Chapitre X
- C'est d'accord ! Seize heures trente !
Sur ces mots, Pandora se faufila entre nous, et disparut dans la cour sans se retourner, sautillant de joie. Sidérée, Cindy la regarda s'éloigner, puis s'effacer à l'angle des bâtiments, puis nous dévisagea de conserve, pointant la direction de la jeune femme du doigt.
- C'était qui ce canon ?
Il y eut un court blanc, où nous nous regardâmes, jaugeant chacun avec apréhension. Cindy et Solal me jugeaient sans rien comprendre à la situation, super. L'Arabe brisa le silence.
- Pandora, vraisemblablement ... Lança t'il à tout hasard.
Le hamster orange fronça les sourcils en entendant mon ami, sortant son paquet de tabac de sa poche. Elle en tira un filtre, qu'elle coinça entre ses lèvres, et une feuille slim. Une de ses mains plongea dans le tabac, en ressortit une pincée, et l'étala dans le petit bout de papier, tout en continuant de me dévisager.
- Pardon ?
- Pandora ... La succube avec qui j'ai pactisé ... Continuai-je, savant pertinemment que personne ne me croirait.
- Hein ?!
Solal m'adressait un regard perdu, faisant des yeux aussi ronds que des billes. Il fronça lui aussi ses sourcils brousailleux, croisant les bras sur son large torse, et adossant son imposante carrure contre quelques casiers, attendant la suite de mon improbable récit, auquel il croyait autant qu'à l'existence des Xénomorphes.
- ... Par erreur.
- Tu te fous de ma gueule !
Cindy pouffait presque dans son survêt, et manqua par la même occasion de perdre son filtre. Elle jura dans sa barbe avant de reprendre son activité, appliquée dans le moindre de ses gestes. Tout ce petit manège commençait à sérieusement me casser les pieds. Je comprenais que personne ne me croit, mais repasser le même CD en boucle, ça me casse les noix. Je soupirai.
- En tout cas, sacrément canon ta démonne ! T'aurais pu partager au moins, pour le plaisir des yeux !
Je levai les yeux au ciel. Il ne perdait pas le nord, l'Israëlien. Et il ne voyait absolument pas où était le problème, apparemment. Je me résolvais à ne pas lui répondre de conneries, trop fébrile pour sortir des pics dignes de ce nom.
- Demandez à Mei et Pierre si vous ne me croyez pas ! Et si c'est toujours le cas, passez demain soir à l'appart après les cours.
- Je te crois pas ! Riait Solal, qui s'était redressé pour me foutre une claque sur l'épaule.
Son geste manqua de me faire tomber. Il ne mesurait pas sa force, et j'étais une brindille comparé à lui, accessoirement. Evidemment que ma parole n'avait aucune valeur comparée à celle de Sainte Pandora. Il ne pensait pas avec sa tête, ce bougre d'idiot, et n'avait vu en cette petite peste que la plastique parfaite et le petit jeu de séduction. En mon fort intérieur, j'espérais quand même que ce grand gaillard l'épuise suffisemment pour qu'elle me fiche la paix quelques temps. Il se fichait de moi ouvertement, faisant de moi la risée de ces deux trous du cul.
- Tu demanderas à Thomas alors. Grognai-je, vexé.
Le hamster, qui s'était détournée, pour sortir et partir fumer sa roulée, se retourna finalement vers moi, perplexe. Sa cigarette, coincée entre ses dents, lui donnait des airs de racaille de quartiers. Sa posture n'arrangeait rien, pour ainsi dire. Mains enfoncées dans les poches de son jogging, jambes écartées comme si elle s'était fait dessus, bassin en avant et capuche sur la tête.
- T'as réussi à l'invoquer ?! Alors ça marche vraiment, l'Illèsque quifoulecamp ?
- Ilex aquifolium pour l'amour d'Elohim ... Jura Solal.
