La réunion des sorcières

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Quelque chose remuait dans le tréfonds des ténèbres. La toile de noirceur épaisse qui couvrait l’univers frémissait de manière inquiétante. Tout vibrait, sans que l’onde coupable soit visible.

Il faisait noir. La notion du temps, du jour et de la nuit, n’existait pas dans ce pays. Pas d’étoiles dans le ciel, pas de lune, rien qu’une pâle clarté omniprésente qui se confondait à la noirceur. L’éclat enchanté venu du Claive n’était pas un phare brulant, rien de plus qu’un éclat blafard, blanc comme un linceul, qui recouvrait la noire canopée des denses forêts de Lanterneg. Le noir était partout, les plantes noires, les racines, les feuilles, tout était d’un noir suintant ou verdâtre sombre parcouru à de longs intervalles par un fourmillement vivant.

Les fleurs étaient plus variées, violacées ou turquoises, certaines étaient luisantes comme de petites bougies allumées sur un sol d’herbe noire. Leur lueur sauvage n’écartait qu’à grand peine l’ombre colossale de la nuit éternelle. La lumière du Claive faiblissait par endroits, laissant sa mi clarté de lait être dévorée par un noir pur et absolu. Tout tremblait. L’obscurité tremblait, comme si elle était secouée d’un grand rire sardonique ou s’amusait à danser sur le cadavre boursouflé d’un ennemi depuis bien longtemps vaincu. Un mouvement déraisonnable parcourait toute la forêt, comme si l’éclat de voix silencieuses cherchait sournoisement à se faire remarquer.

Lanadria frappait du pied contre une pierre, cognant encore et encore la semelle de sa, par ailleurs très jolie et fort bien décorée, botte, les deux poings serrés avec une torsion prude des poignets, les dents serrées pour ne pas laisser échapper des insultes qui auraient fait honte à son sang noble.

Plus loin, à quelques mètres de l’aristocrate agitée, Hallbresses était assise dans l’herbe, silencieuse, le regard furibond. Elle commençait à sérieusement douter de sa guide. Lanadria avait perdu toute sa patience et laissa lui échapper un petit gémissement plaintif. Puis ses yeux violets furetèrent vers les deux silhouettes imposantes de ses serviteurs morts vivants, charognes couvertes de bandages et de pièces d’armure rouillées, le tout très mal dissimulé sous d’immenses capes noires.

« Millebleu de malefoutre ! J’en ai marre de ce pays ! Marre ! Marre ! Marre ! »

Son regard croisa celui de de sa compagne de voyage. Elle se corrigea rapidement d’un :

« Ce n’est pas contre vous ma chère Hallbresses. Mais tout de même, quel pays de sauvages !

- Ça ne serait pas arrivé si vous aviez mieux déguisé vos pantins. » souffla la jeune sorcière.

Dans l’obscurité, les couleurs acides de son visage ressortaient avec une ardeur effrayante. Sa peau pâle était blanche comme du lait, alors que ses lèvres sanglantes étaient comme sa chevelure : d’un vermeil déchirant, surnaturel, collé à sa silhouette comme des écailles sur un lézard.

Elle fit lentement passer sa langue sur une de ses lèvres, comme pour goûter ses mots avant de les utiliser, puis elle ajouta :

« Et je vous avais dit que les chevaux morts-vivants étaient une mauvaise idée. »

Lanadria, face à cette accusation de mauvais jugement, tira sur la fourrure de son col pour se draper plus complètement dans son manteau et dans sa dignité. Le menton relevé, un rictus déchaîné au coin de ses lèvres, elle était à bout.

« Je le concède, c’était peu discret, mais par les tentacules de Shum’Zhathot, je ne suis pas faite pour être discrète moi ! Vous me direz que je savais, oui je savais ! Mais moi je ne suis pas une fugitive ! Qu’est-ce donc que ces discours idiots de clampins mal lunés à base de “ah, la nécromancie c’est mal, ouh c’est le mal incarné, oh là là les nécromanciens sont méchants et doivent être brûlés” Merde ! Voilà, je l’ai dit. Merde ! Moi je suis une nécromancienne respectable moi ! Moi j’ai un diplôme officiel moi ! Vous savez combien d’années d’études j’ai fait à l’université de Shimrod ? Vous savez combien j’ai dû dépenser et travailler pour avoir mon diplôme ? Chez moi je suis respectée pour ça ! Chez moi je suis considérée comme une femme studieuse, talentueuse et respectable ! Alors non, non je n’ai pas pensé en arrivant à l’auberge que si je leur disait que nos chevaux n’avaient pas besoin de fourrage ils iraient vérifier quel genre de chevaux c’est ! Non je n’avais pas prévu qu’un aubergiste vérifie si les chevaux sont des chevaux morts-vivants ! Et non je n’aurai jamais imaginé que ces clampins nous crament nos montures et qu’on se retrouve à fuir à pied à travers les bois. Je suis désolée de vous le dire, Hallbresses, mais votre pays est un pays de merde ! »

Hallbresses ne dit rien. Elle se contenta de regarder la noble d’un air qui voulait tout et rien dire à la fois. La tentation était grande de lui souffler : « et c’est vous qui étiez supposée me sauver ? » mais il ne lui paraissait pas pertinent de l’énerver encore plus. Les deux serviteurs morts vivants tremblaient déjà de tous leurs os, littéralement, et si Lanadria perdait encore plus le contrôle de ses sentiments, ils risquaient bien tous deux d’exploser.

