femmes moins belles qu’elles, pour qu’elle reste à tout jamais la femme la plus séduisante du royaume.

Fatoumata avait toujours eu un don pour les arts graphiques. Toute petite, alors qu’elle ne savait pas encore parler, elle dessinait dans le sable des motifs géométriques impressionnants, composés de courbes entrelacées et de lignes brisées, ainsi que des têtes d’animaux fantastiques, qui semblaient sortir tout droit de son imagination fertile.

Puis, alors qu’elle était encore très jeune, elle s’était mise à la peinture, en expérimentant des mélanges de pigments si subtils, qu’elle parvenait à obtenir des couleurs que les adultes n’avaient jamais vues.

Elle peignait des toiles de papier, puis on lui proposa de décorer des maisons. Pas seulement l’intérieur des maisons, mais les murs extérieurs, également. En effet, pour ce peuple, une maison bien peinte était le signe qu’elle était bien entretenue et que la famille qui y vivait était heureuse.

Il était clair qu’elle était la femme la plus talentueuse du royaume.

Malia avait reçu le don de réconcilier les gens autour d’un bon repas. Quand elle apprenait que deux familles se faisaient la guerre, elle s’arrangeait toujours pour les convaincre de s’asseoir à la même table, en leur offrant un repas qu’elle confectionnait elle-même.

Même si les membres des familles ennemies ne voyaient pas l’intérêt de s’attabler face à des personnes qu’ils méprisaient, la promesse d’un bon repas suffisait à les attirer.

Car Malia avait la réputation d’être une excellente cuisinière. Ou plutôt, comme on le disait dans ce village, une excellente « crusinière », car elle ne faisait cuire aucun aliment : pour conserver la saveur de chacun d’eux, elle prenait soin de les abîmer le moins possible. Elle ne préparait aucune sauce qui aurait gâché leur goût. Mais elle savait préparer des plats qui mariaient si bien les fruits et les légumes, que tout le monde raffolait de ses plats végétaux.

Et ses convives retrouvaient instantanément la joie de se sentir vivants. Leurs problèmes quotidiens semblaient glisser sur eux, ils étaient plus prompts à pardonner et à faire la paix.

Il était clair qu’en matière de politique, son talent exceptionnel était indispensable. Elle était donc la femme que le Roi choisirait pour maîtresse.

Inaya était fort belle et elle était d’une incroyable gentillesse. Tout le monde disait d’elle qu’elle avait « un bon fond ». Elle n’était ni intelligente, ni stupide, elle ne faisait rien d’extraordinaire de ses mains, mais elle semblait entourée d’une telle aura, qu’on disait d’elle qu’elle rayonnait. Il suffisait à quiconque de se tenir à ses côtés pour se sentir bien. Toute jeune fille de son âge qui la rencontrait pour la première fois avait aussitôt envie de devenir son amie.

Mais elle sentait bien que cela ne suffirait pas à faire d’elle une concurrente sérieuse, encore moins la femme que le Roi sélectionnerait.

Aussi, elle se rendit auprès du vieux griot du royaume pour lui demander conseil. Ce dernier, après l’avoir longuement écoutée, la conduisit dans une grotte, derrière le palais royal, où les seigneurs avaient l’habitude de se rendre, chaque fois qu’ils avaient besoin que de précieux secrets leur furent révélés.

C’était un risque énorme, car seules les personnes de noble lignée avaient le droit d’y pénétrer.

A l’intérieur de la grotte, se trouvait une femme toute vêtue d’un blanc étincelant, dont ne dépassaient qu’un visage, blanc lui aussi, une chevelure d’or et des chaussures incrustées de diamants. Elle se présenta comme étant l’ange gardienne du Roi.

Après avoir été présentée par le griot, qui s’effaça aussitôt après, Inaya exposa sa requête à l’ange.

L’ange lui dit : « Ma chère enfant, puisque ton but n’est pas d’obtenir des conseils pour faire grossir ta richesse ou pour obtenir le pouvoir de gagner des guerres et puisque tu as l’ambition de rendre les gens heureux, je consens à t’aider à trouver les ressources en toi qui feront émerger ton talent le plus enfoui. »

L’ange pria Inaya de s’asseoir sur une pierre plate. Ce qu’elle fit sans hésiter, même si elle ne savait pas très bien quel était donc ce « talent enfoui » dont elle ignorait l’existence.

