La vue est magnifique, bien qu'énigmatique. Nous ont-ils emmenés dans un autre pays ou sommes-nous toujours sur le territoire français ?

Je soupire et me retourne vers Junior, qui relit minutieusement le règlement.

_Tu comptes le relire combien de fois ? Tu penses que des lignes imaginaires vont apparaître peut-être...

Son regard passe du livret à mes yeux. Il a ce regard spécial : celui qui impose un certain respect, de la sécurité, mais aussi une bienveillance sincère.

_Je préfère le lire plusieurs fois, sait-on jamais si quelque chose me saute aux yeux.

Je soupire et m'assois à ses côtés, ne sachant pas vraiment ce que l'on est censé attendre. L'horloge indique 11:23, et je dois avouer que mon ventre émet un grondement mécontent. Ce qu'il ne manque pas de faire savoir à mon voisin. Junior rigole et me montre une partie du règlement que je n'ai pas lu. Je devrais sérieusement songer à le lire.

"Les repas

Petit déjeuner : 7:30 à 9:30

Déjeuner : 11:30 à 13:30

Dîner : 20:30 à 22:00 "

_Génial...

...

Lorsque arrive 11:30 -et donc l'heure du repas tant convoité- une alarme retentit dans tout le centre tandis que les portes s'ouvrent automatiquement. Je me lève d'un bond et fonce vers la sortie. Dans le couloir, un défilé d'hommes et de femmes se ruent au même endroit. Sans trop me poser de questions, je les suis. L'occasion serait parfaite pour s'enfuir, les gardes ne pouvant contrôler l'assemblée affamée. Mais c'est une idée que je garde dans un coin de ma tête, il me faut de l'énergie pour la suite.

Nous entrons dans une immense salle : une cantine où tables et chaises sont disposées un peu partout. Quelqu'un me tire le bras. Il s'agit de Junior.

_Je suppose que nous devons faire la queue comme tout le monde, dit-il en désignant une longue file.

_Tu supposes bien ! Réponds une voix inconnue.

Nous nous retournons simultanément vers notre interlocuteur qui n'est autre qu'un jeune homme. Mes yeux se posent directement sur son poignet sans trop savoir pourquoi, mais son numéro est imperceptible, ce dernier étant couvert d'une manche trop longue.

_Enchanté, je m'appelle Jeremy. Je vois que vous êtes tout nouveaux ici !

_Enchanté également, nous sommes arrivés aujourd'hui, répond Junior.

_Dans ce cas, je me propose de vous aider à trouver vos repères. Comment t'appelles-tu ? Demande-t-il à mon effigie.

_Ilana.

_Par contre, je dois vous prévenir qu'ici les noms sont interdits, donc faites attention à qui vous parlez. Moi, je suis de la dernière "chasse" alors ça va, mais les plus anciens sont différents.

Chose que j'avais remarquée quelques heures plus tôt. Jeremy me le confirme donc, ce qu'il s'est passé tantôt n'était pas un cas isolé.

_Alors appelle-moi 501, dis-je par peur des représailles si l'on nous écoute.

_Entre nous, je préfère utiliser nos prénoms. Profitons-en tant que nous le pouvons encore... Dit-il dubitatif.

J'arque un sourcil tout en marchant vers les plateaux qui s'offrent à nous. Il a beau être "récent", il a l'air d'en savoir beaucoup. Sa qualité d'observateur et sa facilité à engager la conversation doivent y être pour quelque chose. Je dois donc me rapprocher de lui afin de lui soutirer ses informations.

_Et sinon, Jeremy, où se trouve ta partenaire de chambre ? Demande soudainement Junior.

_Oh, elle est là-bas !

Il désigne une fille plus loin, qui semble s'être déjà familiarisée avec le lieu car elle papote avec d'autres filles.

_Mais elle n'aime pas trop être avec moi, alors dès qu'elle peut sortir retrouver d'autres personnes, elle fonce.

En silence, nous continuons la queue et nous nous dirigeons vers une table. Après quelques minutes, la partenaire de Jeremy s'installe avec nous. Elle le regarde avec mépris et n'adresse la parole à aucun de nous. Sympa.

_Il y a un problème ? Demande Junior sans une once de retenue.

_De quoi tu te mêles ? Répond-elle agressivement.

_Woaw, du calme ! Je posais seulement une question.

Elle se redresse de sa chaise, agacée par la situation. Si un regard pouvait tuer, nous ne serions d'ors et déjà plus en vie. Jeremy la retient par le bras, la conjurant du regard.

_Ne refais pas une scène Agathe, je t'en supplie.

"Agathe" se rassoit, les poings fermés puis se concentre sur son repas avant de repartir. Devant nos airs ahuris, notre nouvel ami se sent contraint d'expliquer la situation.

_Elle ne supporte pas de coucher avec moi. Je ne suis pas vraiment le problème en réalité... Elle n'aime juste pas les hommes. Et cette situation est vraiment pesante pour elle, mais je ne devrais pas en parler.

Sa révélation me laisse bouche-bée. Les fondateurs de ce centre ont eu l'audace de ne pas se renseigner sur les préférences sexuelles ? J'imagine qu'elle n'est pas la seule, j'en suis même convaincue... Je suis écoeurée. Devoir avoir des relations sexuelles sans y consentir est déjà répugnant, mais alors là, on touche le fond.

_Elle a déjà fait une scène auparavant ? Je demande.

_Oh oui, elle s'est battue avec une fille avant de tenter de s'échapper.

S'échapper ? La conversation est de plus en plus intéressante. J'ouvre bien grands mes oreilles et ma curiosité me pousse à poser des questions.

_Et pourquoi n'a-t-elle pas réussi ?

_Nous sommes surveillés de partout, que ce soit par les gardes, les chasseurs, et même ceux qui tiennent les rênes.

_Plus haut ? S'étonne Junior.

_Ceux qui contrôlent ce centre et qui nous observent par l'intermédiaire des caméras.

Comme pour appuyer ses mots, il pointe du doigt un tout petit trou dans le plafond.