« Que fait-on maintenant ? » fut tout ce qu’elle trouva à dire.

« Maintenant ? On va devoir attendre qu’elles viennent jusqu’à nous. On a un rendez vous, et l’heure va bientôt approcher.

- Qui ça, elles ? »

Lanadria farfouilla dans sa veste en fourrure et tira un parchemin roulé, froissé et maltraité, qu’elle brandit victorieusement.

« Nous avons un accord spécial avec un cercle de sorcières du coin. Elles nous aideront à atteindre la frontière en échange de vivres fournis par le royaume de Mordred. L’académie de Shimrod leur offrira peut-être même des grimoires si elles continuent de nous aider. Hallbresses ? Tout va bien ?

- Je vais bien. »

Hallbresses s’était soudain mise à trembler. Tout son corps grelottait, mais ce n’était pas de froid. Si sa peau avait pu être plus blafarde qu’elle n’était déjà, elle eut sûrement pâli. Elle essaya de se ressaisir, après tout, il n’y avait pas de raisons d’avoir peur... mais tout de même, un cercle de sorcières !

« Ah ! Vous le ressentez vous aussi je crois. » repartit Lanadria. « Le chant des sorcières. C’est ça qui fait vibrer l’atmosphère en ce moment même. C’est une pratique curieuse, mais je trouve la sensation plutôt pas déplaisante, pas vous ?

- C’est horrible » murmura Hallbresses.

« Pardon ? Je n’ai pas entendu. Leur chant fait résonner en harmonie les différentes formes de magie se trouvant dans la forêt, ça fait vibrer en accord toutes les énergies naturelles et surnaturelles des environs, mais fatalement ça fait aussi effet sur les mages, alors il est normal que si vous n’êtes pas habituée vous soyez prise de tremblements. Enfin, à l’académie de Shimrod on vous expliquera tout ça plus en détail. Du moment que vous ne vomissez pas, c’est que la réaction n’est pas assez violente pour qu’on aie à s’en inquiéter.

- C’est étrange, parce que j’ai bien l’impression que tout tremble… je le vois, je le ressens, je l’entends même… mais une chanson ? Vous en entendez une vous ?

- Elles ne sont pas encore assez proches pour ça. Par contre, si elles continuent de s’agiter comme elles le font, elles vont finir par faire se désagréger mes revenants. »

En effet, les deux cadavres ambulants ne cessaient toujours pas de trembler. Leurs armures tintaient avec une telle violence qu’on ne s’entendait presque plus.

« Le principal problème de la magie de ces sorcières est que celle-ci réagit avec tout, y compris avec toutes les autres magies. Ça peut donner toute sorte de résultats, mais à peine un dixième d’entre eux sont dignes d’être utilisés. Le reste, ce n’est rien de plus que des fiascos pathétiques. C’est un art entièrement fait de tâtonnements et de mesures approximatives. Rien à voir avec une magie élégante et pure comme la nécromancie, ou mieux, la vôtre.

Une autre voix s’éleva soudain, juste à côté d’elles.

« Alors comme ça on s’imagine pouvoir dire du mal de nous dans notre dos, hein ?

- Oh ? Mais c’est pas très gentil ça. fit une autre voix plus aiguë que la première.

- Vous voulez peut-être voir de quoi nous sommes capables ? Madame la noble.

- Oui, vous préférez être changée en grenouille, en salamandre, ou juste en bouse de vache ? »

Et les voix partirent d’un rire malsain.

« Ouvrez les yeux mesdemoiselles ! Notre magie peut bien vous surprendre ! »

Hallbresses écarquilla les yeux. Il y avait une lumière orangée, délicate mais frémissante qui inondait la clairière. Rien autour d’elle ne ressemblait à l’endroit où elle était une poignée de secondes plus tôt. Les arbres autour d’eux se courbaient, penchés comme s’ils se prosternaient devant le centre d’un cercle fabuleux. Il y avait un grand feu en ce centre, un brasier tournoyant sur lui même, suffisamment grand pour engloutir une personne toute entière, et autour cinq autres feux plus petits accueillaient chacun un chaudron de bronze. Les cinq récipients tremblaient sous les bouillonnements du liquide qu’ils contenaient et envoyaient dans les airs des vapeurs épaisses, crasseuses et colorées qui se mélangeaient dans le ciel noir à la fumée du grand feu. Autour d’elles, dans chaque recoin, trifouillant leurs mixtures, s’égayant dans l’herbe ou dansant autour du feu, des sorcières, plus d’une dizaine au premier coup d’œil.