La femme aux cheveux d’or posa ses mains sur sa tête, ferma les yeux. Après quelques secondes, elle glissa ses mains sur son cou, puis sur ses épaules.

Quelques minutes s’écoulèrent.

Elle ouvrit alors les yeux et déclara : « Je viens d’être témoin de ton passé, chère enfant. Te rappelles-tu les mélodies que tu fredonnais, quand tu étais petite ?

— Oui, mais c'étaient des mélodies inventées. Je fredonnais tout ce qui me passait par la tête. Et ce n’étaient même pas des chansons, juste de petits airs sans aucun sens. Ne me dites pas que c’est ça, mon talent enfoui ! En quoi cela pourrait-il plaire au peuple ?

— Ainsi, tu ne sais rien du pouvoir des mélodies ? Ne sais-tu pas qu’elles ont une grande influence sur les émotions humaines ?

— Peut-être, mais je n’ai pas une belle voix, quand je chante : même si je chantais les plus belles mélodies de l’univers, ce n’est pas avec ma voix que j’enchanterais les âmes…

— Qui te dit de te servir de ta voix ?

— Vous voulez dire que je devrais jouer d’un instrument de musique ? Je suis désolée de vous l’apprendre, mais je n’ai jamais pris un seul cours pour apprendre à jouer d’un instrument de musique ! Et je pense qu’il serait un peu tard pour m’y mettre : la sélection doit se faire dans quelques jours, je n’aurai jamais le temps… »

L’ange posa un doigt sur la bouche de la jeune fille et lui dit en souriant : « C’est là que j’interviens.

— Comment ? demanda-t-elle, incrédule.

— Avec un peu de magie !

— Vous voulez dire que vous allez rendre ma voix différente, pour qu’elle charme les cœurs ? Désolée, mais même si je n’ai pas une très belle voix, c’est la mienne et je ne désire pas en changer.

— Non, je ne vais pas transformer ta voix, mais je vais te faire découvrir un instrument magique, dont tu sauras jouer spontanément, sans jamais avoir jamais appris à en jouer.

— Et où vais-je trouver un tel instrument ? S’il existait, dans ce village, je crois que je serais au courant ! Surtout s’il permet qu’on en joue, sans qu’on ait besoin de prendre des leçons …

— Inaya, dit l’ange avec douceur, je te conseille de ne pas voir avec tes yeux, mais avec ton cœur. Toi qui as le cœur si sensible, ne ressens-tu pas qu’il existe un lieu invisible à l’œil nu ? Un lieu dont les anges sont les gardiens ?

— Des anges ? Vous voulez dire qu’il existe d’autres anges, tels que vous ?

— Non seulement ils existent, mais ils sont nombreux. Seulement, pour les rencontrer, il te faut faire l’effort de les voir en toi, sans t’aider de ta vue. Pour te permettre de voir en toi, bois cette tisane, que j’ai préparée à ton attention.

— Une tisane ? Préparée à mon attention ? Mais nous ne nous connaissions pas, il y a une heure ! Comment auriez-vous pu préparer quoi que ce soit « à mon attention », comme vous le dites ?

— J’avais senti ta venue, mon enfant. Maintenant, bois. »

L’ange tendit un gobelet en pierre, duquel s’échappait une douce odeur de feu de bois.

Inaya but, les yeux fermés.

Et attendit.

Attendit encore.

Et encore…

Mais comme elle ne ressentait rien d’autre que de l’ennui et de l’impatience, elle ouvrit les yeux.

L’ange n’était plus devant elle. Ni même dans la grotte, visiblement.

Était-ce un rêve ?

Mais tout à coup, elle entendit la voix de l’ange résonner sur les parois de la grotte : « Pour trouver l’instrument magique, tu dois sortir de cette grotte et suivre tes pas, qui te mèneront à une petite hutte, où vit une très vieille femme. Tu t’approcheras de l’humble demeure et tu diras à la femme que tu veux cueillir les fruits du jardin. C’est le mot de passe qui te mènera en un lieu féérique, où seules les âmes pures peuvent entrer. Mais prends garde : si ton âme a encore la moindre tache d’impureté, l’ange noir s’en rendra compte et tu périras.

