Idole de larmes
Je réussis à reprendre ma route, le regard rendu flou par mes larmes. J'arrivais enfin à ma destination à bout de souffle lorsque le chemin redevint plat. Je débouchai alors sur le surplomb dominant toute la cité de Poloakli. Je m'assis aux côtés d'une statue taillée dans la roche recouverte de mousse, le Dieu des Dieux. Obliov me regarda en souriant comme il regardait toute vie et toute création. J'aimais notre père de tous et toutes choses. Un sentiment de paix m'envahie, chassant provisoirement ma mélancolie. Je restais ainsi prêt de mon Idole, à contempler mes contemporains vaquer à leurs occupations. Un habitant que j'imaginais être Huloa poussait devant lui un troupeau de Cinirds dodus. Les volatiles blancs seraient sacrifiés bientôt en l'honneur d'Uja de qui nous partagerions le banquet lors d'un jour pluvieux. Le four à pain était encore allumé et je vis des habitants miniatures venir chercher leur minuscule nourriture. Cela me fit sourire et mon ventre grogna à l'idée de dévorer une galette de maëi. J'étais trop loin pour le voir mais j'entendais un autre habitant dont j'aurais souhaité ne pas me souvenir, frapper en rythme un morceau de métal. Avec cette idée revint ma tristesse. Il était apprécié qu'un homme soit instruit, doux et pondéré. Si les visages longs étaient à la mode, un homme rond était bien vu car cela indiquait qu'il était porté sur la douceur et le plaisir. L'un de nos prêtes était tellement proche de ce prétexte qu'il ne pouvait plus sortir de son temple pour le grand plaisir de ses adeptes assurées de l'y trouver à toute heure du jour et de la nuit. Il avait fallut changer toutes les literies pour supporter son poids et sa dévotion.
Pour ma part, j'avais malheureusement jeté mon dévolu sur Igani, le forgeron, une brute épaisse aux bras musclés et à la langue absente. La tendance actuelle pour les hommes était au visage glabre et au crane rasé. Igani était rasé pour des raisons de sécurité avec le feu mais portait une longue tresse en signe de protestation. Il faisait parti de ce groupe mécontent du pouvoir en place cependant ses talents étaient tels que les autorités le laisser plutôt en paix. J'avais tout fait pour lui plaire mais impossible de décrocher autre chose que des regards farouches. A croire que tous les êtres que j'aimais me repoussaient. C'était compliqué pour moi de douter de la parole de ma Chumana. Elle faisait partie de tous les rituels des femmes de ma lignée. Ses tatouages étaient si vieux qu'ils semblaient tracés à la poudre d'os et elle n'avait presque plus de cheveux sous son immense coiffe de plume et de tresses offertes... Elle m'avait accompagnée lors de mes premiers cycles et de ma première initiation aux plaisirs. Et je la voyais si souvent maintenant par l'intermédiaire de ma mère qu'elle en était devenue une seconde pour moi. Même si elle m'avait fait ingurgiter un nombre de mixtures incroyable, tenue de longues heures immobile en bénissant mon âme éternelle ou maudissant mon démon intérieur selon les jours, j'avais pleine confiance en elle. Ma mère également vu les offrandes conséquentes qu'elle lui apportait à chacune de nos visites. Il n'était pas rare qu'aprés ces séances, ma vieille Chumana s'assèye épuisée et m'offre une tasse de Noka frais ou un Gaco frémissant selon les saisons en déblatérant sur toutes les raisons inimaginables pouvant expliquer mon soucis. Nous avions dû, je crois, mettre (très prudemment) en cause tous les Dieux et les actes que j'aurais pu faire pour les contrarier. J'avais acquis une connaissance particulière de fait de tous les Esprits qui nous régissaient et ne pouvais plus m'empêcher d'y penser à chaque instant. J'avais même été appelé à Servir tant ma connaissance s'était étoffée ces dernières années. Il y avait d'ailleurs en ce moment-même un débat houleux entre nos Chumanas qui voulaient me recruter et mon équipe de Poc'hola. Ces derniers ne voulaient pas que l'une de ses filles les plus prometteuses se voit retirer des Arènes et perdre ainsi un atout précieux lors de nos compétitions. Pour ma part, je n'aurais pas su choisir une quelconque destinée... J'adorai les Arènes, la violence et la beauté du jeu mais peut-on vraiment refuser d'être Appelée par les Dieux ? Cette après-midi, après un énième échec suite à notre séance d'exorcisme, j'avais fondue en larmes. Je n'en pouvais plus de cette menace pesant constemment sur mes épaules, j'avais beau me démener, je sentais désormais le mal s'insinuer en moi malgré tous mes efforts. J'étais jeune, belle et en bonne santé mais quelque chose chez moi m'attirait les foudres de ma mère. Peut-être était-ce finalement Obliov Père de tous qui s'était détourné de moi ? Après m'avoir longuement cajolée et mit une tape sur la tête pour avoir osé douter du Père Sacré, ma Chumana m'avait alors avoué son impuissance face à mon cas. Après un silence étrange, cette femme faisant partie des plus sages du village m'avait alors expliqué quel était mon vrai problème et qu'elle avait tout essayé mais qu'elle ne pourrait jamais le soigner.
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