Alors que Hallbresses se demandait encore ce qui venait de se passer, Lanadria semblait n’être pas le moins du monde étonnée. Elle salua trois sorcières qui approchaient, chacune revêtue de robes de couleur différente et de grands chapeaux qui ne cachaient pas des cheveux anthracites. Sans coup férir elles se précipitèrent sur Hallbresses. En une seconde, elles entouraient la jeune femme. Une d’entre elle tendit une main pour toucher son bras, une autre l’attrapa par l’épaule, une autre passa une main dans ses cheveux. Hallbresses resta pendant un instant tétanisée, mais elle se ressaisit et se secoua pour chasser ces mains baladeuses. Malgré tout les sorcières revinrent à la charge.

« Tu es intéressante toi. Oh oui, très puissante.

- Et jolie, il faut le reconnaître.

- Quels beaux cheveux, et quelle belle peau…

- Tu as du potentiel mon enfant…

- Ne veux tu pas te joindre à nous ? Veux tu ? Veux tu ?

- Oui, viens, nous allons nous amuser ! Tu nous montrera ta magie ! Cette nuit c’est la fête ! »

Elles éclatèrent de rire.

« C’est toujours la nuit, c’est toujours la fête !

- Allez, viens… on te montrera des choses…

- Viens danser avec nous ! »

Et à force de l’agripper et de la tirer, elles parvinrent à la mettre debout, mais alors Hallbresses échappa à leurs mains et s’écria :

« Écartez vous ! Ho ! Ne me touchez pas sans me demander mon avis !

- Oh, du calme. On veut juste être amies.

- Ou un peu plus, éventuellement.

- Viens ! Danse avec moi !

- Non, viens plutôt avec moi, je vais t’apprendre comment nous dansons nous autres sorcières !

- Ne les écoutes pas ! C’est à moi que tu dois accorder ta première danse !

- Oh, quelle arrogance ! Et pourquoi au juste ?

- Je suis la plus ancienne d’entre nous, j’ai la priorité.

- N’importe quoi ! Je suis la plus jeune. C’est donc moi qu’elle doit préférer !

- Peuh, tu sais très bien que c’est moi la plus belle de nous trois.

- Et si on lui demandait qui elle préfère ? Hein ? Dis moi jeune fille, quel est ton avis ? »

Hallbresses croisa les bras et, avec un regard furieux, elle déclara :

« Mon avis est que vous allez me lâcher immédiatement si vous voulez avoir une chance qu’on soit amies. C’est la moindre des choses.

- Oh, mais ne le prend pas comme ça.

- On veut juste s’amuser. C’est la fête ! »

Hallbresses chercha du regard Lanadria, dans l’espoir que celle-ci puisse la tirer d’affaire. La magicienne Mordredii était occupée à discuter avec des sorcières, qui visiblement lui posaient une autre sorte de problème et s’amusaient à faire réagir les deux pantins morts vivants avec de petits sortilèges. Lanadria devait régulièrement se retourner pour leur ordonner d’arrêter, comme à des enfants s’amusant à un jeu insupportable, mais sitôt qu’elle retournait à ses affaires, une autre sorcière s’amusait à attirer l’attention d’un des revenants où essayait de lui faire danser la carmagnole. La nécromancienne faisait visiblement des efforts surhumains pour rester concentrée et converser avec une vieille sorcière dont la chevelure gris sale était si longue qu’elle traînait sur le sol. Cette dernière semblait négocier énergiquement en agitant de grands bras noueux et en se mordant la joue d’un air inquiète.

Pendant ce temps, les trois sorcières qui harcelaient Hallbresses se disputaient, jusqu’à ce qu’elles décident d’abréger cette tension, en s’embrassant et en s’enlaçant. Hallbresses ne chercha pas à comprendre, elle en profita pour leur échapper et tomba nez à nez avec une autre sorcière qui ricanait en regardant ses collègues.

« Hé, jeune fille, tu serais donc Hallbresses c’est ça ? »

L’intéressée émit un reniflement de mépris, un avertissement que ce qui viendrait après pourrait bien achever ce qu’il lui restait de patience.

« Oui, c’est moi.

- C’est dingue ça, on avait pas vu de magiciennes dans ton genre depuis un moment. Ce n’est pas le genre de magie le plus courant il faut dire. »

Elle porta une main à sa ceinture et en décrocha un petit flacon dans une sorte de sacoche de verrerie. Le petit flacon était de couleur pourpre et du volume d’un pouce. Elle le déboucha d’un doigt et en avala le contenu d’une traite, mastiquant un peu les restes de poudre rose qui restaient dans sa bouche. Elle prit une grande inspiration et tendit une main tremblante vers les trois compères qui avaient tenu la jambe à Hallbresses.

« Faut pas se laisser abattre par ces idiotes. Elles ne peuvent rien te forcer. Si des sorcières ici t’embêtent, frappe les. Ou mieux, haha, asperge les avec ça ! »

De sa robe elle tira un petit bocal qu’elle lança en direction de Hallbresses. Cette dernière attrapa l’objet au vol de justesse et l’étudia pour ne rien observer de plus qu’un liquide translucide dans un vieux bocal.

« Évite juste d’en boire. Enfin, sauf si tu te fais attraper par l’inquisition bien sûr.

- Est-ce que c’est un poison ?

