L'un des combattants s'approcha d'elle un sourire aux coins des lèvres. Ce rictus moqueur la crispa. Sa démarche fluide, dangereuse, l’incitait à reculer, mais elle réprima ce réflexe. Il envahit son espace vital l'obligeant à lever la tête pour pouvoir le regarder dans les yeux. Ses prunelles d'un vert forêt étranges et magnétiques s'ancrèrent dans les siennes.

— Salut ! je m'appelle Sotar, tu es Emma n'est-ce pas ?

— Euh... oui.

Il s’inclina pour lui parler à l'oreille, mais Dan le repoussa avec une telle violence qu'il se retrouva sur le dos cinq mètres plus loin. Abasourdie, les yeux écarquillés, elle observa l'homme au sol, puis se tourna vers son guide. Comment avait-il pu le repousser aussi loin ? Elle ouvrit la bouche pour parler et sentit de nouveau cette fragrance indéfinissable - même si différente - titiller ses narines et se poser sur sa langue, comme dans le bureau de Toalsar. Dan avait les yeux rivés sur Sotar. Elle tenta de croiser son regard, mais il détourna la tête et se positionna devant elle. Pendant ce temps, le combattant au sol se releva d'un bond et rit à gorge déployée.

— Fous-lui la paix Sotar ! Elle est sous la protection du M... du Boss.

— Relax Dan, je ne lui aurais pas fait de mal, bien au contraire.

— La ferme ! abruti !

Emma se sentait perdue, quelque chose clochait. Elle essaya de comprendre, lorsqu'une nouvelle voix résonna dans la pièce, féminine cette fois.

— Tiens, tiens, une invitée ? Tu me présentes Dan ?

Ce dernier poussa un soupir avant de se tourner vers la nouvelle venue qui s'était placée face à la jeune femme. Grande, vêtue comme les autres, ses longs cheveux noirs nattés en une tresse qui atteignait le bas de son dos, elle la toisait de ses yeux sombres.

— Emma, je te présente Mila, avec Sotar elle fait aussi partie des Lieutenants de Taolsar.

— Ainsi tu es la meurtrière des trois hommes dont on parle depuis quelques mois. Je m'attendais à autre chose, tu ressembles à un pauvre lapin apeuré, j'imaginais quelqu'un de plus... solide, plus... guerrier plus... hargneux, quelqu'un comme moi quoi.

— Mila, commences pas, gronda Dan.

Emma, tétanisée, sentit la colère commencer à circuler dans son sang, et ses bronches se dilatèrent. Marre d'être maltraitée, marre d'avoir peur, marre d'être perdue, marre de ce cirque. Elle plissa les yeux et serra les poings lorsque la femme s'approcha en penchant la tête et susurra à son oreille.

— Tu crois être la seule gamine à avoir subi l'inceste ? Que ta sœur a été la seule femme à avoir subi des violences conjugales ? Que ton père est le seul homme à avoir reçu une balle dans la tête ? Pauvre petite chose, je vais te révéler un scoop, la réponse est non.

Un shoot d'adrénaline fusa dans les veines d'Emma.

Elle fut submergée par la douleur et la rage, sa peur annihilée.

Elle hurla.

Elle balança un coup de coude dans la mâchoire de Mila. Sous le choc, cette dernière bondit en arrière en frottant sa joue.

La combattante planta ses yeux sombres dans ceux d'Emma alors que ses lèvres s'étiraient en un sourire carnassier.

Aveuglée par sa colère, la jeune femme ne réfléchissait plus.

Elle attaqua, encore et encore, paume, coude, paume, coude, pied, tibia, elle avançait sur la combattante en criant.

Celle-ci se défendait à peine, se contentant de bloquer ou d’esquiver les coups.

Enragée, les larmes roulant sur ses joues, Emma essaya de la griffer, sans succès.

Elle commençait à manquer de souffle, de force.

Elle réussit à agripper la combattante par l'épaule et propulsa un genou vers son ventre en la tirant vers elle.

Mila para, se dégagea d’un geste vif et passa à l'attaqua, frappa avec force la mâchoire d'Emma avec le bas de sa paume.

Celle-ci recula et chancela sous le choc, une odeur et un goût ferreux atteignit ses narines et envahit sa bouche.

La jeune femme cracha du sang sur le sable.

Un autre coup la percuta au niveau de l'estomac puis derrière les genoux.

Elle se retrouva sur le sol, le souffle coupé.

Un bras passé autour de son cou écrasa sa trachée et se relâcha avant qu'elle ne sombre dans l'obscurité.

Mila se redressa et épousseta le sable accroché à ses vêtements. Un air satisfait sur le visage.

— Qu'est-ce qui t'a pris, bordel ! éructa Dan.

Il s'agenouilla auprès d'Emma et vérifia son état. Elle était sonnée, mais pas gravement blessée.

— J'obéissais aux ordres, c'est tout.

— Je te demande pardon ?

— Demande à Tôalsãr, d'ailleurs tu ne m'as pas arrêté ! cette petite bagarre t’a permis d’évaluer ses aptitudes au combat. Ses émotions l’ont dépassée, elle ne se maîtrise pas du tout.

— Mouais, c'est vrai, mais tu aurais pu attendre la fin de la visite. Un sourire démoniaque ourla ses lèvres. Elle a tout à apprendre cette jeune fille.

Il la souleva de terre et se dirigea vers la droite du gymnase où s’ouvrait une autre pièce. Les combattants restés à l’écart reprirent l'entraînement comme si rien ne s'était passé. Emma percevait les voix autour d'elle sans comprendre le sens des paroles. La douleur dans sa mâchoire, au ventre et au cou, encore, la plongeait dans la torpeur.

Elle entendit une porte s'ouvrir et se refermer, et se retrouva allongée sur le dos, contre un support dur et froid. Tentant de se redresser, une douleur fulgurante au niveau du ventre la cloua sur place, l'obligeant à rester immobile.

— Doc, je t'amène Emma, l'h... l'invité du Boss.

— J'arrive !

Cette dernière se tourna vers la voix qui venait d'une autre pièce. Des frissons lui parcoururent le corps à la vue de plusieurs cages. Des molosses couleur feu occupaient deux d'entre elles. L'un des deux leva la tête, montra les crocs et grogna en la voyant. Un homme qui sortait de cette salle referma vivement la porte, mais elle eut le temps de voir les yeux du chien. Des yeux dorés, dorés comme de l’or en fusion, dorés et brasillants comme des flammes.

Elle bondit du lit médical et se retrouva au sol, reculant sur les fesses jusqu'à buter contre un mur malgré ses douleurs. Et cette odeur, cette foutue odeur plus prégnante ici, et qui venait de cette pièce. Son cerveau refusait de croire ce qu’il avait vu.

— Qu...Qu'est-ce que c'est ? Vous... Vous faites des expériences sur les animaux ? croassa-t-elle.

Pour elle il n'y avait que cette explication possible et rationnelle. Une bouffée de panique la saisit. Dan sentit le moment où la crise arrivait.

— Merde !

Il se précipita vers elle et lui fit un point de pression sous l'oreille à la base du crâne. Elle n'eut pas le temps de réagir et sombra dans l'inconscience.