Rencontre avec ma noirceur.
Elle est là. Je la sens, tapie quelque part pour ne pas se faire voir. Elle m'épie, chaque jour, chaque nuit et je commence à me dire que je suis folle. Je ne connais même pas la nature de cette.. chose, qui me suit ou si elle existe ailleurs que dans ma tête. Je ne sais pas à quoi elle ressemble, ce qu'elle veut ou encore pourquoi la savoir tout près de moi, terrasse mon âme et m'excite à la fois. C'est comme si, tout était plus sombre depuis que je la sens collée à moi. Plus je veux la repousser, plus elle s'imprègne.
Parfois, j'ai même l'impression de l'entendre me parler au creux de l'oreille. Sa voix semble lointaine, et pourtant, elle est bien là, tout près de moi, trop près de moi.
Mais qui est elle ? Que me veut-elle ? Pourquoi apparaît-elle soudainement ? Pourquoi ne part-elle pas ? Et pourquoi coller mon être ? Pourquoi m'oppresse-t-elle autant ? Et pourquoi m'attire-t-elle malgré tout ?
Je suis là, debout, devant mon miroir, et je vois mon corps si fin et si léger. Pourtant, j'ai l'impression d'avoir des enclumes sur les épaules. Des enclumes qui m'empêchent de garder la tête haute, le corps droit et l'esprit sain. Des enclumes qui me donnent l'impression de peser des tonnes. Peut-être est-ce ma résistance face à son emprise qui bloque ainsi mon corps.
Je ferme les yeux quelques instants, prenant de grandes respirations pour alléger mes tensions. Et quand j'ouvre de nouveau mes yeux, je la vois. La chose collée derrière moi. Si imposante, si effrayante. Elle me jauge du regard, à travers le miroir, tout comme je le fais pour elle. Ses grands yeux blancs se reflètent étrangement dans les miens, comme s'ils ne faisaient qu'un regard. Les quelques traits sur son visage sombre sont identiques aux miens. Seule sa musculature diffère, plus puissante et plus attrayante. Elle pourrait faire peur à quiconque la croiserait dans un miroir, et pourtant, plus je la détaille, plus je la trouve terriblement attrayante, cette silhouette noire.
Alors que je lève un bras pour la toucher, son regard vire au rouge, comme pour me prévenir de ne pas la tripoter.
Je me retourne pour lui faire face, et sans grande surprise, je ne la vois pas. De nouveau face au miroir, elle est toujours présente, un air mi-malicieux, mi-taquin sur le visage.
— Qui es-tu ?
Un râle bruyant sort de sa bouche. Elle me regarde comme si j'étais une idiote. Puis, sa bouche se met à bouger, et parvient au creux de mon oreille, son chuchotement.
— Je suis ta noirceur. Je suis ton ombre. Je suis la voix dans ta tête.
Devant mon incrédulité et mon silence, elle se remet à effleurer mon oreille de son souffle qui me fait tant frissonner.
— Ne vois-tu pas à quel point nous nous ressemblons ? Ne comprends-tu pas que nous ne faisons qu'un ? Même si tu résistes encore à me laisser totalement prendre le contrôle de ton corps, je m'immisce un peu plus chaque jour en toi. Facilite-nous la tâche, accepte ta noirceur, laisse-moi te contrôler. Tout sera plus aisé pour toi après.
Ses propos me mettent en colère, mais sa voix m'hypnotise et appelle à l'abandon de toute résistance encore présente dans mon corps et dans mon esprit. C'est comme si elle réussissait à me manipuler malgré mon désaccord. Elle est forte, très forte.
Perdue dans mes pensées, je reviens vite au moment présent lorsque je sens une caresse qui laisse des picotements sur mon bras droit. Je regarde ce dernier, mais rien ne s'y trouve, alors je lève mon regard jusqu'au miroir et je la vois, de son grand bras sombre et musclé, elle me touche.
— Ne me touche pas. Si tu refuses que je te touche, alors fais en de même.
Elle ne m'écoute pas, continuant de faire voyager ses mains sur mon corps, ce qui ne manque pas de m'énerver encore plus.
— Je t'ai dit de ne pas me toucher, espèce de parasite !
Bien décidée à me faire respecter par cette chose, je me débats pour me débarrasser de son contact qui brûlait ma peau jusqu'à maintenant. Puis, me guidant à travers le miroir, je tente de la frapper au visage, mais elle comprend et m'évite.
— N'essaye pas de me frapper ou de te mesurer à moi, tu le regretterais, petite.
— Sinon quoi ?
— Sinon je te hanterais pour toujours.
— Ouais ouais. Tu veux juste pas que je te touche, parce que tu es chatouilleuse et que tu veux pas te montrer faible devant le simple humain que je suis.
La silhouette noire laisse de nouveau ses yeux, prendre la couleur du sang, sûrement pour me faire peur. Mais je suis toujours aussi déterminée de voir ce qui changerait si je m'oppose à elle en la touchant.
Faisant semblant d'abandonner le combat, je fais un pas sur la droite, quittant la face du miroir. Puis, après de courtes secondes, je retourne en courant vers le miroir, fonçant directement à travers le corps de mon bourreau. Et là..
— Nora ? Pourquoi te fixes-tu ainsi dans ton miroir ?
La voix lointaine de ma mère qui m'interrompt brutalement dans mon combat, me fait sursauter de peur.
— Oh maman ! Tu m'as fait peur !
— Tu es sûre que tout va bien ? Je t'observe depuis de longues minutes et je t'avoue que te voir faire la statue avec ce regard que tu poses sur le miroir est un peu effrayant.
— J'étais juste perdue dans mes pensées, ne t'inquiète pas !
— Mouais.
Ma mère me lança un regard douteux, pas du tout convaincue par ma réponse, mais se retourne et sort de ma chambre en parlant à voix basse pour ne pas que je l'entende. Mais bizarrement, j'entends parfaitement ses paroles, comme si elles étaient directement versées à l'entrée de mon oreille.
Je me toise une énième fois dans le miroir et plus rien ne se trouve derrière moi. Le regard plus froid, le faciès plus dur et la sensation de profondeur me traverse. J'ai comme une envie de plus, avide de vengeance, assoiffée d'absorber le chaos que je veux semer autour de moi.
La voix dans ma tête s'exclame: Bienvenue dans le nouvel enfer de ta profonde et destructrice noirceur. Nous allons faire un long voyage à travers mon monde, accompagnées de sombres démons.
Oh.. merde.
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