- Un poison ? Non… enfin si mais pas trop. Toute substance est un poison en soi, ce n’est qu’une question de quantité et de zone d’effet. Mais en parlant de poison… »

Elle farfouilla derechef dans sa sacoche et en tira une sorte de long tube verdâtre, bombé à la base et évasé près du goulot. Là encore, elle le déboucha d’un mouvement du pouce puis pencha la tête en arrière, tant qu’elle dût retenir son chapeau avec son autre main pour éviter qu’il tombe, et ingurgita cul sec le liquide en l’avalant directement sans le laisser toucher l’intérieur de sa bouche.

La sorcière eut un râle de gorge, et Hallbresses pût la voir trembler pendant un instant, comme si tout son œsophage la brûlait. Puis elle ouvrit la bouche et tira la langue avant de revenir à un état à peu près normal.

« C’est abominable ce truc. Pouah !

- Que… que venez vous de boire au juste ?

- Du poison. On les prépare nous même. Grâce à nos pouvoirs, nous pouvons sonder la forêt à la recherche d’ingrédients, puis charger nos mixtures de magie pour obtenir les bonnes réactions. Il n’y a pas un seul poison au monde qui ne soit pas connu des sorcières de Lanterneg, crois moi.

- Je vous crois. Mais pourquoi le buvez vous ?

- Question de quantité. » la sorcière sourit de toutes ses dents. « Tu vas peut-être finir par nous rejoindre, alors ça ne devrait pas être un secret pour toi. Nous, les vedmas, on est expertes en poisons, mais ce qu’on craint le plus c’est d’être empoisonnées. Il n’y a rien de pire. C’est pourquoi, comme on a justement la connaissance de tous les poisons, on en profite pour entraîner nos corps à y résister. Ça marche, normalement. Allez donc essayer de tuer une sorcière en l’empoisonnant, vous verrez.

- Mais comment ça marche ?

- Au niveau du corps en lui même ? C’est compliqué. Factuellement, on consomme des poisons en petite quantité, pas suffisantes pour faire de gros dégâts, puis on augmente les quantités petit à petit et le corps s’adapte pour devenir plus résistant. Le tout c’est de le faire régulièrement et dans le bon ordre, parce qu’il faut pas que les produits puissent réagir entre eux une fois dans le ventre. C’est tout un art, on pourrait écrire des grimoires entiers sur cette pratique, si on était du genre à écrire des grimoires nous autres. » à ces mots, la sorcière lorgna du côté de Lanadria avec un sourire méprisant.

Hallbresses fronça les sourcils.

« Pourquoi donc ?

- Oh, plusieurs raisons. D’abord, on ne sait pas toutes lire et écrire. Ensuite, la tradition orale est bien plus pratique. Les inquisiteurs peuvent détruire les stèles, brûler les livres et déchirer les parchemins, mais ce qu’une sorcière a dans la tête elle peut toujours le sauver. En règle générale on cherche toutes à accumuler le plus de savoir possible par tous les moyens, que ce soit dans des grimoires ou quoi que ce soit d’autre, mais on ne se contente pas de coucher ça par écrit, on le mémorise, on le cache et on le garde pour soi. Puis, quand vient le moment du sabbat, les sorcières se réunissent comme ici autour d’un feu, on rigole, on danse, on boit des potions euphorisantes, et surtout on échange des connaissances, des recettes, des sortilèges etc. Il arrive même qu’une vieille sorcière prenne une jeune comme apprentie. Comme tu es plutôt jolie, si tu essayais, tu aurais toutes tes chances, rien ne t’empêcherait de nous rejoindre. »

Hallbresses secoua la tête sans dire un mot, puis se décida à demander :

« J’ai toujours entendu dire que les sorcières ne partageaient presque jamais leur savoir. N’est-ce pas précisément ce que le terme vedma signifie ?

- Évidemment. J’ai dit qu’on échangeait du savoir. Le savoir n’est jamais gratuit, et parfois c’est compliqué même pour nous.

- Vous ne trouvez pas que vous me dites beaucoup de choses pour quelqu’un qui estime que le savoir n’est pas gratuit ?

- Ah ! Perspicace. Je t’ai pourtant révélé bien peu de choses. Je ne t’ai même pas dit le nom de la mixture que je t’ai donnée ou des poisons que j’ingurgite.

- Je ne vous les ai pas demandés.

- Ah ! Et tu as bien fait. Mais tu n’es pas curieuse de savoir de quoi ces choses sont faites ?

- La seule chose que je me demande, c’est ce qui vous pousse à les consommer. Pourquoi avez vous si peur d’être empoisonnées ? »

La sorcière ricana de plus belle.

« Tu es à la limite de ce que je peux te révéler sans rien recevoir de concret en échange, jeune fille. Hors, je devine que je n’aurai pas ce que j’espérais obtenir de toi au départ.

- C’est à dire ?

- Obtenir que tu restes ici avec nous et que tu rejoigne le cercle. »

Hallbresses haussa un sourcil.

« Pourquoi ferais-je une chose pareille ?

- Tu es une sorcière très puissante. Si tu restais ici avec nous, tu pourrais accomplir de grandes choses. »

La seule réponse de Hallbresses fut un sourire triste suivi d’une question :

« Alors dites moi, que savez vous de l’hématurgie au juste ? Y a-t-il quoi que ce soit que vous puissiez m’apprendre ? »

La sorcière devant elle blêmit, mais ne cessa pas de soutenir son regard. Finalement elle laissa échapper un soupir.

