L'avènement d'une nouvelle ère [partie 3]
Tandis qu’Heiric et Daenara ainsi que tous les Ninvaliens se relevaient de cette secousse, un froid glacial s’empara de la ville. Le ciel s’assombrit, des nuages noirs commençaient à envahir l’atmosphère, laissant planer une légère brume tout autour des habitants. Ceux-ci s’étaient tous arrêtés de hurler et de courir dans tous les sens. Tous étaient restés immobiles un long moment, semblant contempler quelque chose. Puis d’un pas commun, ils se dirigèrent tous vers la même direction, comme si quelque chose les attirait de force.
Seuls ceux qui étaient restés près d’Heiric et Daenara ne semblaient pas avoir été touchés par ce phénomène. Sans attendre et surtout très intrigués, nos deux héros suivirent discrètement tous les habitants. Ils passèrent par les rues qu’ils avaient précédemment empruntées tout en gardant un œil sur la foule inconsciente qui se rendait lentement vers la Grande Place. Arrivés à proximité, ils furent pris d’un violent frisson. D’instinct ils décidèrent de contourner les ruines d’une maison détruite encore fumante afin d’observer ce qu’il se passait tout restant à l’écart.
Dissimulés derrière le mur de pierre, ils furent d’abord surpris devant le silence qui émanait de la place. Les habitants étaient tous focalisés sur quelque chose qui échappait à leur regard. Ils s’avancèrent discrètement dans la rue, s’approchant du rassemblement qui se faisait de plus en plus dense à mesure que les Ninvaliens affluaient.
La fumée qui s’échappait des ruines qui leur faisaient face se condensait en un nuage sombre duquel jaillissaient des étincelles d’argent. Les pierres de la fontaine située au centre de la Place tremblaient légèrement et se brisèrent petit à petit, s’élevant au-dessus du sol. Blocs après blocs, une estrade se forma. Une silhouette humanoïde émergea de l’épaisse fumée, accompagnée d’un bruit de claquement net et s’avança dans la lueur, se dévoilant aux yeux de tous.
Un être immense s’avança jusqu’à l’estrade qu’il venait de façonner. Vêtu d’une immense robe noire ornée de symboles d’un rouge flamboyant, il tenait entre ses longs doigts fins un sceptre doré au bout duquel brillait un cristal noir, semblable à celui vu dans les sous-sols du château. Son visage était caché par sa grande capuche, laissant simplement apparaître une mâchoire squelettique de laquelle sortait une fine fumée sombre.
Son autre main resta cachée un instant avant qu’elle ne sorte de derrière son dos, révélant alors un terrible spectacle. Le visage ensanglanté et les vêtements en parti déchirés, l’Empereur était fermement tenu par cette nouvelle menace qui le traînait au sol. Quand il monta les escaliers, les pierres qui composaient l’estrade se mirent à noircir à chacun de ses pas. Arrivé en haut, il lâcha l’Empereur qui s’effondra au sol, laissant échapper un hoquet.
La structure fut rapidement encerclée par des créatures encapuchonnées, celles-là même que Heiric et Daenara avaient combattues il y a à peine quelques heures. Durant de longues secondes, un silence effrayant pesa sur toute la Grande Place. Puis une voix caverneuse et puissante s’éleva :
- Pauvres mortels. Si faibles. Si pathétiques. Ce monde n’est plus le vôtre. Il est temps désormais que le pouvoir lui revienne. Ninvaldir n’est que le commencement d’une nouvelle ère, une ère qui ne vous appartient plus, une ère où vous n’existez plus.
D’un coup de bâton, il fit léviter le corps de l’Empereur qui émit un cri de douleur. Malgré tout, celui-ci trouva la force de dire quelques mots :
- Vous avez peut-être pris mon peuple ainsi que ma fille… mais vous n’aurez pas le Monde…Il se battra pour garder la paix…
- Piètre souverain, dit la créature en souriant. Ta confiance en ton peuple sera de courte durée. Lorsque mon maitre renaitra, votre pitoyable société sera à jamais oubliée. Et c’est moi, Hellkevor, Seigneur du Monde des Limbes, qui vais le ramener, afin qu’il puisse prendre la place qui lui revient de droit. Vous nous avez chassés, enfermés, mais l’heure est venue pour nous de vous faire payer votre arrogance.
- Votre place est au plus profond des entrailles du Monde, démon ! hurla Herion. Un rire effrayant retenti alors et le corps de ce dernier se mit à convulser.
- Contemplez votre Empereur mourir !
Puis dans un claquement de doigt, tous les habitants furent pris d’un sursaut, comme si leur hypnose avait pris fin. Au même instant, le corps du souverain se brisa et s’écrasa lourdement au sol.
- Ninvaldir est à moi.
Hellkevor descendit de l’estrade qui se désintégra sous ses pas puis se plaça au centre de la Grande Place, les bras écartés, comme s’il se nourrissait des hurlements d’horreur qui retentissaient. Il fit ensuite claquer son sceptre contre le sol, créant plusieurs fissures qui lézardèrent les pavés.
- Mes Xaerys vont se débarrasser de vous, mais laissez-moi les aider.
