Rayonnement photonique

6 minutes de lecture

Dans la vallée, sinistre et sombre, brillaient plusieurs milliers de lanternes. C'étaient de petits points lumineux de toutes les couleurs s’assemblant en rangées de part et d’autres du défilé. La pénombre tout autour était secouée de bruissements, puis les milliers de lumignons s’immobilisèrent. Les deux armées avaient pris leurs positions, les hommes se rassemblant épaules contre épaules dans l’obscurité. Un souffle unique parcourut les airs, des éclats de voix percèrent bientôt l’obscurité.

Un regard blanc - deux iris d’opale irisées - se posa sur les rangées de piquiers du royaume de la paix éternelle. Les soldats étaient en pourpoint jaune, ocre ou or. Séparés en deux grands groupes selon que du sang coulait encore ou non dans leurs veines.

Licht, le mage blanc, cligna des yeux dans la pénombre. Depuis son promontoire, on l’avait chargé d’observer l’armée adverse. Les vampires avaient astucieusement choisis le lieu des combats, dans un creux entre deux hautes montagnes. La lumière blafarde venue du Claive, semblable à celle d’une pleine lune, ne faisait que projeter ici une ombre colossale. La nuit était omniprésente en Lanterneg, mais elle était ici un rien plus opaque qu’ailleurs, alors les hérétiques en avaient tiré parti.

Dans sa toge blanche, le magicien vacillait, le froid mordant sa chair pâle. Ses paupières clignaient sous les assauts du vent, et son échine s’agitait de soubresauts désagréables. Ce n’était pas que le froid. Un inquisiteur et ses larbins laissaient courir des regards sur sa nuque, tranchants comme des poignards. Fouetté par le vent et en permanence écrasé par le poids de la suspicion de l’inquisiteur, le mage se sentait fondre comme neige au soleil. Une expression bien déroutante pour quelqu’un n’ayant jamais vu la couleur du soleil dans son existence.

Il se concentra et pointa ses deux yeux vers la masse des ennemis. Un photomancien n’avait nul besoin de lumière pour voir, puisqu’il produisait sa lumière propre. Licht vivait dans un monde où tout était lumineux, car là où la vision d'un humain normal nécessitait qu’une lumière extérieure se réfléchisse sur un objet, ses yeux à lui étaient en permanence remplis de lumière. Le monde avait une vague aura blanchâtre en permanence, et certaines teintes s’effaçaient au profit d’autres plus clairs et plus blêmes, mais en somme, quelle que soit la distance, quelle que soit la pénombre, et quand bien même on voudrait l’aveugler d’une torche ou d’une lanterne, Licht voyait.

Dans le défilé, la moitié des lanternes s’éteignirent soudainement. Un ordre avait été donné par les généraux hérétiques, et là où l’on pouvait voir l’instant d'avant un ruisseau de points lumineux, il n’y avait maintenant qu’une ombre dantesque, une noirceur terrible. Les soldats de Lanterneg ne purent référéner un frisson d’effroi. Les plus expérimentés d’entre eux savaient combien cette crainte était justifiée, car cette manœuvre ne pouvait signifier qu’une chose.

Les archers du royaume de la paix éternelle bandèrent leurs armes dans le noir, et visèrent la masse encore visible de lanternes qui constituait l’armée loyaliste. Des projectiles noirs comme de l’encre se mirent à pleuvoir dans le ciel comme une grêle invisible. Les hommes de Lanterneg furent pris au dépourvu sous les tirs, et si quelques archers tentèrent de riposter, c’était avec peine face à une masse adverse indistincte, noire, cachée sous une cape de nuit.

Licht avait une vue plus claire que quiconque sur les événements. L’armée adverse s’était approchée silencieusement, lentement, pour pouvoir mieux tirer parti de ses tirs. Les troupes de Lanterneg étaient pour la majeure partie des lancers et hallebardiers, avec peu ou pas d’armures. Le photomancien observa d’un air morne, ses sourcils inexistants se plissant devant son constat de l'efficacité de la tactique adverse. Les hommes de Lanterneg ne voulaient pas éteindre leurs propres lanternes, et c’eut d’ailleurs été une mauvaise idée. Leur principal avantage résiderait dans le corps à corps, et il leur fallait pour cela encore effectuer de nombreuses manœuvres. Impossible de manœuvrer sur ce terrain efficacement sans qu’au moins un soldat sur dix brandisse une lanterne, et si ils les éteignaient, les rallumer ferait perdre un temps fou à l’armée sans compter les conséquences sur la cohésion de la formation. Les officiers de Lanterneg, face aux tirs nourris des hérétiques ordonnèrent aux hommes de desserrer les rangs, passant en formation dispersée pour diminuer la létalité des tirs adverses. Dans ce contexte, c’était encore la meilleure chose à faire.