« Il y a bien deux trois choses, mais il faudra que tu répondes à quelques unes de mes questions en retour. Savoir pour savoir, qu’en dis tu ? »

Hallbresses tourna la tête à gauche et à droite pour sonder les alentours. Elle ne se sentait pas à l’aise dans cette atmosphère, comme si la lumière et le sol tanguaient de concert à la manière du pont d’un bateau. L’envie de vomir n’était pas loin. À cela s’ajoutait évidement la crainte naturelle qu’éveillaient les sorcières. On racontait des choses parmi les plus atroces sur ces créatures, et Hallbresses n’avait pas de raisons de ne pas les croire. Bien sûr, tout son être voulait partir au plus vite, mais elle était assez intelligente au fond pour savoir que ce serait un mauvais choix. Le sentiment qui dominait en elle n’était pas la curiosité, mais plutôt un pragmatique besoin d’assurer son avenir. Calculatrice, elle devina que fuir cette clairière maudite pouvait lui attirer plus d’ennuis tandis que refuser la proposition de la sorcière impliquerait de passer à côté d’une occasion à nulle autre pareille. De plus, tant qu’elle parlait à cette vedma, les autres magiciennes ne semblaient pas oser venir l’importuner. Enfin et surtout, Hallbresses ne savait presque rien, alors échanger des connaissances ne pourrait être qu’à son avantage. Elle n’avait rien à cacher après tout. Pour attendre que Lanadria ait fini de négocier, accepter cette proposition paraissait un choix sensé ; alors Hallbresses hocha doucement la tête.

« Bon, mais je te propose de s’asseoir. fit la sorcière. De toute façon on a du temps devant nous. Et aussi… »

Elle fouilla du regard l’herbe noire et ramassa un objet brunâtre qui traînait là. C’était une outre de cuir qu’elle soupesa avant d’en porter le goulot à sa bouche et d’en prendre une gorgée rapide. Puis elle se posa dans l’herbe avec un gémissement de bien être.

Hallbresses qui s’était assise en tailleur demanda avec une pointe de lassitude :

« Encore un poison ?

- Absolument ! Mais celui là je peux te dire son nom. Ça s’appelle de la vodka. Aha !

- Ce nom là ne me dit rien.

- Vraiment ? Tu n’es pas native de la région alors. Tu viens de quelle partie du pays ? »

Hallbresses eut un pincement embarrassée, hésita, puis répondit finalement :

« Du diocèse de Wraham.

- Oh, tu as fait un long trajet alors. Tu viens du centre du pays en fait…

- Hm… plutôt oui. Pourquoi ?

- Ah ! Simplement que ça se voit quand j’y pense. Tu es déjà sortie de ton diocèse avant ?

- Jamais.

- Tu n’as jamais vu la frontière, de près ou de loin alors.

- En effet, et alors ? »

La sorcière émit un gloussement.

« Tu risques d’être surprise, ne serait-ce qu’en croisant les gens de là bas. Notre pays est grand, on voit toute sorte de gens et de cultures différentes, plus on s’éloigne du Claive.

- Jusque là vous ne m’avez rien dit sur l’hématurgie.

- Oh, tu y tiens hein ? Alors je vais te dire ce que je sais. Pardonne moi si ça ne t’apprend pas grand chose. C’est une forme de magie très rare…

- Venez en au fait.

- Bon. Les hématurges sont parmi les mages les plus rares et les plus puissants. Mais je ne saurai trop trancher entre s’ils sont rares parce que peu de gens naissent avec l’affinité pour cette magie, ou si c’est parce qu’ils ont un taux de mortalité plus élevé pour des raisons évidentes. »

Le visage de Hallbresses se para d’une grimace lugubre, comme si on lui assénait une vérité douloureuse, et pas seulement au sens figuré.

La vedma continua :

« On dit qu’un hématurge peut infliger des souffrances qui dépassent l’entendement, mais j’ai toujours été curieuse de comprendre le mécanisme par lequel cette douleur est infligée. On dit que c’est une sensation parfaitement unique. Qu’en penses-tu ?

- Je n’en sais rien.

- Hm… je me demande…

- Parlez moi de choses qui me seront utiles !

- Oh, alors je sais que ce qui fait la puissance d’un hématurge dépend de plusieurs facteurs, mais ce qui les rend vraiment redoutables est le fait que par essence la force de leurs pouvoirs est exponentielle. Un hématurge peut toujours mettre plus de douleur dans un sort et faire souffrir encore plus.

- Il doit y avoir une limite non ?

- En théorie ? Non. Absolument pas. Cela j’en suis certaine. En pratique ? La limite est ce à quoi l’hématurge peut survivre. Aussi, ta puissance dépend beaucoup de toi, de ton état physique et de ta bonne santé.

- Peuh. Plus facile à dire qu’à faire.