— Quoi ? Je vais risquer ma vie pour un simple instrument de musique ?

— Non, ce n’est pas un « simple instrument de musique » : c’est l’instrument qui va faire de toi la maîtresse du Roi et la femme la plus influente du royaume. Les mélodies qui sortiront de ton esprit et s’exprimeront au travers de l’instrument magique raviront le cœur de tous les habitants du village et apaisera les âmes. Grâce à ton immense pouvoir, plus aucune guerre n’éclatera. Notre royaume servira de modèle aux autres peuples du monde, qui vivront en harmonie, jusqu’à la fin des temps. Ne crois-tu pas qu’un tel dessein vaut bien le risque d’une seule vie ? »

Inaya sortit de la grotte et marcha selon son intuition, sans savoir où la mèneraient ses pas.

Après plusieurs heures de marche, alors que le soleil commençait à se cacher, elle aperçut une petite hutte, en haut d’une montagne. C’était peut-être le lieu que l’ange lui avait indiqué. Mais point de jardin alentour.

Tant pis, elle était fatiguée ; au pire, elle y passerait la nuit.

Elle frappa à la porte de la hutte. Une femme lui ouvrit la porte.

Elle était très âgée, c’était certain : Inaya n’avait encore jamais vu une personne aussi ridée. Pourtant, il émanait d’elle un certain charme. Peut-être était-elle entourée d’une aura, elle aussi, qui rendait sa compagnie agréable.

Sans se présenter à elle, sans même lui dire bonjour, elle prononça les mots que l’ange lui avait dictés : « Je veux cueillir les fruits du jardin.

— Suis-moi », lui répondit la vieille.

Étrangement, la hutte, qui semblait si minuscule, avait l’air d’être beaucoup plus vaste, comme si les dimensions intérieures étaient beaucoup plus grandes que les dimensions extérieures. Absurde, illogique. Mais Inaya n’en était plus là.

La jeune femme suivait la vieille, qui lui montra une porte vermoulue et lui dit : « Voici l’accès au jardin. Tu vas ouvrir cette porte, marcher quelques mètres dans un couloir qui te mènera à une autre porte que tu ouvriras et là, tu auras le bonheur de cueillir les fruits du jardin. »

La vieille fit demi-tour et laissa Inaya devant la porte.

Pas très rassurée, elle hésitait : pourquoi la vieille ne voulait-elle pas l’accompagner ? Puis elle se rappela ce que l’ange lui avait dit : seules les âmes parfaitement pures pouvaient y survivre. La vieille aurait-elle une âme impure ? Mais dans ce cas, n’était-il pas dangereux de lui faire confiance ?

Alors, elle ferma les yeux et essaya de nouveau de voir en elle-même : elle essaya de se concentrer sur son ressenti. Que lui disait son instinct ? Devait-elle suivre aveuglément ce que lui disaient ces deux femmes, l’ange et la gardienne de la hutte, dont elle ne soupçonnait même pas l’existence jusqu’à aujourd’hui ? Que ressentait-elle ?

À sa grande surprise, elle se rendit compte qu’elle ne ressentait aucune panique. Pas même une petite inquiétude, un soupçon de doute. La quiétude absolue.

Alors elle ouvrit la porte.

Elle emprunta le couloir, dont elle ne voyait pas le bout, tellement il était obscur. Mais elle fit confiance à ses pas, pour la mener à la sortie. Pas de risque qu’elle se cogne, il lui suffisait de marcher droit devant elle.

Mais au bout de ce qui lui semblait dix minutes, elle se rendit compte qu’elle n’avait toujours pas atteint l’extrémité du couloir. Comment un corridor pouvait-il être aussi long ? Quelles dimensions réelles pouvait bien avoir cette hutte, apparemment si modeste ? Inaya se pinçait, persuadée qu’elle était en train de rêver. Mais non : tout ceci était bien réel.

Elle marcha encore une bonne demi-heure, avant d’apercevoir enfin une lueur, loin devant elle.

Enfin, elle gagna l’autre porte, celle qui menait au jardin.

