Un étrange message

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Une correspondance s'était peu à peu installée entre lui et moi, il me posait tous les jours des questions, bref il se croyait sur Meetic. La plupart du temps, j'éludais ses interrogations car je ne tenais pas à compliquer ma vie. Elle était suffisamment riche comme ça. Je n'avais pas encore d'employé, je ne pouvais pas me le permettre financièrement. Mais de toute façon, cette idée ne m'enchantait guère. J'hésitais à avoir quelqu'un dans mes pattes. Je ne me voyais pas donner des ordres, établir un programme de la journée, prévoir des réunions. Ce n'est pas comme cela que je voyais mon travail. J'aimais dire que je savais tout faire et pour l'instant, je gérais plutôt bien, si on oubliait le vol de mon chien. Je le voyais parfois en rêve, cela me tracassait vraiment, mais je n'y pouvais plus rien. Désormais je devais aller de l'avant.

J'avais réalisé le panneau à l'entrée. Je m'étais procurée un tronçon de bois assez lisse sur lequel j'avais gravé avec un kit de pyrogravure que j'avais acheté : "Le refuge de Wanda" en jolies lettres gothiques. Je l'avais pris en photo et mis en page d'accueil de mon site internet.

Toute la journée, je me consacrai aux tâches ingrates : nettoyage des box, brossage des chiens et bien sûr, promenade. C'était la partie la plus sportive de ma journée, car je les sortais tour à tour, pour qu'ils puissent profiter seuls d'une balade dans les champs. Ils gambadaient, se roulaient par terre, sautaient sur les pneus et les troncs d'arbres que j'avais disposés exprès. Une sorte de parcours d'agility fait maison. Ils appréciaient bien ce moment rien qu'à eux, je les prenais en photo pour faire un album qui les montrait à leur avantage, car le but était quand même qu'ils trouvent une famille d'accueil.

Le plus vieux, un bouledogue mâle de sept ans, assez placide, ne montrait guère d'entrain lors de sa sortie en extérieur. Il me faisait de la peine. Il ne fallait pas que je m'attache trop à eux, mais le temps passé à m'y consacrer créait évidemment une grande complicité. J'aimais leur reconnaissance, leur affection indéfectible, leur fidélité à toute épreuve.

Grâce à cette activité intense, je gardais la ligne. Depuis mes seize ans, je pesais toujours cinquante kilos pour un mètre soixante-cinq, mes jambes étaient musclées, mes bras soulevaient chaque jour des poids, je transportais des caisses, je sciais du bois pour mon poêle, donc j'avais une allure plutôt dynamique. Je manquais certainement de féminité, ma mère me le reprochait souvent, elle qui passait de heures à coiffer mes longs cheveux roux lorsque j'étais petite. Elle choisissait mes tenues pour l'école avec soin, me payait des habits de marque. J'étais toujours impeccable, elle me mettait des noeuds dans les cheveux, je portais des collants brillants et des bottines en cuir. J'aimais bien, mais je préférais vraiment les débardeurs informes que je portais depuis au quotidien pour aller m'occuper des chiens. Ils recouvraient ma poitrine absolument plate. Je ne faisais plus d'effort pour mettre un soutien-gorge.

Si quelqu'un arrivait inopinément, j'attrapai un gilet et me couvrait pour ne pas choquer ceux qui se rendraient compte que je n'en portais pas. J'adorais sentir le tissu sur ma peau, je n'avais pas de marque sur ma poitrine, c'était bien sûr le seul avantage. Je portais sept jours sur sept un jean élimé que j'avais acheté il y a deux ans, et lorsque je le lavais, il était remplacé par un autre pantalon slim noir, un basique que j'affectionnais. J'avais acheté des bottines style Timberland, elles avaient une semelle crantée, maintenaient bien la cheville, c'était parfait pour les activités que j'avais à effectuer du matin au soir.

Mes beaux cheveux roux étaient noués au dessus de ma tête au moyen d'un élastique. Avant de me coucher, lorsque je les dénouais, j'éprouvais un certain soulagement. C'était la seule concession à ma féminité. Garder les cheveux longs était important pour moi. Ils recevaient des soins particuliers, je les lavais chaque soir car j'étais couverte de poussière à la fin de la journée.

J'étais dans un sale état le soir, lorsque tout était enfin rangé car dès le matin les chiens me bavaient dessus. Je jouais avec eux à la balle. Au bout de quelques minutes, elle était recouverte de salive. Bref, j'étais persuadée qu'on pouvait me sentir à cent mètres car même lorsqu'il faisait froid, je transpirais. J'adorais sentir mes muscles endoloris par les travaux extérieurs, cet épuisement sain qui m'empêchait de penser à des choses tristes, comme, par exemple, la mort soudaine de mon père, d'une crise cardiaque foudroyante lors d'un match de football.

Je m'étais retrouvée sans mon papa chéri à l'âge de quinze ans. C'est un peu pour lui que je faisais tout ça, lui, l'amoureux des animaux, qui avait été bénévole dans un refuge lorsque nous habitions Nantes. Il aurait été fier de moi.

La douce lumière du mois de novembre s'amenuisait à l'horizon, les jours étaient plus courts. À dix-sept heures, j'enfilai mes chaussons fourrés et me calai devant le poële, l'ordinateur sur les genoux, prête à répondre à mon courrier. Ce soir-là, la tasse m'échappa des mains, un drôle de pressentiment s'abattit sur moi, la lecture du message du blogueur me saisit d'effroi.

"Tu ne devrais pas te balader sans soutien-gorge, un peu de décence, mademoiselle."

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