Des éclairs rouges sillonnèrent alors les fissures desquels jaillirent des amas de chairs difformes. Certains d’entre eux se jetèrent sur la foule en poussant des râles abominables quand d’autres, traversés de spasmes, déployèrent des ailes dans leurs dos avant de s’envoler dans le ciel sombre. Les créatures encapuchonnées, elles, se saisissaient des citoyens qui passaient trop près d’eux et les étouffaient rapidement grâce à leur magie. Parmi les Ninvaliens, quelques inconscients ramassèrent ce qui leur passait sous la main et se ruèrent sur le démon qui toisait la foule du regard. Sans même une once d’attention pour eux, Hellkevor les balaya d’un geste dédaigneux de la main, les propulsant violemment à l’autre bout de la ville.
Paralysez par la peur, Heiric et Daenara restèrent un moment plaquer contre un mur. Ils sortirent de leur torpeur lorsqu’un des sbires invoqués par le démon découvrit leur cachette et se dirigea à pleine vitesse vers eux. Heiric brandit son épée et lui sectionna les jambes, le faisant ainsi tomber en roulade sur le sol. Nos deux héros reculèrent rapidement et quand ils virent que les jambes de la créature avaient repoussés après seulement quelques secondes, ils se mirent à courir sans réfléchir.
Une course poursuite effrénée s’engagea. Poursuivis de près, Heiric et Daenara passèrent entre les décombres, sautaient par-dessus des poutres, évitaient ceux qui avaient le malheur d’être attaqués par d’autres abominations. Sans regarder derrière eux, ils arrivèrent au niveau des écuries de la ville. Voyant que des chevaux avaient été laissés à l’abandon, bloqués par d’épaisses portes en bois, ils se hâtèrent en direction du box afin de quitter la ville le plus rapidement possible. Frainés par cette découverte, ils se retrouvèrent face à face avec non pas une, mais deux créatures qui poussèrent un cri strident, les forçant à reculer.
Avant qu’ils n’aient le temps d’attaquer, une nouvelle créature, plus massive encore que les deux précédentes, fit son apparition. Les deux démons s’écartèrent, comme s’ils éprouvaient une forme de respect pour ce nouvel arrivant. Ce dernier émit un grognement sourd avant de se lancer de tout son poids en direction de Daenara. Celle-ci voulut encocher une flèche mais ce nouvel assaillant la prit de vitesse. Il tenta de la saisir dans sa main griffue mais Heiric la lui trancha d’un coup vif, laissant le temps à la jeune elfe de s’écarter du combat. Toute l’attention du monstre était maintenant portée sur le jeune homme. Après que sa main ait repoussée, la bête s’élança vers lui.
Heiric tenta d’esquiver la première charge en roulant sur le côté mais le monstre, d’une rapidité surprenante, anticipa son mouvement et le balaya de son bras puissant et rugueux. Le guerrier atterrit quelques mètres plus loin, sonné par le choc. La créature se rua de nouveau vers lui mais son attention fut détournée par une flèche qui vint ricocher sur son épaisse cuirasse. Il porta son regard sur Daenara et poussa un mugissement de colère. Heiric profita de cet instant d’inattention pour planter son épée dans le ventre du démon qui rugit de plus belle. En extrayant sa lame, il constata que la blessure s’était déjà refermée. Le guerrier ne se lassa pas déstabiliser et attaqua la créature de toutes ses forces. Il tranchait, tailladait, lacerait, mais rien ne pouvait atteindre le monstre, pas même les nombreux projectiles qu’envoyaient la jeune elfe. Celle-ci s’apprêtait à encocher une nouvelle flèche lorsqu’elle vit que la créature avait saisit l’arme de son ami. Il se débattait tant bien que mal, poussant dans un cri de rage la lame que tenait son ennemi entre ses mains. Mais ce dernier la brisa d’un coup sec, ne laissant à d’Heiric que le pommeau de son épée. Le monstre massif empoigna le jeune homme impuissant et le souleva à plusieurs mettre du sol, prêt à lui porter le coup fatal.
Un profond désespoir et une immense colère s’emparèrent de Daenara. Elle sentit son corps parcouru d’un frémissement glacial lorsqu’elle banda son arc. Un fluide se répandait dans ses veines, illuminant les marques qui parcouraient son corps. L’énergie se matérialisa en une émanation rosée qui glissa le long de ses doigts et s’enroula autour de sa flèche. Elle poussa un hurlement mêlé de douleur et de hargne et décocha sa flèche qui alla se loger dans le crâne du démon, perçant sa peau jusque là impénétrable. Il s’effondra lourdement au sol, permettant à Heiric de se dégager de son emprise. Encore désorienté par son combat et la perte de son arme, il jeta un rapide coup d’œil au cadavre et découvrit que la flèche avait laissé un impact magique dont les contours étaient noircis.
Voyant leur chef vaincu, les deux autres créatures s’envolèrent en poussant un cri qui raisonna dans toute la ville. Heiric s’avança, les jambes tremblantes vers son amie qui gisaient au sol, inconsciente. Après avoir ouvert le box qui retenait les chevaux prisonniers, il la porta tant bien que mal puis la posa délicatement sur le dos de l’un d’entre eux. Il s’y hissa à son tour et donna un coup de talon sur son flan et ils quittèrent définitivement Ninvaldir.
Annotations