Dès qu’elle toucha la poignée de la porte, celle-ci sembla prendre feu. Inaya lâcha la poignée par réflexe, mais s’aperçut que la porte ne brûlait pas : elle étincelait ! Une porte toute en or pur, avec une poignée incrustée de pierres précieuses, comme la chevelure et les souliers de l’ange.

Elle poussa la porte et écarquilla les yeux : le jardin était somptueux !

Des parterres de fleurs multicolores, des plantes sauvages ornées de papillons tous plus beaux les uns que les autres, des fruits mûrs qui ne demandaient qu’à être cueillis, des collines verdoyantes et un arbre gigantesque, qui rayonnait d’une lumière bleutée. Tout cela en plein jour. Pourtant, à l’entrée de la hutte, il faisait presque nuit.

En fait, non : il ne faisait pas jour partout ! Quand elle regardait les végétaux et les papillons, elle voyait les rayons du soleil qui les faisait resplendir, mais quand elle levait les yeux vers le ciel, elle voyait la voie lactée.

Incompréhensible…

Mais tellement beau !

Et que dire de cette fontaine miraculeuse, qui arrosait les arbres fruitiers !

En s’approchant du grand chêne, elle s’aperçut que la lueur bleutée venait de petits papillons , qui semblaient émettre de la lumière.

S’en approchant encore plus près, elle vit que…

Non… Impossible ! Bouche bée, elle découvrit des femmes minuscules qui , les ailes déployées, s’affairaient à fabriquer de petits objets en tous genres. Chacune d’elles confectionnait un objet différent.

Vu leur taille si petite, Inaya parla avec la voix la plus douce qu’elle pouvait sortir, afin de ne pas les effrayer : « Mesdames, savez-vous où je peux trouver l’instrument magique ? »

Pour toute réponse, un groupe de petits êtres l’entoura et lui fit signe de les suivre. Après quelques dizaines de pas, elle vit un autre groupe fabriquer un curieux objet.

Un objet très petit pour Inaya, mais gigantesque pour les ouvrières : de forme rectangulaire, avec des coins arrondis, l’instrument étaient équipé de fines lamelles métalliques. Ce n’était pas le seul qui était en fabrication : deux autres étaient posés sur un banc en bois, à proximité.

Inaya, sans en demander la permission, se saisit d’un de ces curieux instruments et se demanda comment elle pourrait en jouer, vu qu’il lui était impossible de faire sonner les lames métalliques, comme certains hommes le faisaient avec leurs doigts, quand ils jouaient du mbira, un petit instrument mélodique dont on actionne les lames avec les pouces.

Les lamelles de cet instrument étaient recouvertes de deux capots en métal noir.

Elle essaya de secouer l’instrument, mais aucun son n’en sortit.

Alors, une légère brise fit vibrer les petites anches et des sons merveilleux en sortirent. Elle eut alors l’idée de souffler dedans. Miracle ! Elle avait réussi à sortir d’autres sons. Elle continua à déplacer ses lèvres sur l’instrument, faisant jouer d’autres notes. À bout de souffle, sans détacher l’instrument de sa bouche, elle reprit sa respiration. Et alors qu’elle aspirait une bouffée d’air, elle produisit d’autres sons !

L’instrument magique était capable de jouer des mélodies, au rythme de sa respiration !

Elle remercia les petites ouvrières avec la plus belle révérence et se dirigea vers la porte qui la mènerait au couloir.

« Tiens, se dit-elle, la porte n’est pas ici ? Je n’ai pourtant pas beaucoup marché, la porte devrait se trouver à cet endroit. »

Elle inspecta le jardin, de long en large, mais ne trouva aucune porte. Un peu estomaquée, elle s’assit sur un banc de pierre et, alors qu’elle dirigeait son regard vers la pelouse, elle vit une trappe en bois, sur laquelle était écrit, à la craie blanche, le mot « SORTIE ».

Elle se leva, se dirigea vers la trappe et l’ouvrit. Elle découvrit un escalier en pierre, qu’elle emprunta. Vu que l’escalier descendait, elle comprenait mal comment elle pourrait rejoindre le lieu d’où elle était entrée dans la hutte. Mais après tout, puisque la hutte était en haut d’une montagne, peut-être l’escalier la ramènerait-elle directement au village.