- Pourtant tu m’as l’air jeune et en bonne santé. Un peu pâle, mais c’est parce que tu viens d’un diocèse centrale. Les gens des diocèses proches de la frontière ont souvent un teint un peu plus mat voire la peau noire. Non, tu m’as l’air en meilleur état que moi qui suis vieille et pétrie de poisons.

- Je ne le resterai pas longtemps.

- Allons bon.

- Apprenez moi autre chose. Quelque chose de vraiment utile.

- Avant, j’aimerai savoir. Qu’est-ce qui t’a convaincu à suivre cette étrangère ? »

La vedma fit un signe de tête vers Lanadria. Hallbresses suivit lentement du regard, puis reporta une attention éteinte vers la sorcière.

« Je n’ai pas le choix. Ce pays n’est pas fait pour les gens doués de magie. Surtout une comme la mienne. Là bas… les choses sont différentes.

- Pas fait pour les sorcières ? Ah ! Lanterneg est le pays parfait pour nous. »

Hallbresses haussa un sourcil.

« Pardon ?

- Tu m’as bien entendu. C’est le plus beau pays du monde.

- Vous êtes des sorcières. Ne devriez vous pas… haïr ce pays ?

- Aha ! Pas du tout ! Oh, oui bien sûr le culte de la lumière est… embêtant… mais nous sommes au paradis nous autres sorcières. Tiens, dis toi que dans tous les pays du monde il y a des cercles de sorcières, mais ailleurs elles ne peuvent se réunir que quelques nuits par an, lors des pleines lunes, et certains des pouvoirs qui inondent ce cercle à cet instant même ne sont possibles que la nuit. Mais ici, la nuit magique qui enrobe le pays fait que nous sommes en permanence comme une nuit de pleine lune. Nos pouvoirs, nos sorts, nos rituels, tous fonctionnent comme si nous étions une nuit de pleine lune. Nous ne pourrions pas être aussi puissantes autrement. C’est là une bénédiction que nous a faite la sorcière qui a lancé ce sort.

- Mais… vous êtes tout de même traquées par l’inquisition non ?

- Tu crois qu’ils nous font peur ? Il fait nuit en permanence ici et sur tout le pays. Nous pouvons nous retrouver entre nous n’importe où n’importe quand, et bien chanceux qui parviendrait à trouver cette clairière sans y avoir été invité.

- Mais ça n’a rien à voir avec Mordred. Enfin…

- Non, je le concède. Mais à ta place je me méfierais tout de même d’eux. Leurs académies de magie, c’est bien beau mais tout ça a un prix.

- On m’a promis un cursus gratuit une fois là bas.

- Je ne parlais pas de ce genre de prix. »

Hallbresses de froncer les sourcils.

« Vous n’essayez tout de même pas de me parler de liberté ou d’une ânerie de ce genre ?

- Pourquoi pas ? Ne me dis pas que ça ne t’intéresse pas d’être libre.

- Non. Ça ne m’intéresse pas de me terrer dans les bois, de me rouler dans la boue, de vivre dans la hantise d’être empoisonnée et de courir en permanence pour ne pas être attrapée par l’inquisition.

- Et bien… et ça ne te pose aucun problème de te retrouver à la botte d’un pays étranger quand tu pourrais être ta propre maîtresse, servir tes propres intérêts, accumuler du savoir sans limites et sans entraves, et voyager de par le monde comme bon te semble ? »

Hallbresses resta silencieuse un instant plutôt long, puis reprit d’une voix moins assurée mais qui se voulait toujours ferme.

« Vous étiez supposée m’apprendre des choses sur l’hématurgie.

- Je peux te dire que l’hématurgie est sans doute la magie la moins étudiée au monde. La théorie est excessivement faible, la somme des savoirs accumulés à ce sujet est ridicule comparée à ce qui se trouve dans d’autres domaines, et ceux qui le pourraient sont généralement trop timorés pour faire les expérimentations nécessaires au développement de la science.

- Qu’est-ce que vous essayez de me dire au juste ?

- Que même À l’académie de Shimrod, s’ils ont des connaissances exceptionnelles sur la magie générale et la théorie, l’hématurgie leur est presque inconnue. Les ouvrages à ce sujet sont rares, et à ce jour ils n’ont pas encore eu suffisamment d’élèves et de professeurs pour créer un cursus académique spécialisé. Si tu vas là bas, tu ne trouveras pas de quoi devenir plus puissante, juste du travail pour construire tout un pan de l’étude qui n’a presque aucune fondation encore. »

La sorcière eut un sourire triomphant, mais Hallbresses restait silencieuse et parfaitement impassible, sa face blanche aussi expressive qu’une pleine lune.

« Nos méthodes d’apprentissage à nous sont bien plus basées sur l’expérimentation. Tu pourrais progresser bien mieux, bien plus loin, et bien plus vite. C’est en tentant des choses, en prenant des risques, en saisissant les opportunités que l’on progresse et que l’on devient une sorcière plus puissante.

- Non.

- Tu n’as pas sérieusement réfléchi je pense.

- Je n’ai pas besoin de réfléchir pour savoir que je ne veux pas être comme vous.

