LE BAR Épisode I :une amertume lumineuse 

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Il existait des lieux qui semblaient suspendus en dehors du temps. Des refuges discrets, cachés dans les méandres des villes, où l’effervescence de la vie semblait s’éclipser pour laisser place à un calme presque irréel.

Le bar n’avait pas de nom affiché. Seule une fenêtre embuée laissait filtrer une lumière tamisée, hésitante, comme si elle craignait d’attirer trop d’attention. À l’intérieur, l’ambiance était feutrée, intime. Les bouteilles, alignées avec une précision quasi-mathématique, luisaient sous une lumière dorée. Une musique de piano flottait dans l’air, fragile et nostalgique. Elle n’était pas jouée pour impressionner, mais pour accompagner, pour être ressentie plus qu’écoutée.

Derrière le comptoir, un homme se tenait immobile. Le barman. Son visage, impassible, ne laissait transparaître ni fatigue ni impatience. Il essuyait un verre d’un geste méthodique, presque cérémonieux, comme s’il exécutait un rituel appris dans un autre temps. Tout dans sa posture, dans ses gestes, semblait dire : ici, rien ne presse.

La porte du bar s’ouvrit, faisant tinter une petite cloche d’un son discret mais cristallin.

Un homme entra. Ses épaules étaient légèrement voûtées, et son costume portait les marques d’une journée trop longue : un pli sur la manche, une tache presque invisible sur la cravate. Il hésita sur le seuil, scrutant la pièce comme s’il s’assurait qu’il n’était pas entré au mauvais endroit, puis il s’approcha lentement du comptoir.

Le barman leva les yeux vers lui. Pas un mot. Juste une présence, calme et attentive, comme un miroir prêt à refléter ce qu’on lui offre.

— Client (s’essayant à un sourire) : « On m’a dit que ce bar était… différent. J’espère qu’ils ne se sont pas trompés. »

— Barman (d’un ton posé) : « Vous êtes ici. C’est ce qui compte. Alors, votre commande ? »

— Client (avec un soupir léger) : « Faites-moi un cocktail qui ressemble à ma journée. »

Un sourire à peine perceptible effleura les lèvres du barman. Il se retourna vers son arsenal de bouteilles, les scrutant comme un artiste devant sa palette, cherchant les couleurs de cette journée à recréer. Puis il se mit à l’œuvre.

Chaque geste était précis, empreint d’une élégance presque chorégraphiée. Il versa une dose d’amaro, sombre et dense, comme l’écho d’une mélancolie profonde. Ensuite, un filet d’un jus d’agrumes éclatant, mordant, qui éclipsa l’amertume pour un instant. Une goutte de sirop maison, translucide et mystérieuse, fut ajoutée avec une minutie presque exagérée. Enfin, il saisit un shaker glacé et le fit danser entre ses mains. Le tintement de la glace contre l’acier ajouta une autre note à la musique du piano.

Il versa le liquide dans un verre épais, parfaitement transparent. Avant de le servir, il attrapa une orange et, d’un geste assuré, tailla un zeste qu’il tordit au-dessus du verre. Une fine brume d’huile essentielle s’éleva, embaumant l’air d’un parfum subtil.

— Barman (en déposant le verre devant le client) : « Voici. Un mélange de routine et d’amertume… mais avec un arrière-goût lumineux. »

Le client porta le verre à ses lèvres. Il prit une gorgée lente, savourant chaque nuance. Ses sourcils se levèrent légèrement, signe d’une surprise inattendue.

— Client (pensif) : « C’est… particulier. Amer, oui, mais… il y a quelque chose de plus. Un genre d’espoir, peut-être ? »

— Barman (calme) : « Même une journée amère peut avoir des éclats lumineux. La vôtre, peut-être, attend que vous les trouviez. »

Le client laissa échapper un soupir. Ses doigts jouaient distraitement avec le verre, traçant des cercles invisibles sur le comptoir.

— Client (après un silence) : « Vous êtes toujours aussi… optimiste ? »

— Barman: « Pas vraiment. Mais j’ai appris une chose : même dans le chaos, il y a des éclats d’ordre. »

Un silence confortable s’installa entre eux, ponctué par les notes du piano qui semblaient s’adoucir encore. Puis le client se confia, presque à voix basse, comme si parler trop fort risquait de briser quelque chose.

—Client: « Je me demande parfois… si ce que je fais a vraiment du sens. Vous savez, ces journées où tout semble… creux ? Je travaille dans une grosse boîte. Beaucoup de chiffres, beaucoup d’écrans. Rien qui ressemble à… ça. À quelque chose d’humain. »

Le barman resta silencieux, essuyant un verre d’un geste mécanique, comme si ses mains connaissaient la réponse avant ses mots.

— Barman(sans lever les yeux) : « Vous connaissez cette citation ? *Le monde brille pour ceux qui acceptent de le regarder.* Peut-être que ce que vous faites n’a pas de sens pour vous, mais qu’en est-il pour ceux que ça aide ? »

Le client, interloqué, porta son verre à ses lèvres une dernière fois. Ses traits semblaient plus détendus, comme si la lourdeur qui pesait sur ses épaules s’était un peu dissipée.

— Client (avec un sourire discret) : « Ceux que ça aide, hein… »

Le pianiste, jusque-là plongé dans une mélodie mélancolique, tourna légèrement la tête vers le comptoir. Comme s’il avait entendu quelque chose. Puis il reprit son morceau, mais cette fois, les notes étaient plus légères, presque joueuses.

Le client se leva, cherchant ses mots en posant de l’argent sur le comptoir.

— Client : « Vous avez peut-être raison. Je ne sais pas encore… mais je vais chercher ces notes lumineuses. Merci pour le verre. »

Alors qu’il se dirigeait vers la porte, il se retourna une dernière fois.

— Client (souriant, presque malicieusement) : « Et vous ? Vous croyez que les notes lumineuses sont faciles à trouver ? »

— Barman (calme) : « Ce qui compte, c’est de continuer à chercher. »

La porte se referma dans un léger grincement.

Le pianiste conclut son morceau sur une note suspendue, comme une promesse. Le silence retomba dans le bar, mais ce n’était pas un vide. C’était un silence chargé de possibles.

Le barman fixa un instant l’endroit où le client était assis. Il posa doucement ses mains sur le comptoir et murmura, pour lui-même :

— Barman: « Je me demande bien quelle sera ma prochaine commande. »

La lumière tamisée sembla vibrer légèrement, comme une réponse muette. Et bien que le piano soit maintenant silencieux, ses notes flottaient encore dans l’air, imperceptibles mais présentes, comme un écho d’espoir.

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