Chapitre 21
18 - Lola est le pire blues
« Où est le blues que je connais ? »
Beth Hart
« Ça veut dire quoi pour toi, le Blues ? »
Moi fauteuil, Lola clic-clac.
Eau, pour elle, whisky pour moi.
On discutait des conneries habituelles
Correction :
De MES conneries habituelles
c'est-à-dire toutes mes réflexions et ma philosophie à deux balles.
Tous ces trucs qui me font penser la vie au lieu de la vivre.
Et là, dans le regard vert de Lola, la question était posée.
Mais, bien entendu, j’y ai répondu de travers. Histoire, encore une fois de provoquer, tout en écrasant ma cigarette.
« Ben… C’est un style de musique des nègres révoltés de ton pays. »
Lola m’a balancé l’oreiller marron délavé aux motifs chinois du clic-clic en plein dans la poire. Assez rapidement pour que je ne puisse pas l’attraper, assez doucement pour que ça ne me fasse pas mal
« Alleeeeeeeeeez ! Tu sais ce que je veux dire … »
Dans les enceintes, un morceau des Black Pumas tournait. J’ai baissé le son pour m’aider à réfléchir…
« Le blues, c’est un état d’être. Je vais faire un parallèle avec ton métier, le cinéma. Lorsque Jean Gabin a vu les premières images de Lino Ventura prises par la pellicule, il a demandé au réalisateur qui était ce mec, parce qu’il avait une sacrée présence. Des années plus tard, lors d’une interview (mettre le lien), il expliquait que la présence au cinéma ça ne se commande pas, qu’il fallait comme être touché des dieux. Je crois que le blues c’est pareil, sauf que c’est le diable, ou en tout cas un ange triste qui nous épaule. C’est un genre de musique assez facile à jouer. Mais le faire vibrer c’est autre chose… Faut le sentir. Si t’as pas cette fêlure à l’intérieur de toi, t’auras beau le travailler… T’as le blues ou tu ne l’as pas. Y’a rien n’a désiré ni à commander.
– Et toi, tu crois que tu l’as ?
– J’ajouterai… il n’y a rien à questionner. Mais pour répondre un peu à ta question je vais te raconter une histoire. Je crois que je l’ai peut-être écrit un jour, mais là je vais te le raconter. Ma mère était institutrice comme tu sais. Et une de ces collègues avait un fils, Cyril, qui devait avoir environ dix ans de plus que moi. Moi, j’étais petit, et lui dans sa chambre d’adolescent, il avait des posters de Kiss, AC/DC, et toutes une collection de cartes postales d’Iron Maiden. Quelqu’une sont devenues miennes depuis. Bref, comme j’étais un gamin agité…
– C’est étonnant !
– Oui hein ?! Bref, comme j’étais un gamin agité, il me présentait les cartes postale à l’effigie d’Eddie, et inventait un histoire avec les différents décors. Je trouvais tellement ça cool que je m’accrochait à la table pour ne plus partir, surtout quand il y avait la soupe au légumes immonde de mon beau père au repas.
– Quel enfant martyr !
– Te fous pas de ma gueule femme ! Des années plus tard, le mari de ma cousine m’a offert une guitare électrique. Cyril était devenu prof, et il était devenu mon prof, sauf que je préférais parler musique plutôt qu’en jouer. Il m’offrait des cassettes de compilations, c’était le bonheur de mon adolescence. Mais je n’étais pas son meilleur élève, loin de là, mon niveau à la guitare le prouve. Mais un jour on est allé dans sa chambre avec ma guitare. Il l’a branché sur son ampli Peavey, a mis la distorsion et a dit « On va voir ce qu’elle a dans le ventre… » Et Cyril joué. Et… j’ai su que j’aimerais ce son là toute ma vie. Le rock et le blues… Pouah… Mon plus grand amour ! L’amour de ma vie même. Bien sûr je lui fais des infidélités : je suis allé voir du côté du rap, de la techno, du trip hop, de la variété de la chanson à texte, du funk, de la soul, du jazz, Michael Jackson, mais toujours, toujours, toujours, je suis revenu vers lui. C’est le seul groove qui me parle, et qui parle de moi. Alors pour répondre à ta question, est-ce que j’ai le blues ? Prrrrout ! J’en sais rien, et je m’en fous, mais le blues m’a. Et je suis très heureux que cette musique existe.