Il n’y avait pas beaucoup de lumière, alors elle commença à prendre peur. Et si c’était une fausse issue ? C’est alors qu’elle se rappela que l’ange lui avait dit qu’elle risquerait sa vie…

Elle décida alors de faire demi-tour, mais arrivée tout en haut de l’escalier, elle s’aperçut que la trappe avait disparu.

« Seigneur, se dit-elle, dans quel pétrin me suis-je fourrée ? »

Apeurée mais résignée, elle redescendit l’escalier.

Tout en bas, elle découvrit une nouvelle grotte, dont l’entrée était une sorte de salle immense, entourée de murs gigantesques, de stalactites d’où tombaient de fines gouttelettes d’eau.

Un être étrange, tout vêtu de noir, se présenta devant elle. Un être qui ressemblait aux ouvrières du jardin, mais dont les ailes étaient d’un noir profond. C’était un homme à la peau noire, avec des yeux perçants, dont les pupilles étaient étrangement rouges.

Contrairement aux ouvrières, il était immense. Bien plus grand que tous les hommes qu’elle connaissait.

D’une voix rauque et grinçante, l’homme lui lança :

« Tu oses t’aventurer dans ma demeure ! Sais-tu qui je suis ? »

Sans attendre de réponse, l’ange noir poursuivit :

« Cet endroit est tenu secret depuis des siècles et tu oses le profaner ! Tu le paieras de ta vie ! Je me présente : je suis Pazuzu, le Roi des Démons du Vent. Je viens de loin et je vis depuis la nuit des temps. Je suis le Vent Maudit, le Souffle Destructeur qui anéantit les peuples dont l’âme est impure, mais aussi le Maître Protecteur des esprits purs. Mon rôle n’est pas de punir les êtres humains, mais d’anéantir les sous-hommes, pour que la Terre abrite des êtres supérieurs, doués de sagesse et de bienveillance. Jusqu’à présent, seuls quelques êtres ont su prouver qu’ils étaient naturellement bons. »

La jeune femme tremblait de peur…

Et comme si cela ne suffisait pas, Pazuzu lui montra du doigt une voie, entre les rochers, qu’il ordonna à Inaya d’emprunter. Après seulement quelques pas, elle vit un amas impressionnant d’os humains.

« Voilà ce qu’il reste des êtres qui ont osé pénétrer ma demeure. Comme tu peux le constater, ils sont très nombreux à tapisser les murs de mon antre. Si ton âme n’est pas pure, tu logeras dans une de mes caves, où ton corps se putréfiera, jusqu’à ce qu’il ne reste que des os, que j’entreposerai avec les autres. »

A ces mots, un vent très violent souffla sur elle, qui la projeta au loin.

Sentant ses forces l’abandonner, ses membres engourdis, une douleur forte à la poitrine, elle supplia, dans un ultime cri : « Comment puis-je vous prouver que je suis une âme pure ? »

L’Ange du Mal lui lança :

« Pour sauver ta propre vie, tu dois choisir celle que tu veux sacrifier. Pas un animal, encore moins une plante : désigne-moi une vie humaine ! Mais attention, ne choisis pas une personne dont l’âme te semble pure. Si tu te trompes, tu auras montré que tu es toi-même impure et tu finiras comme la personne que tu auras désignée. Je te laisse cinq minutes de réflexion. »

À ces mots, l’ange du Mal disparut dans un souffle.

Elle réfléchit à tout vitesse : sacrifier une vie humaine ? Une personne qui méritait de mourir ? Bon sang, mais qui choisir ? Et était-ce à elle d’en juger ? Et si elle se trompait, elle risquait non seulement de faire tuer un innocent, mais de se faire tuer elle-même…

Et comment allait-elle vivre, son instrument magique avec elle, sachant que, pour cela, elle aurait dû sacrifier la vie d’un être humain ?

Elle allait sans doute être punie à vie de son orgueil : comment avait-elle pu oser se présenter à l’élection de la femme la plus belle, la plus talentueuse, la plus influente du royaume ? Sa première influence allait être de faire tuer un de ses semblables… Pour la pureté d’âme, on repassera…

Non, elle ne pouvait se résigner à accepter un tel marché.

