Du pain et des jeux 

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Mesdames et Mes­sieurs, oy­ez, oy­ez la geste de nos Jeux !

Que rugisse en nos cœurs le feu sa­cré des mots !

Que je vous dé­cline, en vol­tige et en fou­gue, la chro­nique de ce grand spec­tacle d’inhuma­ni­té !

Sous les feux des pro­jec­teurs, les aya­tol­lahs de la pen­sée unique nous ont ser­vi leur prêchi-prê­cha. Fiers ca­queteurs de la vertu, ils ont fait la roue, de la pail­lette au pu­ri­ta­nisme, nous lais­sant pan­tois de­vant tant de va­cui­té dé­gui­sée. Tra­ves­tis en gen­darmes du pro­grès, ils ont pié­ti­né sans ver­gogne les oripeaux de la dif­fé­rence. Ô Sainte Bien­pen­sance, vois tes ouailles s'égarer dans les limbes de l'uni­for­mi­té !

Mais le cirque ne se­rait rien sans sa ména­ge­rie de fauves, ses hé­ros aux corps sculp­tés pour l'ex­ploit. Sur le sable de l'arène, nous les avons vus dé­fier les dieux de l'Olympe, re­pous­ser les li­mites de l'hu­main trop hu­main. Su­blimes bêtes de scène, gymnastes de l'im­pos­sible, ils nous ont arra­chés à nos mi­sé­rables exis­tences de lâches. De Casablanca à Los An­geles, leurs noms scin­tille­ront à ja­mais au fir­ma­ment de la lé­gende ou bien orneront les poubelles de nos mémoires ankylosées !

Ne soyons pas dupes de ces ru­ti­lances. Là-bas, aux confins des gra­dins, en­ten­dez-vous la sourde plainte des dam­nés ? Là-bas, au-delà des feux de la rampe, rôde l'infâme réa­li­té. C'est Gaza l'éventrée, Hiro­shi­ma des temps mo­dernes, qui hurle à nos portes. C'est l'horreur ab­so­lue, nue, ir­ré­fu­table, qui dé­borde de partout tel un étron sur la moquette immaculée de nos illusions. Qu'ils sont laids, qu'ils sont tristes, ses clowns dé­char­nés aux gri­maces de souf­france ! Pour eux point de mé­daille, juste les stig­mates de la ty­ran­nie...

Ah elle est belle, la grande ker­messe olympique ! Elle est belle, cette gigan­tesque par­tie de bonneteau où l'on cache la misère du monde sous les guir­landes et les cotillons ! Voilà la face hi­deuse de nos Jeux : un cache-sexe clin­quant plaqué sur la barbarie or­di­naire, un bor­del mi­nable où l'on baise à grands coups de prosopopées la charogne de notre huma­ni­té.

Et nous, dans tout ça ? Nous, les gueux, les sans-grade, les in­signifiants ? De la chair à gradins ! Du bétail parqué, lobotomisé, gavé d'illu­sions et de men­songes jusqu'à la nausée ! On nous gave, on nous gave, jusqu'à ce qu'on en dé­gueu­le de bonheur et d'oubli. Oui, c'est ça qu'on avale, dans cette grande bouffe immonde : l'oubli de nos vies minables en pieds d'es­tal des ex­ploits frelatés.

Que nous reste-t-il si­non cette fas­ci­na­tion mor­bide, cette exal­ta­tion hon­teuse de voyeurs ? Huer, consp­uer, s'é­pou­mon­ner, ban­der de­vant le sang et la gloire des autres ? Oui, c'est cela, nos pe­tites vies sor­dides qu'on éja­cule sur la piste, nos frus­tra­tions qu'on su­blime par pro­cu­ra­tion !

Enten­dons-nous bien : les Jeux sont un charnier maquillé, un lac de pus où ma­cèrent nos illusions perdues. Un théâtre Grand-Guignol où l'on gave les masses de violence jusqu'à la lie. Une abjecte manipulation où l'on noie la racaille dans un océan de fange...

Car ne vous y trompez pas, mes bichons : ce n'est pas la crème qui re­monte à la surface, dans le grand ma­el­strom olym­pique, mais la lie, l'im­mondice, le rebut de l'huma­ni­té dé­voy­ée ! L'écume aux lèvres de nos sociétés en per­di­tion, le hoquet fétide d'un monde à l'agonie...

Les Jeux sont le re­flet cra­pu­leux de notre hu­ma­ni­té dé­sar­ti­cu­lée, le conduit de che­mi­née par le­quel s'en­gouf­frent nos pul­sions les plus fé­tides. Un dé­fi­lé d'hor­reurs et de tar­tu­fe­ries, une or­gie de bas ins­tincts cé­lé­brée sur l'au­tel de la bê­tise cruelle.

Mais moi, moi, l'a­nar­chiste du Verbe, le dy­na­mi­teur de la bien­sé­ance, je n'aurai de cesse de faire explo­ser à la face des bien-pensants ma rhéto­rique au vitriol ! Je ne serai pas le complice de la farce, l'histrion qui amuse la galerie pendant qu'on égorge et qu'on assassine!

Ô Muse in­tes­table, souffle-moi les mots qui dé­rapent ! Que ma langue soit vi­triol et poi­son, dé­ma­go­gie et pro­vo­ca­tion ! Que de mon encre dé­gou­linent le sang et la bile, que mon sty­lo soit le scal­pel qui dis­sèque le ca­davre de notre condi­tion !

Mais tant qu'il y aura un fou, un seul, pour chier des mé­ta­phores sur ce char­nier baroque, rien ne sera per­du ! Tant qu'une voix aura l'au­dace de tor­cher le cul des bien-pen­sants avec sa rhé­to­rique sul­fu­reuse, l'hy­po­cri­sie ré­gnante n'au­ra pas par­tie ga­gnée !

Car le Verbe, en ces temps obs­curs, est plus que ja­mais scatologique, vi­pé­rin. Telle est sa fonction quand il se fait scalpel et sans le sou. Celle d'un re­doutable bis­touri plongé jusqu'à la garde dans le ventre suri­nfecté du monstre.

À vos marques, prêts ? Chop­pez-moi cette pu­tain de plume et lâ­chez-vous !

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