Elle nous exténuait tous les quatre, avec son analphabétisme botanique. Cindy avait beau faire un CAP paysagime au bahut, la seule chose qui l'intéressait, c'était les bagnoles. Malgré tous nos efforts avec Pierre, Solal et Mei, nous n'étions parvenus qu'à lui faire apprendre et reconnaître le Satyre Puant - Où Morille du Diable - un champignon à la forme phallique, parce que son nom latin était réellement Phallus impudicus ... Nous avions jeté l'éponge depuis ce fâcheux constat. Mais force était de reconnaître que notre amie orange était imbattable en mécanique, en conduite d'engins en tous genres, et en terassement - ce qui nécessite de faire des trous partout, et elle adorait ça, faire des trous.
- Ne me parlez plus jamais de houx. Marmonnai-je, me rappelant des paroles de Pierre, et que cette satanée plante était sans doute le point de départ de tous mes problèmes.
- Bah ... Pourquoi ? Lançait Solal, qui avait presque perdu le fil.
Il avait la tête ailleurs, sans doute en train de penser à des choses obscènes. Je n'avais pas vraiment envie de savoir quoi, vue la tête d'ahuri qu'il nous offrait. Je chassais cette idée de ma tête.
- Trop long à expliquer. Et oui, j'ai en quelques sorte réussi à l'invoquer, mais maintenant, il est coincé ici, grâce à ta chère Pandora, qui, accessoirement, veut se payer mon cul.
Un ricanement sortit de la gorge de mon ami. Apparemment, il aurait aimé être à ma place. Je commençais à connaître mon collègue et ses goûts sur le bout des doigts. Ce n'était pas pour rien qu'il se faisait Mei, d'ailleurs, et je ne le comprenais que très bien. Cependant, la réplique que s'apprétait à me balancer Solal se fit coiffer au poteau.
- Bah alors ? Je vois pas où est le problème à se faire plaisir... En plus, si la dame est d'accord ... Lança Cindy en haussant les épaules.
- J'avoue Olivier, t'aurais pu la prendre contre les casiers si je n'avais pas été là. Rebondit Solal.
Non mais c'est pas vrai ! Où sont passés le respect et le consentement en ce bas monde ?! En tout cas, ils n'étaient pas dans les parages. Je baissai les bras, au sens propre comme figuré.
- Merci Solal, ta perspicacité m'aide beaucoup. Allez, on vas graille.
Sur ces mots, je passais devant mes amis, et ouvrais la porte du hall, sortant dans l'air humide de la cour pavée. Je bifurquai à droite, passais devant les bâtiments du lycée et retournai vers le foyer. Mes amis sur les talons, je cherchais du regard la silhouette de Pandora, mais ne la trouvai pas. Partagé entre la déception et le soulagement, je poussais la porte à double battants de la salle, et laissais passer Solal et Cindy devant moi. Celle ci termina sa roulée d'une traite, en une quasi totale inspiration, et écrasa le mégot au sol.
Nous partîmes directement à notre place, et je reprenai la même posture nonchalante sur ma chaise, sortait mon téléphone et ouvrais l'application Instagram, faisant défiler le fil d'actualité d'une main, l'autre tenant ma fourchette alourdie par un nem encore fumant, bien heureusement. Je sentais sur moi les regards interrogateurs de mes camarades, qui finissaient leurs assiettes.
- Mec, ça vas ? T'es parti pour quoi ?
- Rien de spécial, j'avais zappé un truc dehors. Mentais-je, absorbé par une vidéo de hérisson.
Je ne vis pas tout de suite le regard vicieux de Cindy, et je ne pus donc pas la faire taire avant qu'elle ne déblatère une énième connerie. Elle haussa les sourcils, et, un sourire mesquin scotché aux lèvres, elle balança.
- Ouais, un truc avec une paire de fesses !
Je failli m'étouffer avec mes chinoiseries. Les morceaux de porc me brûlant le fond de la gorge, j'avalais de travers , et fit passer le tout avec une grande gorgée d'eau. Le visage rougi par le manque d'oxygène, je toussais en lui répondant.
- Putain Cindy, tu pourrais pas fermer ton claque merde ?
- Roooh ça vas ...