- Et pourquoi donc ? »

Hallbresses eut un tremblement saisissant au niveau des lèvres. Son esprit bouillonnait d’un coup, mais elle devait faire des efforts considérables pour faire le tris entre les réponses qui se bousculaient aux portes de sa bouche. Elle devait écarter certains réflexes qui n’étaient plus pertinents pour elle, réfuter les arguments dont elle avait appris qu’ils étaient fallacieux et plus que tout repousser les traits qui auraient rendu furieuse sont interlocutrice.

« Je crois que vos méthodes ne me correspondent pas. Apprendre essentiellement en expérimentant ? Ai-je besoin d’expliquer pourquoi je refuserai de faire ça ?

- On fait toutes des sacrifices dans cette optique.

- Je m’en moque. Je ne mettrai pas en danger mon corps pour un savoir que je pourrai acquérir dans un livre. Et quand bien même il n’existerait aucun livre détenant ce savoir, la connaissance et la puissance ne valent pas le coup que je risque ma vie. »

Hallbresses put voir la vedma écarquiller les yeux, comme si elle venait d’entendre pour la première fois l’idée la plus étrange ayant jamais été énoncée. Elle resta ébahie un moment, puis sa bouche se tordît en un rictus moqueur.

« Ah ! Aha ! Je suis surprise. Je ne pensais pas que tu étais ce genre de personne.

- Hm ? Quel genre de personne ?

- Une faible. »

Hallbresses fronça les sourcils, mais au même moment un cri attira son attention. Dardant son regard vers Lanadria, elle put voir la noble remonter les manches de sa magnifique veste de fourrure noire en aboyant à une jeune sorcière qui ne devait pas avoir vingt ans :

« Fort bien, jeune impudente dévergondée ! Fort bien ! Puisque vous manifestez un intérêt si irrépressible pour la tenue de mes revenants, vous allez avoir l’occasion de les tâter de la manière la plus complète qui soit. Allons, mettez vous en garde et apprenez un peu ce que c’est que la boxe mordredii, vile vilipendée ! »

À ces mots, un des squelettes prit place devant la sorcière que visait l’injonction et leva ses bras squelettiques au niveau de son visage en faisant tinter les mailles mal entretenues de son armure et le coutelas émoussé à sa ceinture. La sorcière en face, semblant toute enjouée et certainement sous l’effet d’une drogue pire que l’alcool, ria, les joues rougies et les yeux injectés, puis imita le squelette en sautillant d’un pied sur l’autre.

« Par la spirée filipendule ! Je l’attend votre tas d’os !

- Personne de traite Oswald de tas d’os excepté moi ! » vociféra la nécromancienne, et sans qu’un seul geste de sa part ne donne le signal, le squelette s’élança à l’assaut, envoyant un crochet du droit que la sorcière évita en se baissant avec une agilité effarante. Puis un direct gauche qu’elle esquiva de justesse en se tordant pour faire passer le poing à un cheveux de sa poitrine, puis elle bloqua un coup qui visait son poumon avec sa garde levée.

- Par le galéobdolon velu ! C’est pas juste ! Ce squelette est beaucoup trop rapide !

- Sachez, fille de mauvaise vie, que l’on ne défie pas une nécromancienne diplômée de Shimrod à la maîtrise des corps, et que ce n’est qu’un jeu d’enfant pour moi de mouvoir ce squelette à la vitesse que j’entends. Je serai clémente, mais uniquement si vous vous excusez…

- Tu peux toujours courir ! »

Et la sorcière passa à l’offensive, mais le squelette esquivait ses coups, ou les encaissait sans rien subir et envoyait des contre attaque féroces. La sorcière commença à grimacer de douleur en prenant des phalanges osseuses dans le ventre, puis elle tenta de bondir en avant, mais le squelette effectua un mouvement de jambe en un éclair, laissa le poing de la sorcière passer dans le vide, puis répliqua avec un uppercut qui envoya la jeune femme au tapis, rouler dans l’herbe et les feuilles mortes. Les autres sorcières s’esclaffèrent.

« Voilà qui me parait mieux. » fit Lanadria.

Puis se tournant vers la plus vieille des sorcières : « Où en étions nous ? Ah, oui. Alors, je suis d’accord pour les cent dix kilomètres, mais vous n’aurez qu’une part proportionnelle de la somme.

- Vous devez bien comprendre qu’on ne pouvait pas prévoir la progression de ces maudits vampires.

- Bien sûr je comprends, ce genre d’aléa est tout à fait hors de votre contrôle comme du nôtre. Mais comprenez que pour nous aussi c’était un imprévu, et je ne vois pas la raison de vous rétribuer autant pour deux tiers du travail promis.

- Alors disons que je vous offre une corne d’abondance en plus ?

