LE BAR Épisode III: une note brisée 

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Le bar était plongé dans une ambiance presque irréelle, comme un tableau vivant. Le pianiste jouait une mélodie qui s’étirait doucement, remplissant l’espace de notes claires et légères, rappelant une rivière sous une lumière argentée. Chaque client semblait suspendu, accroché à ces harmonies qui flottaient dans l’air.

Mais ce soir-là, une fausse note retentit.

Elle était si brève qu’on aurait pu croire à une illusion. Pourtant, elle troubla la sérénité de la mélodie. Le pianiste fronça légèrement les sourcils, un tic imperceptible pour quiconque ne le connaissait pas. Il continua à jouer, dissimulant l’erreur avec la grâce de l’expérience.

Le barman, derrière le comptoir, arrêta un instant son mouvement. Ses yeux, calmes et attentifs, glissèrent vers le vieil homme. Une fraction de seconde, puis il reprit son travail.

La cloche tinta doucement : un nouveau client venait d’entrer.

C’était une femme d’une trentaine d’années, habillée avec élégance mais visiblement tendue. Elle avançait d’un pas hésitant, comme si elle ne savait pas vraiment ce qu’elle cherchait ici.

— Cliente: « Bonsoir… Est-ce qu’il y a de la place ? »

Le barman fit un geste de la main vers un tabouret au comptoir.

— Barman: « Chaque soir a sa place pour ceux qui cherchent. »

Elle s’assit et laissa échapper un léger soupir. Elle retira ses gants et les posa soigneusement devant elle, ses doigts légèrement tremblants.

— Cliente: « On m’a recommandé cet endroit. Ils m’ont dit que… vos cocktails avaient quelque chose de spécial. »

Le barman hocha la tête sans un mot, attendant qu’elle continue.

— Cliente: « Je… Je suis artiste. Enfin, j’essaie de l’être. Mais dernièrement… je ne sais plus. Je sens cette pression constante. Je veux toujours que tout soit parfait, mais rien ne l’est jamais. Je me demande si je devrais arrêter. »

Il la regarda un moment, ses yeux plongeant dans les siens, comme s’il cherchait à comprendre quelque chose de plus profond.

— Barman: « Ce que vous faites est imparfait, dites-vous. Mais qui décide de ce qu’est la perfection ? »

Elle sembla surprise par la question, puis baissa les yeux, pensive.

— Cliente: « Peut-être que… c’est moi qui me mets cette pression. Peut-être que je suis mon propre tyran. »

Le barman esquissa un sourire discret, presque imperceptible. Il se tourna vers les bouteilles, réfléchissant un instant, puis se mit à l’œuvre.

D’un geste précis, il saisit un shaker et y versa une dose de gin infusé au thé jasmin.

— Barman: « Le jasmin, c’est la fleur des contradictions : délicate, mais capable de survivre aux hivers les plus rudes. »

Il ajouta un filet de citron frais, dont le parfum vif emplit l’air.

— Barman: « L’acidité… comme un rappel de la tension que nous ressentons tous. »

Il incorpora une cuillère de sirop de miel, doré et épais, qui s’étira comme un fil d’or avant de disparaître dans le shaker.

— Barman: « La douceur du miel apaise, mais il a aussi une mémoire : celle des fleurs et des champs d’où il vient. Comme nos erreurs, il porte l’empreinte de son histoire. »

Puis, il ajouta un trait d’eau gazeuse et saisit une poignée de glaçons qu’il fit glisser dans le shaker avec un bruit cristallin. Il ferma l’outil et commença à secouer, ses mouvements précis et fluides, presque chorégraphiés.

— Barman: « Parfois, il faut secouer les choses, briser l’ordre, pour en tirer une harmonie nouvelle. »

Il versa le mélange dans un verre préalablement refroidi, ajouta un zeste de citron qu’il torsada avec soin, et finalisa la présentation avec une fleur de jasmin posée en équilibre parfait sur le bord du verre.

— Barman: « Voici. Je l’appelle * l'imparfaitement parfait.*. »

Elle prit une gorgée. Ses yeux s’écarquillèrent légèrement, et un sourire timidement éclot sur ses lèvres.

— Cliente: « C’est… incroyable. Léger mais profond. Comme si… je pouvais respirer à nouveau. »

Le pianiste marqua une pause. Puis il reprit, mais cette fois, une seconde fausse note brisa l’harmonie. Cette fois, elle semblait plus difficile à cacher.

La femme tourna la tête vers lui.

— Cliente: « Le pianiste… Il est incroyable. Mais… cette note..vous l’avez entendue ? »

Le barman hocha doucement la tête.

— Barman: « Une note brisée, peut-être. Mais regardez comme il continue de jouer. »

Elle resta un moment silencieuse, observant le vieil homme qui semblait lutter contre quelque chose d’invisible. Puis elle se tourna vers le barman, une lueur différente dans les yeux.

— Cliente: « Vous avez raison. Je crois que… je devrais continuer, moi aussi. Même si ce n’est pas parfait. Merci. Pour tout. »

Elle termina son verre, déposa un billet sur le comptoir et se leva, plus droite qu’en arrivant. Avant de sortir, elle se retourna une dernière fois.

— Cliente: « Vous savez… vos cocktails ne sont pas qu’une boisson. Ils sont comme… un miroir. »

Le barman ne répondit pas, se contentant d’un léger sourire.

Lorsque le bar fut désert, le barman resta quelques instants à contempler le piano, désormais silencieux. Il ramassa un chiffon et commença à nettoyer lentement les tables, effaçant les traces de la soirée avec des gestes méticuleux.

Près de la boîte à pourboires, une petite fleur de jasmin reposait, laissée par la cliente. Il la prit délicatement entre ses doigts et l’observa. Sa blancheur fragile contrastait avec l’ombre du bar, comme un éclat de lumière perdu dans l’obscurité. Il la déposa sur le comptoir, à côté d’un verre vide, puis s’arrêta un moment, pensif.

Le bar était vide relativement tôt, chose rare. Le silence amplifiait les échos des souvenirs qui semblaient surgir de chaque coin de la pièce.

Il s’adossa au comptoir, ses yeux fixant un point invisible dans l’obscurité. Une image fugace lui traversa l’esprit : des flammes étouffantes, des silhouettes mouvantes, et des cris qui résonnaient comme des notes dissonantes dans une symphonie chaotique.

Son regard vacilla, mais il resta immobile, respirant profondément.

Puis il murmura, presque pour lui-même :

— Barman: « Les cendres ne cachent pas toujours les braises…»

Il repoussa cette pensée et reprit son activité, éteignant les lumières une à une, comme on referme un livre. Mais alors qu’il s’apprêtait à fermer la porte, une dernière mélodie sembla flotter dans l’air, évanescente et douce, comme un adieu du piano lui-même.

Sous la lumière vacillante d’un néon, le barman leva les yeux vers l’obscurité du ciel nocturne. Une question silencieuse naissait au fond de son esprit, sans qu’il ose la formuler.

Puis il ferma doucement la porte.

Et la nuit, une fois encore, enveloppa le bar, emportant avec elle les secrets murmurés et les histoires encore à venir.

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