Devant nous, les autres gars me fixaient avec des yeux ronds et un visage surpris. Je ne parlais pas de mes aventures avec n'importe qui. Et personnellement, ce genre de discussion me gavait. Même si j'étais friand de ce genre de ragots, du moment qu'ils ne me concernaient pas. Ici, ce n'était pas le cas.
- J'y crois pas ! Olivier a une sexualité ?! Hurlait presque Anthony.
Tous s'étaient redressés sur leurs chaises, Sarah et Elora étaient subitement très intéressés par la conversation, et avaient cessé leurs caquètements pour me dévisager à la manière de deux pigeons.
- Fais attention à ce que tu racontes Antho.
- Mec, on t'as jamais vu avec une fille, on commençais à se poser des questions. A ce rythme là, soit t'es curton, soit t'es gay, soit t'es con. Rebondissait Dam's, moqueur.
- Perdu, déso.
Les gars commençaient à être lourds, et ça me fatiguai. Je ne levais pas les yeux de mon téléphone, et continuais de m'émouvoir sur des vidéos de loutre, de chatons où de gens stupides qui se cassaient la gueule.
- Il est trop chaste, Lauzel.
Je levais un oeil de mon écran, et jettai un regard noir à Sarah. Celle ci devint rouge comme une tomate, et se tut instatanément. Si elle savais ce que je faisais aux rares personnes qui m'intéressaient, elle fermerait bien son caquet. Mais là n'étais pas la discussion, et je priais pour qu'elle en reste là.
- Je ne suis pas chaste, disons que je ne force pas le destin. Contrairement à certains ... N'est-ce pas ?
Un rictus satisfait me fendit le visage, et je scrutai, accusateur, Solal à ma gauche. Celui ci retroussa le nez, farfouillant dans son tupperware, à la recherche d'un morceau de bidoche entre la crème frâiche et les pâtes au pesto. De mon côté, je retournai à mes hérissons.
- Je ne me prononcerai pas non plus sur le sujet ... Mais en tout cas, si tu veux pas te charger de Jessica Rabbit, je me dévoue pour la bonne cause. Il laissa passer quelques secondes, perplexe et absorbé par sa fourchette. T'as de la merde dans les yeux, Olivier. Y'en a plus d'une qui bavent sur toi, si tu veux mon avis.
- Je t'ai pas sonné, Numérobis. Retourne à tes chameaux.
Décidément, je ne pourrai pas me divertir avec des animaux trop minions ce midi. Je verrouillai mon téléphonne, et le fourrai dans ma poche, avec mes mains, toisant mon ami de mon regard le plus pénétrant.
- Pour la France, hein ? Lança Cindy à Solal, en se léchant les doigts.
- Ouais, pour la France très chère.
Quelques instants passèrent, rithmés par le bruit des couverts dans les tupperware, et le bourdonnement des voix dans le foyer.
- Comment ça, " Jessica rabbit " ?
- Laisse tomber, Louis.
La sonnerie retentit bien vite, et je partis avec Solal en direction du hangar où nous avions garé le tracteur, une tasse de café fumant à la main.
La journée se passa comme à l'accoutumée, battue par la pluie et les éclaircies, les passants et les chiens, les remarques et taquineries de Solal. Seize heures trente arriva trop vite à mon goût. A peine ai-je eu le temps de voir le temps passer que nous avions terminé.
Je me rhabilliais décemment dans les vestiaires du parc, prenais mon sac et le balançai sur mes épaules, Solal partant en tête, visiblement pressé d'arriver au portail, où Pandora l'attendai sûrement. Cela ne loupa pas. La tête cramoisie de la démonne luisait comme un néon dans la nuit, et elle nous attendais bien devant le portail, à la sortie du lycée, discutant avec Cindy, à notre plus grand étonnement. Nous arrivâmes à sa hauteur bien vite, et elle nous adressa un regard de braise, se désintéressant du hamster.
- Solal, finalement, je ne vais pas pouvoir venir avec toi. Mais on se retrouve demain soir chez Pierre, non ?
Je beuggai.
- Pardon ?!
Parralèle, Chapitre X - A suivre ...
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