Une voix grinçante, où perçait une pointe de frustration et de panique fit sursauter le mage en l’arrachant à sa contemplation.

« Alors, sorcier ! Qu’est-ce que vous attendez pour faire quelque chose bon sang ! Vous voulez peut-être vous délecter plus longtemps des déboires de nos hommes ? »

Licht serra les dents. Être traité du mot « sorcier » le hérissait plus que tout au monde. Ça n’était pas juste une insulte, ça le blessait jusque dans les tréfonds de son âme, l’emplissant de doute, de désespoir, et de honte. Pourtant il lui fallait supporter ça presque tous les jours.

Cependant, l’inquisiteur avait raison. Son esprit contemplatif lui jouait souvent des tours, et il avait tardé à agir, passant ainsi à côté de l’occasion de réduire potentiellement leurs pertes. Tout en se fustigeant mentalement, le mage desserra les dents.

« Pardonnez moi votre excellence, vous avez raison. Fermez les yeux.

- Un inquisiteur a toujours un œil ouvert mon garçon.

- Alors ne fermez que vos deux yeux de chair. Ce n’est rien de plus qu’un conseil. »

Licht se concentra, et comme une mimique il frotta avec la paume de sa main son crâne lisse où ne se voyait pas l’ombre d’un cheveu. Le froid le dérangeait vraiment, mais il se concentra pour en faire abstraction. La magie qu’il manipulait nécessitait une certaine forme de paix, une paix autre que la simple paix physique ou psychologique. Il ferma les yeux, et vit, pendant un instant, le dieu de la lumière. Pour lui, ce dieu était un amoncellement étincelant de lois et de principes métaphysiques, de vérités absolues et de réflexions philosophiques se confondant pêle-mêle en une masse informe, lumineuse et réconfortante. Il fallait songer à être, être à songer, et se souvenir de ce que le monde dut exister pour que la lumière soit et que la lumière dut être pour que le monde existe dans les yeux des humains. Son esprit se promenait sur la limite de la perdition, à un pas d’un infiniment vaste précipice de réflexions, mais il se rattrapa juste avant avec une force qu’il qualifiait lui même de « ferveur ». En somme, il rouvrit les yeux, conscient et fier, porteur d’une nouvelle vérité, comme à chaque fois.

Ses yeux étaient des phares, les bras croisés sur son torse, il vit l’armée hérétique. Sans réflexions, ses sens et sa connaissance firent le tri. Mentalement, il haussa les épaules, mais physiquement resta stoïque. Puis, en toute simplicité, il écarta les bras et tapa dans ses mains.

La sphère lumineuse qui apparut était d’une splendeur divine. Un globe d’agitation photonique du blanc le plus parfait de l’univers, comme un astre de plusieurs mètres de diamètre qui s’était spontanément décidé à luire sur cette montagne sombre. L’éclat ne dura qu’un instant fugace, et pourtant, la lumière suffit à illuminer le paysage. Un spectacle magnifique pour tous les yeux qui, pour la première fois, voyaient les choses sous leurs couleurs les plus pures. Ça n’était pas un soleil, loin de là. Cette lumière n’était pas chaude, et elle était blanche, d’un blanc parfait qu’aucune étoile ne saurait copier. Ce n’était ni un feu ni un plasma d’aucune sorte, mais bien une boule de photons soudés par la magie.

Ce fut un éclair éblouissant avant que la sphère ne disparaisse, mais un morceau de lumière s’en détacha, comme un serpent blanc gigantesque, le rayon de photons déchainés vola du haut de la montagne vers la vallée en contrebas, transperçant la nuit avec une volonté éclairante. Il survola avec une ardeur nitescente l’armée du royaume de la paix éternelle, révélant pendant quelques secondes tous ses soldats, puis le serpent de lumière blanche plongea ses crocs dans la formation, déchirant tout dans une rage photonique.

Une trentaine d’hommes se jetèrent au sol en criant de terreur, frappés par une lumière trop intense même pour la chair. Ils n’étaient pas brulés, ils étaient décomposés par sa violente brillance. Licht jeta un coup d’œil méprisant dans la direction, et son acuité visuelle lui permit de dénombrer vingt cinq morts et vingt blessés au total. Il croisa à nouveau les bras sur son torse et laissa échapper un profond soupir.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire "Hallbresses " ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0