– Bosse, mange, baise, blues… Tu pourrais écrire ça comme philosophie de vie.
– Ouais. Avec des phases de baises et de bosse parfois entrecoupées. Ceci dis là dedans Lola, t’es le pire blues qui puisse m’arriver.
– Pourquoi ?
– Parce que… laisse tomber ! Mais c’était un compliment.
– Allez, raconte !
– Ben… faut que tu y ailles mollo avec tes « mon chéri ». J’adore être avec toi Lola, ne te méprend pas. Mais je sors à peine d’un chagrin d’amour, j’en porte encore les marques, et je dois t’écrire des chansons pour le tien. Aussi, même si c’est super et qu’on se connait, c’est un peu violent pour moi. J’ai besoin d’avoir encore un bras dans cette énergie le temps de finir le boulot tu comprends ? Après ce sera plus cool.
– Moi aussi j’ai un truc à te dire Marc…
– Vas-y.
– Tu veux bien me rouler une cigarette avant ?
– Ah ? OK…
– Merci.
– …
– …
– Tiens.
– Merci…
– …
– …
– …
– Je…
– …
– Je penses toujours à Helli, même si je suis avec toi. Surtout quand tu n’es pas là en fait, durant la journée…
– OK.
– C’est… C’est bas de gamme comme tu dirais mais… Elle est bien mieux foutue que toi.
– J’en doute pas.
– Mais tu sais, c’est très con, et je me sens bien comme une conne… Mais la dernière fois que je l’ai vue nue, il y avait pas mon nom écrit dessus… elle est libre. Mais il faut croire, qu’une nuit en douce, qu’elle a tatoué le sien de nom sur mon cœur. Même avec un autre, c’est à elle que je pense. C’est de elle dont j’ai le blues. J’aimais la douceur de sa peau, j’aimais son odeur, j’aimais ses poussées de désir en sueurs, et ses soupirs quand on se chevauchaient. Et même si elle se fait sauter un autre depuis des mois, je pense encore à elle… Et toi, malgré ce que tu penses, t’es parfait sur le papier, tu colles à mes projets, mais… le gros souci, c’est que tu n’es pas elle chéri. »
Et Lola de me pleurer dans les bras.
« Ça fait mal hein de savoir que finalement on n’était pas si important pour l’autre ? »
Je me suis demandé, un instant, ce qu’un « bonhomme », un vrai de vrai, genre Fun Radio, musculation et combat rapproché aurait réagi… Fallait faire quoi ? Un égo trip ? N’était-elle pas ma réalité ? En fait je m’en branlais, ça ne sert à rien de pisser contre le vent, même au contraire, j’étais assez content. Elle m’avait fait l’honneur de partager ses souffrances et ses doutes au lieu de se blinder. Quel genre il faut se donner pour flinguer une personne qui par la vie devant vous est agenouillée. Elle n’avait pas dit qu’elle m’aimait pas, elle avait dit qu’elle l’aimait encore. Finalement… dans son groove, Lola était un très joli blues…
Ce soir là on a fait l’amour comme il y a longtemps qu’on ne l’avait pas fait. Tout était tendre, passionné. Comme si le lendemain on allait se quitter. Comme si le lendemain on allait crever. Il y avait un peu de ça. On devrait toujours faire l’amour comme ça, en sachant que l’autre va rebondir tandis qu’on va rester là.
Et enfin, depuis la première fois depuis des mois, entre les vents torrides et le soleil, ce soir-là, enfin, la pluie tomba.
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