Chapitre 1
On s'est donné rendez vous en plein jour, sur l'aire de repos d'une station service en marge de la périphérie. C'était vraiment urgent.
Ils étaient tous là, sauf Eddie.
Une semaine après que tous les événements se soient enchaînés et les éléments déchaînés, pas le moindre foutu signe de vie d'Eddie. Je pouvais pas m'empêcher de penser aux pires hypothèses concernant ce silence glacial, toutes me paraissaient plausibles. Le ciel gris crachait ses larmes, l'horizon était bouché, tout semblait parfaitement coller à l'ordre du jour. J'ai fait un appel de phares, Medhi et Bolo ont rejoint la voiture. La mine des mauvais jours, ils m'ont salué et sont montés derrière. Un long silence est venu embrasser la tension qui stagnait dans l'air de l'habitacle, Bolo a profité du moment pour se rouler un joint et ça m'a mis en rogne:
Tu fais quoi là !!!? Tu crois vraiment que c'est le moment de se défoncer la tête !!? On est ici pour envisager la suite de notre vie ! Où notre mort putain ! et toi, toi, toi tu préfères voir des éléphants roses, je rêve putain !!
- Wooow, c'est qu'un bédo mec, ca va...
- Weuw wewum vevE NIEU NIEUU TA GUEULE !!! JETTE CETTE MERDE DE MA BAGNOLE !!
Bolo était un gros tas au visage enfantin et à la calvitie précoce, d'où l'utilité pour lui de se raser la boule à zéro. On savait pas vraiment ce que signifiait son surnom, on l'a toujours connu sous cette appellation. Ce mec là se foutait autant de son cholestérol que de tout ce qui pouvait lui tomber sur le coin de la tronche, ce genre de nihiliste inconscient de l'être, c'était quasi-fascinant, souvent effrayant, le gars vivait détaché de toute réalité, il fumait beaucoup trop de Marie Juana. C'était une merde, une petite frappe qui écoulait quelques grammes de temps en temps pour pouvoir gratter deux têtes, comme tous les mecs présents dans cette bagnole. Pour faire simple, considérez Bolo comme un gros paquebot bancal à la coque fissurée fonçant droit sur un iceberg, bien trop paresseux pour ne serait ce que penser à redresser le mat de sa carcasse.
Il m'a traité d'hystérique d'une voix latente, celle qui le caractérise habituellement et qui donne envie de lui secouer les puces, ce que j'ai entrepris de faire. Medhi, et son aplomb de médiateur not self control adopté pour la circonstance s'est à son tour mis à gueuler pour nous ordonner de nous calmer. Mehdi, c'était normalement un mec calme et posé. Rusé, méticuleux et assez vicelard, il était plus ou moins respecté chez nous, toujours dans les bons coups, l'art et la manière d'eviter les mauvais. Il connaissait certains anciens, mais rien qui pèse vraiment. Medhi, on lui avait vissé la tête d'Eric Zemmour sur le corps d'un suricate, mais fallait surtout pas lui dire, il était boxeur et punchait pas mal. Quand tu le regardait droit dans les yeux, tu pouvais apercevoir la fouine affamée qui somnolait en lui, il usait parfois de vicieux subterfuges pour pouvoir arriver à ses fins, néanmoins, je le connaissais depuis tout gosse et savait qu'il était droit quand il était question de famille où d'amitié. Ce gars là perlait jamais du front et maîtrisait les émotions comme personne, alors autant vous dire que le mec blanc comme un cachet d'aspirine qui gesticulait à l'arrière du véhicule me filait la frousse. Ça prouvait bien la gravité de la situation: Medhi, qui d'habitude inspirait la force tranquille et le sang froid n'arrêtait pas de supplier le calme d'une voix tremblante et nerveuse pour pouvoir trouver une solution, y'en a forcément une, ouais, y'en a forcément une.
J'ai cyniquement proposé qu'on se tire une balle dans la tête.
Dis pas de conneries, y'a forcement une solution. On va tout leur rembourser, on va leur filer le bénef, on lâche le fric, on leur rend tout, ça va bien se passer, j'irai moi-même les voir s'il le faut.
- Oh mais bien-sûr, ces gens là ils sont du genre compréhensifs, t'as qu'a leur dire que tu les prends pour la Caisse D'épargne hein, puis ils nous colleront des Agios! Tu sais à qui on a à faire là?! T'as déjà vu un Scorsese? Tu sais c'est quoi les Agios avec eux ? D'abord un doigt, puis un deuxième ! Ça te suffit pas Eddie ?!! Tu veux te faire bouffer par un porc toi aussi ?!
- Mais ferme ta gueule putain, on est pas dans un film, les gens disparaissent pas comme ça! Eddie il a juste paniqué, il s'est barré pis il à coupé son téléphone, j'ai failli faire pareil, j'ferme plus un œil, j'deviens parano pour tout, j'suis sur qu'il s'est barré.
- Ils ont buté Eddie j'te dis ! Ces mecs là c'est des dangereux ! Ces mecs là c'est des gros poissons, tu crois quoi toi ! Mais putain c'est quoi cette équipe de bisounours que j'me coltine ! Vous êtes vraiment naïfs, mais putain j'fous quoi avec vous !
…
On a été trop loin… On aurait jamais dû… On est finis putain, finis !
Un long silence, comme pour approuver la fatalité paraissant évidente à mes yeux quant au sort qui nous était réservé. Les esprits se sont calmés, alors Medhi a repris :
- On va les rembourser, ca va le faire…
- Mec, on a ramassé 30kg de cocaïne qui nous appartiennent pas.
Non.
Ça va pas le faire…
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