Alors, abandonner son rêve ? Abandonner l’instrument magique, qu’elle était venue chercher, au péril de sa vie ? Il le valait encore mieux.

L’ange diabolique réapparut devant ses yeux et lui demanda : « Qu’as-tu décidé ? Qui vas-tu me désigner ?

— Je ne suis pas d’accord, lança-t-elle. Je préfère abandonner ce que je suis venu chercher. Tant pis si je dois tout oublier. Après tout, grâce à vous, j’ai compris que ma motivation orgueilleuse n’était pas pure. Je regrette sincèrement de m’être laissé entraîner. Je choisis de mener une vie normale, sans essayer de me montrer supérieure aux autres.

— C’est très louable de ta part, mais tu n’as pas le choix : pour sortir d’ici, tu dois sacrifier une vie humaine.

— Très bien ! N’importe quelle vie humaine, vous m’avez dit ? Alors, j’ai choisi : moi-même ! Je préfère me sacrifier, plutôt qu’imposer mon choix funeste à un innocent ! De toute façon, je ne pourrais pas vivre avec le sentiment d’être devenue une meurtrière.

— Es-tu sûre de ton choix ? Car, dès que j’aurai lancé mon sort, tu ne pourras plus revenir en arrière !

— Êtes-vous sourd ? hurla-t-elle. Jamais je ne désignerai la moindre vie humaine, autre que la mienne ! »

Aussitôt, un vent frais entoura la jeune femme, qui retrouva l’usage de ses membres, fit disparaître la douleur qui enserrait sa poitrine. Dans le même temps, la silhouette de Pazuzu se déforma, se courba, ses ailes disparurent dans son dos, son visage se féminisa et se rida… En quelques secondes, c’est le corps de la vieille femme qui l’avait accueillie à l’entrée de la hutte, qui lui apparaissait.

« Mais, mais… Qui êtes-vous donc ? Et quelle est cette magie ?

— En te désignant toi-même, tu as réussi à prouver la pureté de ton âme, ma chère enfant. Tu as su faire preuve de sacrifice, de bonté et de courage. En tant qu’ange gardienne du Roi, j’affirme que tu es digne de repartir avec l'instrument magique.

— Vous, l’ange-gardienne du Roi ? »

Un simple claquement de doigts et la vieille femme prit l’apparence de de l’ange à la peau blanche, à la chevelure d’or et aux pieds de diamants.

Nouveau claquement de doigts, Inaya se retrouva sur la place du marché, devant la Reine, qui la désignait du doigt, en lui disant : « À ton tour, mon enfant, montre-moi quel est ton talent. »

Sans réfléchir, Inaya porta l’instrument à sa bouche et improvisa quelques mélodies.

À sa grande surprise, les sons qui s’élevaient dans les airs se mariaient harmonieusement. Sans qu’elle eût besoin d’apprendre à jouer de l’instrument magique, ainsi que l’ange l’avait prédit, elle ravissait les oreilles de la Reine.

Tellement subjuguée par de si belles mélodies, qui ravissaient son cœur et son âme, elle décida, contrairement à ce qu’elle avait annoncé, qu’Inaya serait la seule femme qu’elle désignerait, digne de devenir la maîtresse du Roi. Ainsi, la Reine garderait à ses côtés la merveilleuse musicienne.

Le Roi fut évidemment conquis par le charme qui se dégageait de la jeune instrumentiste. Il en pleurait de joie. Il n’était pas le seul : toute la Cour était émue. Et les villageois qui étaient présents à la fête se prenaient dans leurs bras. De mémoire d’Homme, jamais on n’avait vu une telle camaraderie.

Comme il fallait donner un nom à cet instrument, qui avait le pouvoir d’harmoniser les notes, les cœurs et les âmes, le Roi le nomma « harmonica ».

On ne sait plus grand-chose aujourd’hui de ce royaume qui devait inspirer la paix sur Terre. Par contre, le souvenir de la première harmoniciste est encore bien présent. En Afrique du Sud, on lui donne encore le nom de « Mwanamke wa nyimbo elfu », « La femme aux mille mélodies ».

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