Avant l'aurore
J’ai entendu le silence vrombir dans mon cœur, je l’ai entendu s’étendre en colère et en temps. J’ai vu la flasque de mon être chavirer comme un songe. J’ai vu mon esprit tomber, occis par lui-même, déchu par ses larmes.
Et j’ai cessé d’être
Plus de silence. Plus de colère. Plus de temps.
J’étais néant inassouvi. J’étais un fœtus de mort, un embryon de fin, un oubli du moi.
Néant insubmersible qui faisait face au monde. Oblitéré par le sexe en débauche, j’ai étouffé sous les seins gonflés, les culs claqués et les sons étouffés du plaisir sans rêves. J’ai compté les corps comme on compte les morts, enchainant les orgasmes, assassin en série. Le néant se grimait faune à la bite fière qui possédait ce pouvoir enivrant de celui qui domine le désir. Il n’y avait que les cris et les corps, il n’y avait que la semence et la sueur, je ne me souviens pas des noms, je ne me souviens pas des soirs. Il n’y avait ni saveur ni substance. Je comblais le vide par leurs sons d’inhumaines, elles feignaient l’amour, pleurant dans leurs reins leur vie inutile. Et chaque soir, en marionnettiste aguerri, je répétais ce ballet. J’étais envahisseur dans un corps sans tête, nous ignorions nos esprits, dégoutés de nos corps. Il n’y avait que nos fluides communiant pour leur violence physique, trouvant ici, dans nos étreintes aliénées, la peur nécessaire pour exister.
Au milieu du Néant noir et brutal sonnait, sonnait ce qu’avant je nommais cœur et qui n’était plus qu’un kyste nécrosé. Je l’entendais, vous l’entendiez aussi, il résonne toujours à mes oreilles comme un rêve avorté. Il mourrait sans un son, dans son absence de silence et de bruit. Mon corps entier était cancer et ma myocarde trop grande au départ était devenu rachitique, une tumeur immonde et purulente. Elle devint bubon, Elle devint furoncle. Au centre de ma cage thoracique rouillée, dévastée par mon être, pourtant, elle demeurait. Organe lépreux aux haillons en décomposition, aux lambeaux de souvenir.
Le corps lacéré, je n’étais qu’un fantôme parmi les ombres, monstre impalpable au centre d’une humanité intangible. Chaque ville était un tertre d’oubli, chaque rue un cimetière d’espoir. Et j’ai vu les humains porter leurs sépultures comme un tabard. Ils étaient semeurs d’orages, ils étaient mausolée de viande, ils étaient leurs propres stèles. Ils étaient des armées entières à la rage guerrière porté comme un masque de nécessité. Il y avait la mort dans chacun de leurs pas, la renonciation dans chacun de leurs regards. Mais ils avaient encore leurs peaux. Moi, je n’étais plus que bête écorchée, aux muscles avilis, la chair en avalanche gangrenée, squelette rongée par lui-même.
J’étais néant inassouvi dans un tombeau sans rêves.
Et je suis mort.
Mort comme meurt un nouveau-né, noyé par les hommes pour avoir essayé de vivre. Humain avorté après vingt-cinq années. On m’avait voulu fait de viande, mais elle avait pourri. On m’avait rêvé masqué, mais la peur dévoilait mon visage. Eux m’avait fait de chair et de temps consommé, eux m’avait fait de fureur et de colères oubliés.
Alors, dans mon corps putréfié, vicié par les femmes et le sexe, détruit par l’alcool et les larmes, je me suis relevé. Mort parmi les vivants, vivant parmi les morts.
Je n’étais plus un corps, sans être un esprit.
J'avais été, j'avais existé, j'avais demeuré.
Enfin je m'étais réveillé.
Enfant fait d’histoires et de rires.
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