- Ah, en ce cas, je crois que nous pouvons bien vous faire des concessions. »

Et leur conversation de reprendre, mais Hallbresses se sentait de plus en plus mal tandis que les sorcières se faisaient de plus en plus agitées. La vedma qui parlait à Hallbresses s’enfourna une autre gorgée d’une substance malodorante sortie d’une fiole sous sa robe, une autre sorcière passa à côté d’elle en faisant la roue puis vint se coller à son épaule pour la harceler de questions jusqu’à ce que Hallbresses la repousse et se relève en titubant. Autour d’elle elle sentait une agitation croissante qui dépassait largement celle que ses yeux voyaient. Les chaudrons se mettaient à bouillir encore plus furieusement. Puis soudain, une silhouette jaillit d’entre les arbres, entrant dans la clairière en ricanant, un fardeau tenu négligemment dans la main droite. Hallbresses se tint la tête, soudainement saisie d’une migraine effroyable. Elle entendait des percussions, et en même temps grossissait le rire des sorcières. Celle qui venait de débarquer brandissait quelque chose tel un trophée et se faisait féliciter par les autres. Ce qu’elle tenait criait et geignait. Hallbresses commença à voir trouble, mais elle focalisa ses yeux sur la chose, n’y croyant pas.

C’était un enfant, entre trois et cinq ans, qu’une sorcière tenait la tête en bas par un pied et balançait à gauche à droite pour le montrer.

« Il se promenait seul dans les bois, hihi. J’ai réussi à l’attraper sans aucun effort !

- Merveilleux ! partait une autre. Comment allons nous le cuisiner ? »

Et les sorcières de se chamailler, de rire, et de produire d’autres sons n’ayant aucun sens. Une musique contre nature, violente et décadente emplissait maintenant les tympans de Hallbresses. Elle commença à trembler, mais se décida tout de même à faire un pas vers la sorcière qui se dirigeait, toujours l’enfant à la main, vers un chaudron.

« Non ! »

Hallbresses ne sût jamais si elle avait effectivement prononcé ce mot ou s’il n’avait jamais quitté sa gorge. Le corps gigotant fut jeté dans un chaudron avec un bruit craquant de brûlure, la sorcière se vantant de quelque recettes et potions qu’elle avait en tête. Le chaudron se mit à fumer avec une ardeur redoublée, et Hallbresses faillit tourner de l’œil en voyant le grand feu central de la clairière changer de couleur de manière incohérente. Finalement, elle finit par vomir. La bile remonta d’un coup, sans prévenir et en une seconde sa bouche en fût pleine, la gorge brûlée par l’acide gastrique, jusqu’à ce qu’elle se plie en deux et laisse tout son vomi tomber à ses pieds dans l’herbe. Les sorcières chantaient et dansaient comme des folles ou comme des enfants, en répétant des paroles incompréhensibles mêlées de sons qui n’appartenaient pas à ce monde. La cacophonie continuait, des percussions inexistantes jouaient un rythme entêtant et brutal, le feu se déformait comme des tentacules, et des éclats de rire impitoyables résonnaient partout.

Hallbresses faillit sursauter en sentant une main se poser sur son épaule, mais curieusement se sentit rassurée que cette main ne dégage aucune chaleur. C’était la main squelettique d’un revenant qui lui fit signe qu’il était temps de partir. Elle cracha par terre et essaya tant bien que mal de s’essuyer la bouche. Finalement, le revenant passa un bras sous le sien et la porta jusqu’à l’orée de la clairière où attendaient Lanadria et l’autre servant squelette.

La noble ne dit rien, mais laissa son serviteur porter la jeune femme tandis qu’ils s’éloignaient de la clairière, s’enfonçant dans une forêt noire où la pénombre était omniprésente. Bientôt, les éclats du feu des sorcières n’étaient plus visible, et comme si la chose était liée, Hallbresses reprit petit à petit sa contenance et put à nouveau marcher seule.

Honteuse, la jeune femme ne prononça pas un mot tandis qu’elles marchaient, visiblement dans une direction que la noble connaissait. C’est finalement cette dernière qui brisa le silence.

« Les sorcières de votre pays ne sont guère civiles, vraiment. Je comprends qu’il puisse se raconter des choses sur leur vilenie incroyable.

- Guère… civiles ?

- Non, vous avez raison. Ce ne sont ni plus ni moins que des sauvages, mais des sauvages avec une grande maîtrise de la magie, il faut le reconnaître. Et puis, elles nous ont aidées.

- Comment ?

- Nous ne sommes plus qu’à une centaine de kilomètres de la frontière.

- Vraiment ? Mais nous…

- Cette clairière a pour particularité de pouvoir se déplacer partout où il y a de la forêt et où il fait nuit. En principe elles auraient dû nous amener bien plus près de notre objectif, mais un imprévu les empêche de se rendre à certains endroits à cause d’une magie hostile. Les vampires et le culte de la lumière sont en train de mettre la pagaille dans la région.

- Je… je vois… »

Lanadria laissa passer quelques instants durant lesquels elle scruta sa protégée. Puis demanda d’un coup :

« N’êtes vous pas excitée à l’idée que bientôt vous pourrez voir votre premier lever de soleil ?

- Je ne sais pas vraiment. Je n’ai jamais vu ce que c’est que le soleil, comment saurai-je si je devrais être excitée ?

- Effectivement. Mais moi en tout cas, tout pratique soit ce pays de sa nuit qui favorise ma nécromancie, je ne crois pas que je m’acclimaterai à cette oppressante absence. Non, vraiment, le soleil est une chose que je ne puis me résoudre à oublier. Et la lune surtout… enfin vous verrez. »

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